ENTRETIEN – Une note rédigée par la DGSI, la DGSE, la Direction du renseignement militaire, la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense que l’hebdomadaire L’Express a obtenu fait état du degré élevé de la menace russe en France.
Loup Viallet est géopolitologue et directeur du média Contre-Poison. Si la France est particulièrement ciblée par la Russie, c’est en raison de son statut de puissance mondiale dont elle jouit encore, explique-t-il.
Epoch Times : Au regard de ce rapport, peut-on dire que la Russie est plus que jamais une menace pour la France ?
Loup Viallet : Indubitablement. Mais, si la Russie est sans doute l’une des puissances les plus ouvertement hostiles à notre pays, elle n’est pas la seule à chercher à nous déstabiliser. Beaucoup plus discrète, mais non moins menaçante, la Chine infiltre l’enseignement supérieur, l’innovation et le secteur industriel français en s’appuyant sur sa diaspora, ses étudiants étrangers et les partenariats de ses grandes entreprises avec des laboratoires de recherche français ou avec des universités françaises. Elle cherche ainsi à exploiter nos avancées technologiques et concurrencer nos productions nationales (le recrutement de notre ancien ministre de l’Intérieur et de l’influenceuse Magali Berdah au service de la marque chinoise de fast-fashion Shein représentent un scandale de ce point de vue).
La Turquie et l’Algérie instrumentalisent aussi leurs diasporas à des fins politiques en France (700.000 franco-turcs contre 2,6 millions de franco-algériens et jusqu’à 6 millions de descendants d’Algériens) et l’Azerbaïdjan soutient depuis deux ans les indépendantistes ultra-marins.
La France est plus vulnérable que jamais aux ingérences extérieures, sur tous les plans, dans tous les domaines.
« La mention de frappes possibles de missiles conventionnels contre le territoire national est inédite depuis la fin de la Guerre froide », est-il écrit en introduction du rapport. Estimez-vous que nous sommes en train de vivre une nouvelle Guerre froide avec Moscou ?
Je ne sais pas si la comparaison avec la Guerre froide rend véritablement compte de la réalité. Bien sûr, sur certains aspects, nous vivons une continuité de la Guerre froide, je pense notamment à l’action de déstabilisation des alliances de la France en Afrique par Moscou.
Mais la « bipolarisation » du monde qui structurait la guerre froide n’existe plus. Nous traversons une époque multiconflictuelle, déstructurée, où chaque puissance tente de maximiser son rapport de force, et où les alliances ‘’traditionnelles’’ depuis 1945 sont de plus en plus incertaines.
Nous traversons une sorte d’inter-règne, où l’ordre mondial cherche une nouvelle architecture. Entre puissances nucléaires, les escalades verbales sont toujours possibles et permettent de déstabiliser psychologiquement un adversaire, mais l’éventualité d’une guerre conventionnelle semble peu probable.
Sait-on si aujourd’hui la France fait partie des pays les plus ciblés par la Russie ?
La France est particulièrement ciblée par la Russie, à cause de son statut de puissance mondiale, du prestige dont elle jouit encore, de son poids économique et politique en Europe, et surtout en raison du niveau élevé de son exposition aux ingérences extérieures. La Russie appuie sur les faiblesses de ses adversaires pour les rendre encore plus vulnérables. Et nos faiblesses sont nombreuses.
C’est pourquoi Moscou a choisi de déstabiliser nos confins : ingérences à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Guyane, en Guadeloupe, en Polynésie… Cette stratégie est paralysante. Elle se double d’une autre stratégie, qui vise autant la France que l’Europe de l’Ouest : l’étranglement sécuritaire de l’Europe que Moscou développe à l’est, par la guerre en Ukraine, et au sud, où la Russie est devenue le nouveau gendarme (hostile) de l’Europe en soutenant des régimes faillis au Sahel, en resserrant son alliance avec l’Algérie et en installant des bases militaires en Libye.
Cette démultiplication des crises sécuritaires contraint la France a un « dilemme stratégique ». Nous avons une petite armée, puissante, mais avec des moyens limités. Elle ne peut intervenir partout. Pour le moment, nous sommes dépassés. La Russie nous a mis dans une impasse stratégique qui nous mène à l’impuissance.
Aujourd’hui, la France répond-t-elle, selon vous, de manière suffisamment ferme à Moscou ?
La France d’Emmanuel Macron est complètement dépassée par les ingérences étrangères et par la menace russe en particulier. C’est sous Emmanuel Macron que Moscou est devenue le maître de notre frontière sud. C’est impardonnable. L’attentisme macronien a déjà des conséquences désastreuses sur notre sécurité.
Diriez-vous que la société française a conscience de cette menace ?
Une partie de la société française en a conscience, une partie seulement. Cette menace, si elle est profonde, n’est pas la plus visible. Schématiquement, les élites françaises (incarnées par les partis et médias de centre droit, le ‘’bloc élitaire’’) dénoncent violemment la menace russe, tout en oubliant l’action délétère de la Russie au sud de nos frontières, son instrumentalisation des faiblesses de l’Afrique, des flux migratoires africains et nord-africains aux fins d’affaiblir les sociétés européennes et la France en particulier.
Une grande partie du peuple français ignore cette stratégie pour n’en voir que les effets. Pour de nombreux Français, l’Algérie, qui menace la France, instrumentalise sa diaspora et refuse de reprendre ses migrants sous OQTF, représente une menace bien plus grande. En réalité, les deux sujets sont liés.
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