Quand l’information devient une arme

24 mai 2016 11:00 Mis à jour: 25 mai 2016 10:33

Un homme vêtu comme un soldat américain est apparu dans une vidéo en septembre 2015. Utilisant un fusil Saiga 401K de fabrication russe, il a tiré trois coups dans un exemplaire du Coran. La vidéo s’est répandue comme une traînée de poudre dans les communautés musulmanes en Russie où elle a provoqué la colère contre les États-Unis et ses forces armées. La vidéo venait stimuler les profonds sentiments anti-américains, comme lorsque le pasteur Terry Jones en Floride avait brûlé un Coran en 2011, ce qui avait provoqué des émeutes en Afghanistan causant la mort de 11 personnes.

Mais cette dernière vidéo n’était pas authentique. Selon une enquête de la BBC, elle avait été conçue par l’organe de désinformation russe, l’Agence pour l’étude d’internet, aussi appelée la « ferme aux trolls ».

Des histoires fabriquées semblables visant à ternir l’image de l’Occident ont récemment été relatées à l’Agence pour l’étude d’internet. Le New York Times Magazine a découvert en juin 2015 que cette agence avait fabriqué une histoire selon laquelle une entreprise de produits chimiques en Louisiane émettait des gaz toxiques et une autre disant qu’il y avait une épidémie d’Ebola à Atlanta.

Des opérations d’information du genre deviennent des outils de plus en plus utilisés par certains gouvernements. Pour ces derniers, l’information est une arme qu’ils utilisent pour renforcer leurs régimes et attaquer leurs ennemis.

Les États-Unis pourraient bientôt répliquer avec leur propre initiative visant à contrer la désinformation.

Le 16 mai, un projet de loi bipartite appelé le Countering Information Warfare Act of 2016 (loi pour contrer la guerre de l’information) a été présenté au Sénat, parrainé par le sénateur Rob Portman et coparrainé par le sénateur Christopher Murphy. Le projet a été lu à deux reprises et transmis au Comité des Affaires étrangères.mitraillette-news_20160624_EETWeb-valentin

Le projet de loi indique que des gouvernements étrangers, comme la Russie et la Chine, « utilisent la désinformation et autres outils de propagande pour saper les objectifs de sécurité nationale des États-Unis et de ses alliés et partenaires importants ».

M. Portman a souligné l’importance du projet de loi au cercle de réflexion Atlantic Council à Washington, D.C. le 12 mai dernier. « La Chine dépense des milliards de dollars chaque année pour sa propagande à l’étranger, tandis que RT, la chaîne de nouvelles en continu de l’État russe, dépenserait 400 milliards de dollars américains annuellement uniquement pour son bureau de Washington. »

Le dommage causé par la désinformation ne peut être ignoré, et la tactique de propagande est une menace sérieuse à la démocratie, selon Ronald J. Rychlak, professeur de droit à l’Université du Mississippi.

La désinformation est une forme particulièrement déviante de propagande.

M. Rychlak a coécrit le livre Disinformation avec le lieutenant-général Ion Mihai Pacepa, le responsable du renseignement du bloc soviétique au rang le plus élevé à avoir fait défection en Occident. Les deux auteurs abordent plusieurs des faussetés répandues par les Soviétiques qui sont aujourd’hui considérées comme des connaissances de base.

« Nous sommes une société qui repose sur la libre information, sur la confiance des gens envers l’information qu’ils reçoivent pour prendre de bonnes décisions », affirme M. Rychlak en entrevue téléphonique, ajoutant que ce système est sapé lorsque des gouvernements étrangers répandent intentionnellement de fausses informations. « Il est important que les gens soient au courant de cela, et d’une certaine manière de répliquer, parce qu’il est possible de corrompre tout un système de l’intérieur en fournissant de l’information comme cela », ajoute-t-il.

Stratégie de tromperie

La désinformation est une forme particulièrement déviante de propagande. Une méthode est de fabriquer des nouvelles, contenant parfois un grain de vérité, mais avec une conclusion erronée. Une autre méthode est d’orchestrer des événements, comme celui de la vidéo d’un soldat qui tire sur le Coran, et ensuite de faire circuler la vidéo ou la nouvelle du faux événement au sein de la population ciblée.

Cette tactique ne s’arrête pas à la fabrication de la nouvelle. À l’opposé de la propagande conventionnelle, qui est habituellement répandue par les organes officiels, un des objectifs principaux de la désinformation est d’inciter des experts et des médias étrangers à répandre la désinformation pour le compte de l’État.

