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Matthieu Grimpret : « La psychologie positive a supplanté le principe de transmission des savoirs »

ENTRETIEN – Matthieu Grimpret a enseigné l’histoire-géographie en lycée et dans l’enseignement supérieur, notamment à Sciences Po. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, en dernier lieu Bullshit bienveillance – Enquête sur la psychologie positive à l’école (Magnus, 2025). Dans cette enquête, il décrypte l’impact de la bienveillance sur les élèves et plus largement l’école. Une bienveillance qui a pour source le pédagogisme et la psychologie positive.

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Photo: Crédit photo : Maxime Cussac

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Durée de lecture: 5 Min.

Epoch Times – Quand le pédagogisme et la psychologie positive ont-ils fait leur entrée dans l’Éducation nationale ?
Matthieu Grimpret – Le pédagogisme est apparu en même temps que les soi-disant théories nouvelles de l’instruction à la fin du XIXe siècle. Sans doute pour concurrencer ce qui allait devenir la tradition républicaine de l’école.
Les racines du pédagogisme ont beaucoup à voir le marxisme qui avait déjà rencontré un franc succès dans les milieux intellectuels et politiques. Il reprend d’ailleurs la dialectique de Karl Marx.
De la même manière que le marxisme oppose la bourgeoisie au prolétariat, le pédagogisme, lui, oppose l’élève au maître. À tel point d’ailleurs que certains auteurs comme Célestin Freinet ou Jean Piaget reprennent cette dialectique de l’affrontement.
Par exemple, dans Le jugement moral chez l’enfant, Jean Piaget explique que l’élève doit devenir le « législateur et le souverain. » Une citation tout à fait typique d’un renversement entre celui qui est censé posséder le savoir, le maître, et celui qui est censé le recevoir, l’élève.
Voilà les racines du pédagogisme. Évidemment, à l’époque, il n’a pas été formalisé comme tel. Il a fallu attendre les années 1960-1970 pour cela. Son apogée fut la loi Jospin de 1989.
Ce texte législatif a consisté à mettre l’élève au centre du système et à faire en sorte qu’il soit le créateur de son propre savoir.
La thèse de mon livre, c’est de dire que ce pédagogisme a vidé l’école de sa substance parce que l’affrontement maître-élève qu’il prônait, en fin de compte, n’a été remporté par personne. Il a défait à la fois le maître et l’élève.
Et sur ce vide créé par l’échec du pédagogisme est venue s’installer la psychologie positive, qui a quant à elle achevé le principe de transmission des savoirs pour ensuite le remplacer par le bien-être de l’élève.
La bienveillance que vous qualifiez dans votre ouvrage de « bullshit bienveillance » résulte des approches que nous venons d’évoquer. Pourquoi employez-vous le terme « bullshit » ?
Il s’agit d’un clin d’œil au livre Bullshit Jobs du sociologue américain David Graeber dans lequel il décrit les emplois inutiles dans les grandes entreprises.
Pour ma part, je ne m’insurge pas contre la bienveillance en tant que telle, mais contre cette bienveillance présente dans notre système scolaire. Je dénonce le simulacre qu’il y a derrière le règne de la bienveillance à l’école, c’est-à-dire la mise en application de la psychologie positive.
Cette bienveillance n’est pas sincère. Elle est même paresseuse, pour citer Aristote. Elle n’est pas authentiquement mise au service du bien de l’élève. Et c’est en ce sens qu’elle est « bullshit ».
Les conséquences de cette bienveillance ont été dramatiques, aussi bien pour les élèves que pour les enseignants ?
Oui. Si vous mettez le bien-être de l’élève au centre de tout comme critère d’évaluation des comportements, des pédagogies et aussi de l’efficacité scolaire académique, vous vous opposez complètement à la mission essentielle de l’école qui est d’instruire.
D’ailleurs, l’instruction, la transmission et l’acquisition du savoir ne se concilient pas toujours avec le bien-être. En réalité, la bienveillance va même à l’encontre de l’excellence scolaire.
Et cette bienveillance fait régner dans le monde enseignant une atmosphère de « positivité obligatoire » pour reprendre une expression de Philippe Muray.
Il y a une espèce de terreur de la positivité qui s’exerce sur les professeurs, à qui on dénie le droit de contraindre les élèves alors qu’il ne peut y avoir de transmission des savoirs sans contrainte.
Aujourd’hui, diriez-vous que les enseignants sont dans leur majorité partisans de cette bienveillance ? Ou sont-ils au contraire nombreux à la dénoncer ?
Je pense que de plus en plus d’enseignants dénoncent l’injonction à la bienveillance. Ceux qui y adhèrent sincèrement ou par résignation sont une minorité.
Je crois que la plupart des enseignants cherchent avant tout à transmettre leurs connaissances.
Quelles solutions proposez-vous pour mettre un terme à la « bullshit bienveillance » ?
Réaffirmons que la mission essentielle de l’école est la transmission des savoirs.
Et puis, rétablissons ce que j’appelle l’école de la règle. Nous devons instaurer de vraies règles et faire en sorte qu’elles  priment sur la subjectivité de l’élève, mais aussi celle de l’enseignant.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.