Les chiffres de l’inflation sont-ils délibérément sous-estimés ?

Par Etienne Fauchaire
18 janvier 2024 08:11 Mis à jour: 15 avril 2024 12:53

Inflation. C’est le mot depuis l’année 2022. Explosion des factures d’énergie, reprise post-Covid, financement de la transition écologique, politique de dépenses publiques incontrôlée, remboursement de la dette et de son service, sur-création monétaire… Ses origines sont multiples, et font débat. L’augmentation réelle du coût de la vie tout autant. En décembre dernier, l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’organisme publique en charge du calcul du taux d’inflation, l’évaluait à 3,7% (et à 4,9% pour l’année 2023). Un chiffre repris par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, poussant Éric Zemmour à affirmer que le gouvernement « ment sur l’inflation » lors d’un entretien sur LCI le 7 janvier 2024.

La défiance des Français

La remise en question de la rigueur, voire même de l’impartialité, derrière le calcul de cet indicateur de la hausse des prix ne date en réalité pas d’hier. Déjà en 2006, alors que l’Insee assurait que le pouvoir d’achat des consommateurs était en croissance, pas moins de 89% des Français se montraient sceptiques sur la fiabilité de l’indice, comme le rapportait un rapport du Conseil d’analyse économique de 2008.

Quelques décennies plus tôt, dans les années 1970, des syndicats, CGT en tête, accusaient même l’Insee de masquer l’inflation et de faire ainsi la part belle au gouvernement et au patronat, n’hésitant pas à mettre en doute l’indépendance de l’organisme. « Ils contestent sa rigueur technique et sa capacité à représenter les dépenses réelles des catégories dont il est censé mesurer le pouvoir d’achat. Les difficultés de la prise en compte des nouveaux produits et des changements d’habitude de consommation, et surtout le recours aux comptes nationaux pour actualiser l’indice renforcent les critiques. Ce recours conduit en effet à ne pas prendre en compte les impôts, les assurances, les coûts liés à l’achat du logement ou de ceux qui proviennent des services domestiques, alors que ces postes pèsent lourdement sur le budget des ménages », expliquait l’universitaire Béatrice Touchelay. Si bien que la CGT était allée jusqu’à créer son propre relevé de prix… qui s’est révélé systématiquement supérieur à celui de l’Insee.

Il faut dire que l’indice des prix à la consommation revêt un rôle éminemment politique, puisqu’il ne sert pas uniquement à mesurer l’érosion du pouvoir d’achat. Comme le note l’Insee, pour les économistes, il permet d’apprécier les tensions inflationnistes et de mesurer l’évolution des revenus ou de la consommation des ménages en termes réels, tandis que « pour les responsables des politiques sociales, il permet de s’assurer du maintien du pouvoir d’achat du SMIC ou de certaines prestations. C’est un indicateur clé des politiques salariales des entreprises et un instrument familier des particuliers pour l’indexation des pensions alimentaires ou des rentes viagères. »

Toutefois, la bataille de l’indice a perdu de sa centralité politique à la faveur du tournant de la rigueur de 1983 et de la désindexation des salaires sur l’inflation (SMIC exclu). Depuis lors, la question qui a pris les devants est celle de l’évaluation du taux de chômage, d’ailleurs elle-même sujette à controverse. En 1998, la CGT finit par cesser de publier son indice des prix.

La méthodologie de calcul de l’Indice des prix à la consommation (IPC), c’est-à-dire de l’inflation, fait encore l’objet à ce jour de toutes les suspicions. Est-il minoré pour éviter la grogne sociale ou bien les consommateurs ont-ils tout simplement une mauvaise perception de la perte de leur pouvoir d’achat ? Sans surprise, l’Insee a plusieurs fois privilégié la seconde explication. « Les résultats publiés ne vont pas toujours dans le sens de ce que les agents économiques perçoivent ou croient percevoir : chacun se fait une idée de l’évolution globale des prix, sur la base de ses constatations personnelles, à l’occasion de ses achats quotidiens, ou de ce qu’il lit ou entend dire à ce sujet », a pu par exemple écrire l’institut sur son site internet.

Le panier moyen, un concept brumeux

À sa création en 1945, l’organisme statistique basait son indice en observant l’évolution des prix de trente-quatre articles : vingt-neuf denrées alimentaires reflétant les dépenses de nourriture des ménages, quatre articles de chauffage et d’éclairage, un article (le savon) pour l’entretien ménager. Mais aujourd’hui, chaque mois, les 270 enquêteurs de l’Insee relèvent désormais plus de 150.000 prix sur le terrain afin de constituer leur indice. Si le taux par catégorie de produits est connu, en revanche, la liste des biens et des services qui les composent est tenu secrète, officiellement pour empêcher toute manipulation, assure l’Insee. Tant le volume de prix traité que l’opacité sur les produits sélectionnés pour déterminer l’indice rendent ainsi difficilement contestable le chiffre avancé par l’Insee, qui échappe ainsi à tout contrôle.

Pour évaluer l’inflation globale, l’organisme statistique élabore un panier moyen censé refléter les habitudes d’achat de l’ensemble des citoyens, le fameux « panier de la ménagère », qui ne correspond en réalité à personne en particulier : si l’Insee annonce que l’inflation en décembre 2023 était de 3,7% par rapport au même mois de l’année précédente, aucun Français ne ressent exactement 3,7% sur son pouvoir d’achat, puisqu’il s’agit d’une moyenne construite à partir de données disparates. À titre d’illustration, si la moitié des élèves d’une classe de 20 élèves obtient 20/20 à un examen et que l’autre moitié affiche un zéro pointé, le professeur pourra annoncer que la moyenne générale pour ce devoir a été de 10/20, note cependant très éloignée tant de la première que de la seconde catégorie.