À partir de là, les histoires fabriquées commenceront à prendre forme. Aussitôt qu’un média ou un expert diffuse la désinformation, l’État responsable pourra alors utiliser cette reprise comme source. Ensuite, un responsable du gouvernement fera une sortie publique pour dénoncer le pays ciblé, en citant le faux reportage, ce qui incite d’autres médias à diffuser la nouvelle.

Après l’agitation populaire soulevée, les dirigeants étrangers sont obligés de répondre. Avec chaque reportage et déclaration, la source de la désinformation est enterrée de plus en plus creux. L’objectif final est que les reportages erronés deviennent une information de base.

M. Rychlak affirme que lorsque l’on atteint cette étape, la désinformation « devient une partie de notre culture, une partie de nos connaissances adoptées, c’est pourquoi la désinformation est un outil si efficace pour nos ennemis ».

Le régime chinois a utilisé cette tactique pour justifier plusieurs de ses violations des droits de la personne.

Le 23 janvier 2001, cinq personnes se sont immolées sur la place Tiananmen à Pékin. Les organes officiels du régime chinois ont affirmé que ces individus étaient des pratiquants de Falun Gong. Cet incident a été utilisé par les autorités chinoises pour justifier la persécution qu’elles avaient lancée deux ans auparavant, mais qui avait reçu peu d’appui au sein de la population jusqu’à ce jour.

L’incident a été rapidement discrédité comme ayant été orchestré par le régime. Le Washington Post s’est penché sur deux des victimes et a rapporté, en février 2001, que personne ne les avait vues pratiquer le Falun Gong. Le documentaire False Fire a également trouvé plusieurs incohérences dans la vidéo du régime – notamment un endroit où on peut apercevoir un policier chinois tuer une des victimes alléguées en la frappant à la tête avec un objet.

Capture d’écran d’une vidéo de propagande chinoise disant que des pratiquants de Falun Gong se sont immolés sur la place Tiananmen en 2001. Cette vidéo a toutefois été discréditée en raison de ses nombreuses incohérences, notamment l’image d’un policier qui, au lieu de venir en aide à une des victimes, la frappe violemment à la tête avec un objet. (Capture d’écran CCTV)
Capture d’écran d’une vidéo de propagande chinoise disant que des pratiquants de Falun Gong se sont immolés sur la place Tiananmen en 2001. Cette vidéo a toutefois été discréditée en raison de ses nombreuses incohérences, notamment l’image d’un policier qui, au lieu de venir en aide à une des victimes, la frappe violemment à la tête avec un objet. (Capture d’écran CCTV)

Même si « l’auto-immolation » sur la place Tiananmen a été discréditée, encore aujourd’hui certains médias se réfèrent à l’incident et répètent la désinformation du régime chinois. Cette dernière, selon le Falun Dafa Information Center, a été utilisée par les autorités chinoises comme « prétexte pour justifier l’usage systématique de la violence et des emprisonnements extrajudiciaires contre les pratiquants de Falun Gong, menant à une augmentation rapide des décès causés par la torture et les abus en détention ».

Le régime chinois s’appuie aussi grandement sur la désinformation dans ses opérations pour discréditer les États-Unis et leur influence internationale. The Diplomat a rapporté en décembre 2015 que le Parti communiste chinois utilise plusieurs systèmes pour ces opérations, notamment une politique directrice sous sa doctrine des Trois guerres comprenant la guerre juridique, la guerre psychologique et la guerre médiatique ; des opérations militaires d’influence menées par son Département politique général ; et des opérations d’espionnage menées par le Second département. La stratégie des Trois guerres vise à créer une perception de légitimité pour son appropriation territoriale en mer de Chine méridionale et pour d’autres opérations militaires, tout en tentant de discréditer les actions militaires des autres pays.

Selon le cercle de réflexion Project 2049 Institute, le projet de loi du Sénat visant à contrer la propagande chinoise serait une première aux États-Unis. « Depuis plus de dix ans, le Pentagone est au courant de l’expansion des capacités chinoises en matière de guerre de l’information, cependant aucune agence gouvernementale ne s’occupe de développer une stratégie pangouvernementale pour contrer la menace de la guerre de l’information », indique l’institut.

