Le premier et le plus populaire enregistrement de musique country sonne différemment des tubes country actuels. Lorsque John Carson a enregistré The Little Old Log Cabin in the Lane en 1923, il ignorait que cette mélodie aux accents appalachiens deviendrait un élément intemporel de l’histoire du genre. Son producteur, Ralph Peer, homme d’affaires et intronisé au Country Music Hall of Fame, n’avait commandé que 500 exemplaires de la chanson pour la vente.
Le disque contenait une autre chanson interprétée par le violoniste, The Old Hen Cackled and the Rooster’s Going to Crow, mais c’est The Little Old Log Cabin in the Lane qui a fait sensation. Les exemplaires de John Carson se sont rapidement épuisés, Ralph Peer l’a engagé pour d’autres séances d’enregistrement. Ce qui allait devenir le genre country fut alors présenté au grand public américain pour la première fois.
Pochette du disque de John Carson, The Old Hen Cackled and the Rooster’s Gonna Crow. Archives Internet. (Domaine public)
La façon de jouer de John Carson est typiquement appalachienne, mais l’artiste a passé une grande partie de son temps en Géorgie. Ses origines remontent à l’Irlande, un pays qui a fortement influencé la formation du genre country.
L’Amérique a connu un afflux d’immigrants irlandais du XVIIe au XIXe siècle. Des populations comme les Écossais d’Ulster étaient originaires d’Écosse, mais ont vécu quelque temps dans la région irlandaise d’Ulster avant d’immigrer aux États-Unis. Dans les années 1600, des populations anglaises et irlandaises ont également navigué vers l’Amérique.
Lorsque la Grande Famine de la pomme de terre a frappé l’Irlande en 1845, davantage de personnes ont cherché refuge outre-Atlantique.
Ces vagues de migration ont entraîné le déplacement massif des Écossais d’Irlande, qui ont jeté les bases de la musique country actuelle.
« La tradition musicale la plus américaine »
Lors de son parcours dans l’histoire de la musique country, le British Country Music Festival a présenté une citation de Ray Benson, chef du groupe de swing western Asleep at the Wheel :
« Le violon est une tradition américaine. Je pense que c’est la tradition musicale la plus américaine, et elle remonte à notre fondation. Ils ont tous apporté leurs violons, car il était plus facile de transporter une guitare et un violon qu’un piano et une fanfare », a expliqué M. Benson.
Patie Birnie, le violoniste de Kinghorn, début du XVIIIe siècle, par William Aikman. Huile sur toile. National Galleries Scotland, Édimbourg. (Domaine public)
Pendant la période coloniale américaine, le violon était plus qu’un instrument de musique : c’était un symbole culturel. Bien que les immigrants européens ne pouvaient généralement qu’emporter des instruments facilement portables en raison de la longue traversée de l’Atlantique, ils apportaient néanmoins des richesses immatérielles. Ils se souvenaient d’une multitude d’hymnes et de chansons folkloriques, car une grande partie de leur histoire reposait sur la transmission de la musique à l’oreille.
Le musicien et compositeur écossais Phil Cunningham note : « Les chansons étaient le seul souvenir de leur pays d’origine auquel ils pouvaient se raccrocher. »
Le violon se prêtait bien aux numéros de danse, aux chansons sur le foyer, l’amour et la foi, et aux ballades populaires parmi les premiers Écossais-Irlandais d’Amérique. Les familles s’installaient souvent dans la région des Appalaches et dans les États du Sud comme le Tennessee.
« La musique d’antan »
Pendant que Fiddlin’ John Carson maniait son violon à Atlanta, un collectionneur de chansons folkloriques anglais, Cecil Sharp, et sa collègue Maud Karpeles parcouraient les Appalaches à la recherche des musiciens folkloriques américains. La popularisation de la musique folk a finalement donné naissance au style country-western, populaire dans les années 1940.
Mais au début des années 1900, la musique folklorique et ses déclinaisons étaient encore appelées « musique hillbilly », « musique de montagne » ou « musique d’antan ».
Une famille de migrants de l’Arkansas jouant des chansons « hillbilly » en Californie, 1939. Bibliothèque du Congrès. (Domaine public)
Selon le site du British Country Music Festival, « les chansons folkloriques que Cecil Sharp avait notées en Angleterre avaient été assimilées depuis l’Écosse […] et se sont répandues dans les comtés du nord de l’Angleterre. » M. Sharp a ensuite suivi la migration de ces chansons vers les États-Unis.
Au cours de leurs voyages, Cecil Sharp et Maud Karpeles ont rassemblé plus de 250 chansons folkloriques différentes qu’ils ont finalement publiées dans une série de recueils de chansons comme English Folk Songs from the Southern Appalachians. Ils étaient tous deux impressionnés par les talents musicaux des gens ordinaires.