Chacun d’entre nous a donc son propre IPC, qui sera plus ou moins haut en fonction de ses propres habitudes de consommation, du lieu géographique où l’on vit, de son niveau de revenu, ou encore de son statut socio-professionnel (actif, retraité…). Cette notion pose donc intrinsèquement problème, puisque tout le monde n’est pas affecté de la même façon par l’inflation, en raison de ces multiples variables. C’est ce qui a d’ailleurs poussé l’Institut des libertés à concevoir son propre indice d’inflation pour les ménages les plus modestes aux États-Unis, nommé « Indice des Gilets jaunes », en prenant en compte leurs postes de dépenses les plus importants : énergie, loyer, alimentation. En 2022, alors que l’inflation officielle sur 12 mois s’élevait à 6,58% pour l’ensemble des ménages américains, son taux chez les plus modestes était quasiment double, à près de 13%.

En France, le panier moyen qui sert à évaluer l’inflation globale est confronté au même travers statistique. Alors que l’inflation sur les produits de grande consommation (aliments, boissons, hygiène…) frôle les 25% sur deux ans selon l’association UFC Que Choisir, dépassant parfois les 30% sur certains postes comme les produits sucrés, les ménages les plus modestes sont les plus impactés. « Car la part de l’alimentaire dans la consommation est d’autant plus élevée que le niveau de vie est faible », comme l’écrit l’économiste Mathieu Plane. Et cette disparité n’est pas reflétée.

D’autres écarts peuvent également être constatés grâce à l’enquête Budget des familles, au travers de laquelle l’Insee fournit les dépenses des ménages français selon plusieurs catégories. Elle permet de réaliser que l’inflation à laquelle est confronté un ménage français modeste ayant acheté une maison en périphérie et devant prendre sa voiture pour se rendre sur son lieu de travail est plus élevée que celle du Français moyen. A contrario, le cadre aisé de centre-ville, qui loue son logement et utilise les transports en commun pour se déplacer, fait face à une inflation inférieure au Français moyen. Par ailleurs, puisque la population française est vieillissante, le calcul de l’inflation est fortement influencé par les retraités, si bien que 9% du panier de l’Insee est consacré à la santé. Dans le même temps, le loyer en constitue une part ridicule, seulement 6%, alors que l’institut statistique reconnait lui-même pourtant qu’il « pèse beaucoup plus lourdement dans le budget des ménages locataires »…

Des inventions statistiques justifiées mais excessivement appliquées

Si la notion de panier moyen contribue à minorer l’inflation réelle ressentie par une large partie des Français et par la même occasion permet à quelques médias et politiques d’évoquer le fameux « sentiment d’inflation », d’autre procédés statistiques conduisent à une sous-estimation de la hausse réelle des prix. En premier lieu, l’effet pondération. Celui-ci se réfère à la manière dont différents biens et services sont pris en compte de manière proportionnelle en fonction de leur importance relative dans le panier de biens de consommation. Grâce à cette méthode, si le prix d’un produit comme le steak haché augmente considérablement et que les consommateurs choisissent d’en acheter moins du fait de ce renchérissement, l’INSEE note une baisse de la consommation de steak haché et diminue en conséquence sa part dans le calcul de l’indice. La hausse du prix de cette viande s’en trouve d’autant diluée, et l’inflation réelle minorée.

Tout aussi critiquable que l’effet pondération, l’effet qualité. Celui-ci désigne la façon dont les variations de la qualité des biens et services au fil du temps peuvent influencer les mesures de l’inflation. Concrètement, si un consommateur achète un nouvel ordinateur Microsoft à un prix plus élevé que le précédent, mais si l’Insee le juge plus puissant par rapport à l’ancien modèle, alors l’organisme enregistre un prix inférieur à celui affiché, tirant ainsi vers le bas l’indice des prix. Si le prix d’un nouveau paquet de barres de céréales augmente, mais qu’il contient plus de nutriments, toute la hausse de prix peut être aussitôt gommée. Et l’Insee applique cet « effet qualité » à peu près partout : l’industrie automobile, les services, le prêt-à-porter, l’alimentaire, et même le logement. Ce qui mène à des chiffres pour le moins cocasses. Ainsi, selon l’organisme, de 1996 à 2017, le prix d’un ordinateur personnel a été divisé par vingt. En d’autres termes, un PC neuf qui aurait coûté l’équivalent en franc de 1.000 euros à l’époque ne vaudrait donc aujourd’hui selon l’Insee… plus que 50 euros. Autre exemple démontrant l’arbitraire de ce mode de calcul : entre la France et l’Italie, dont les méthodologies statistiques sont pourtant harmonisées sous l’égide d’Eurostat, le prix des appareils ménagers augmentent de 0,4 % en Italie [en moyenne annuelle entre 2000 et 2015] quand ils diminuent de 1,8 % en France, « alors qu’il s’agit de produits majoritairement échangés à l’échelle internationale et dont l’évolution des prix devrait être relativement proche puisque exprimés dans la même monnaie », reconnait lui-même l’Insee.

Au fil des décennies, les Français d’hier et d’aujourd’hui continuent donc à émettre de sérieux doutes sur la mesure de l’Indice des prix à la consommation. À raison. Les défaillances existantes dans les méthodologies de calculs employées par l’Insee aboutissent à une sous-évaluation de l’inflation et permettent de mettre en exergue des partis pris contestables qui floutent la réalité de la vie économique du pays. Si les prix augmentent, les salaires ne suivent pas nécessairement cette trajectoire ascendante, entrainant ainsi une érosion du pouvoir d’achat des Français qui n’est pas ressentie, mais bel et bien vécue.

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