Le projet de loi indique que la Russie, d’autre part, utilise de plus en plus la désinformation pour poursuivre « des objectifs politiques, économiques et militaires en Ukraine, en Moldavie, en Géorgie, dans les Balkans et à travers l’Europe centrale et l’Europe de l’Est ».

Le projet de loi pour contrer la guerre de l’information vise principalement les campagnes de désinformation qui menacent la sécurité nationale des États-Unis et celle de ses alliés, mais il tenterait également « de protéger et de promouvoir une presse libre, saine et indépendante dans les pays vulnérables à la désinformation étrangère ».

La guerre des mots

Si le projet de loi est adopté, un nouveau bureau serait créé sous le Département d’État pour identifier et pour dénoncer ouvertement la désinformation étrangère.

Selon William Triplett, un ancien membre de l’administration Reagan et de la communauté du renseignement américaine, il pourrait être difficile pour le projet de loi d’atteindre cette étape.

Si nous sommes une république qui repose sur l’idée d’une population informée qui prend des décisions, nous devons être capable de discerner.

– Ronald J. Rychlak, professeur de droit à l’Université du Mississippi.

Selon M. Triplett, le problème est que les efforts d’identifier la désinformation chinoise, en particulier, vont irriter les nombreuses organisations qui reçoivent de l’argent de la Chine, comme les organisations médiatiques qui distribuent des encarts de propagande chinoise (comme le New York Times et le Washington Post qui distribuent le China Daily, le principal organe de propagande en langue anglaise du régime chinois), les entreprises avec des intérêts financiers en Chine ou les agents chinois qui travaillent dans différents domaines au sein de la société américaine.

M. Triplett estime que le projet de loi est important, mais il croit qu’il devra être renforcé pour briser les résistances.

Tandis que M. Rychlak est aussi d’accord qu’il est important de contrer la désinformation, il exprime aussi certaines réserves. Le problème pour lui n’est pas l’adoption de la loi, mais plutôt les problèmes qui pourraient survenir par la suite.

Il affirme que si le gouvernement américain met sur pied une organisation dont la mission est d’identifier et de dénoncer la désinformation étrangère, cette organisation « sera la première chose que nos ennemis tenteront de contrôler ».

Il ajoute que c’est également risqué, étant donné que cette agence aurait l’autorité de déterminer quelle information est véridique et quelle information ne l’est pas.

Toutefois, il ajoute que « si nous sommes une république qui repose sur l’idée d’une population informée qui prend des décisions, nous devons être capable de discerner et c’est quelque chose que la plupart des individus ne sont pas en mesure de faire, faute de ressources ou d’habiletés ».

Dans les premiers 180 jours après son adoption, le projet de loi mettrait sur pied un Centre d’analyse et de réponse à l’information, en coordination avec le secrétaire d’État, le secrétaire de la Défense, le directeur du renseignement national, le Conseil des gouverneurs de la diffusion et d’autres départements et agences.

Le nouveau centre serait ensuite chargé de collecter et d’analyser l’«effort de guerre» des gouvernements étrangers à l’information et de trouver des moyens de concevoir une stratégie nationale. Le centre aurait également 20 millions de dollars américains pour obtenir l’aide de journalistes, d’ONG, d’entreprises privées et d’universitaires.

Le centre aurait également pour tâche d’identifier les méthodes utilisées par les autres pays dans leurs campagnes de désinformation, notamment les groupes de façade se cachant derrière des cercles de réflexion, les partis politiques et les ONG, et leur utilisation d’espions pour « influencer les populations et gouvernements ciblés ».

Alors que ce concept pourrait sembler farfelu, il est bien ancré dans la réalité. En 2010, le FBI a arrêté dix espions des services de renseignement russes qui visaient à infiltrer des cercles de réflexion et des ONG américains.

Le centre travaillerait avec différents départements pour « dénoncer et contrer » les opérations d’information avec ses propres « narratifs factuels qui soutiennent les alliés et intérêts des États-Unis ».

Epoch Times a également révélé plusieurs programmes d’espionnage chinois axés sur les opérations d’influence. Michel Juneau-Katsuya, un ex-chef de la section Asie-Pacifique au Service canadien du renseignement de sécurité, a indiqué à Epoch Times en juin 2015 que « le nombre important d’espions qui a été déployé, le nombre important d’agents d’influence qui a été déployé – c’est absolument phénoménal. C’est du jamais vu dans l’histoire du monde».

Version originale : US Senate Bill Seeks to Shine Light on Foreign Disinformation

 

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