Cecil Sharp a dit un jour : « Il n’existe pas deux chanteurs qui interprètent la même chanson de façon identique. » Il avait souligné que la culture des Appalaches regorgeait de « bons orateurs dotés d’une sagesse pleine de bon sens, d’un savoir abondant et d’une compréhension intuitive. » Il estimait que cela provenait d’un lien étroit avec la terre qui les entourait et du courage d’affronter la réalité.
Dans l’introduction de English Folk Songs from the Southern Appalachians, Maud Karpeles écrit que les musiciens de la culture « maintiennent un sentiment de continuité […] en renforçant, au lieu de détruire, leur culture traditionnelle. »
Frontispice de la publication de 1917 de English Folk Songs From the Southern Appalachians : Comprising 122 Songs and Ballads, and 323 Tunes (comprenant 122 chansons et ballades et 323 airs) par Cecil Sharp. Archives Internet. (Domaine public)
Ces piliers philosophiques allaient influencer le genre country en plein essor tout au long du XXe siècle, ses artistes mettant l’accent sur les valeurs de la famille, du patrimoine et du travail acharné, notamment celui de la terre. Les chansons country classiques regorgent de leçons de bon sens, car ce genre est centré sur le monde réel.
« Sentiment humain et imagination »
Dans l’un de leurs albums, Cecil Sharp et Maud Karpeles affirment que la musique et la poésie découlent de « l’expression vraie, sincère et idéale du sentiment humain et de l’imagination ». Plus que tout, c’est « l’incessante exigence humaine d’expression personnelle » qui est primordiale dans les chansons folkloriques.
L’une des chansons folkloriques américaines les plus marquantes, pleine d’expression et d’émotion, Wayfaring Stranger a des racines écossaises. La chanteuse country Emmylou Harris a inscrit la chanson au top 10 des tubes country en 1980. Mais bien avant ce succès, ses paroles ont circulé dans toute la région des Appalaches au milieu du XIXe siècle. Sa mélodie envoûtante remonte à bien plus loin.
Pochette de l’album Roses in the Snow d’Emmylou Harris, sorti en 1980, avec Wayfaring Stranger. Archives Internet. (Domaine public)
La musique de la chanson est inspirée de la ballade écossaise de 1724, The Dowie Dens o Yarrow. L’expression « Dowie Dens » signifie approximativement « vallées sombres », et la vallée de Yarrow traverse la région des Scottish Borders, qui comprend plusieurs comtés. Le récit de la chanson mêle difficultés et espoir, son message universel étant centré sur l’attente de jours meilleurs tout en traversant des périodes difficiles.
L’arrivée de la musique country
Lorsque M. Peer a donné le coup d’envoi du genre country tel que nous le connaissons aujourd’hui avec des groupes fondateurs comme The Carter Family, Jimmie Rogers et Fiddlin’ John Carson dans les années 1920, il a fallu attendre encore 20 ans avant que ce style musical ne soit rebaptisé « country and western ». À la fin des années 1940, grâce à l’utilisation du terme par Billboard, la musique « country & western » a connu un regain de popularité.
Dans les années 1950, la musique country est officiellement apparue lorsque des artistes comme Johnny Cash ont associé les styles country-western, bluegrass des Appalaches et folk au gospel et au blues du Sud.
Photographie de Johnny Cash tirée de son deuxième album studio The Fabulous Johnny Cash, 1958. Archives Internet. (Domaine public)
Même si M. Peer n’a initialement sorti que 500 exemplaires de The Little Old Log Cabin in the Lane de John Carson, le disque s’est vendu à 500.000 exemplaires.
« L’enregistrement de John Carson, qui jouait du violon en 1923, a ouvert la voie à ce que la musique country allait devenir », a souligné Lance Ledbetter, fondateur de la société de préservation musicale Dust-to-Digital, au Smithsonian Magazine.
Aujourd’hui, la musique country est un secteur en plein essor. Aux États-Unis, ce genre musical aurait généré un peu plus d’un milliard de dollars américains de revenus rien qu’en 2022. L’essor phénoménal de la musique country n’aurait pas été possible sans la contribution musicale des immigrants déterminés des îles britanniques qui ont fait le vœu de s’installer en Amérique. On dit que la maison est là où se trouve le cœur. Et pour des cultures comme les Écossais-Irlandais, le cœur a trouvé refuge dans la mélodie.
Publicité de Radio Digest du 7 novembre 1925 figurant dans le coffret de l’album The Old Hen Cackled And The Rooster’s Gonna Crow de Fiddlin’ John Carson. Archives Internet. (Domaine public)
Rebecca Day est une musicienne indépendante, une rédactrice freelance et la chanteuse du groupe de country The Crazy Daysies.