Michel Onfray : « Le pape François fut le pape de la mondialisation haineuse de l’Occident européen blanc »

Par Etienne Fauchaire
26 avril 2025 21:47 Mis à jour: 27 avril 2025 13:36

ENTRETIEN – Alors que le pape François vient de rejoindre sa dernière demeure, Michel Onfray brosse pour Epoch Times le tableau sans fard d’un pontificat qui, estime-t-il, a tissé, sous les oripeaux de l’humilité, une œuvre d’effacement du catholicisme dans les eaux troubles du mondialisme. Mais à l’heure où l’âme de l’Occident vacille, le philosophe auteur du célèbre Traité d’athéologie rappelle que, même athée, il est des héritages civilisationnels que l’on défend comme une citadelle en péril.

Epoch Times : Le pape François est mort ce 21 avril 2025, un lundi de Pâques. Que retiendrez-vous de son action en qualité de chef d’Église et d’État ?

Michel Onfray : Je suis né en 1959. À cette heure, j’ai donc connu six papes : Jean XXIII, initiateur du Concile Vatican II ; Paul VI, qui l’achève ; Jean-Paul Ier, qui prend les prénoms des deux papes de ce concile pour annoncer qu’il s’inscrira dans cette modernité ; il meurt un mois plus tard dans des conditions jamais élucidées, comme on sait. Le pape suivant inscrit doublement son magistère dans ce lignage puisqu’il prend pour nom Jean-Paul II. Benoît XVI prend la suite d’un Benoît XV, dont le pontificat débute avec le XXᵉ siècle, partisan en son temps de l’antimodernisme, alors qu’il avait soutenu Vatican II et semblait en être revenu…

François fut tellement jésuite, confesseur des puissants, qu’il a choisi le nom de François d’Assise, le saint des plus pauvres, en prenant la suite non pas d’un pape mais d’un saint, ce qui, loin de l’image qu’il voulait donner d’humilité, relevait d’un très grand orgueil…

Cette vanité allait jusqu’à feindre l’humilité en le faisant se déplacer en Fiat 500, sans que personne ne lui dise qu’une telle affectation d’humilité porte la vanité et l’orgueil à leur point d’incandescence. Le pape François fut le pape de la mondialisation haineuse de l’Occident européen blanc.

À ce sujet, le pape François estimait que la « vraie foi » catholique impliquait l’accueil des migrants, comme il l’a soutenu lors d’une homélie, très politique, en avril 2023. Dans un contexte où les migrations engendrent des conséquences sécuritaires, sociales, culturelles et économiques lourdes pour les pays d’accueil, le multiculturalisme relève au contraire de l’expression d’un égoïsme idéologique élitaire et déconnecté des intérêts de la majorité, dénoncent les critiques de cette idéologie. À vos yeux, les discours pro-migrants du jésuite argentin s’inscrivaient-ils à l’encontre de l’esprit de charité porté par le catholicisme ?

C’est ce même pape qui se trouve derrière un décret, le 19 décembre 2024, signé par le cardinal Fernando Vérgez, président de la commission pontificale pour l’État de la Cité du Vatican, pour limiter drastiquement les conditions d’entrée dans l’État du Vatican : des amendes de 10 à 25.000 euros pour une entrée non autorisée ; une peine d’emprisonnement d’un à quatre ans pour qui entre sur le territoire du Vatican avec violence, menaces, tromperie ; des amendes de 2 à 5000 euros pour qui utilise un permis périmé ou ne respecte pas les conditions d’entrée ; des peines aggravées pour qui utilise des armes, des substances corrosives, des déguisements, des véhicules ; un refus d’entrée signifié aux coupables d’une entrée illégale allant d’une année à quinze ; une juridiction expéditive pour les contrevenants jugés le lendemain de leur interpellation.

Le cardinal disait : « L’ouverture du Vatican au monde doit coexister avec la sécurité nécessaire pour préserver son cœur spirituel et administratif (sic). » Le franciscain qui roule en Fiat 500 dit au monde : « Quiconque n’ouvre pas son pays aux migrants est un pécheur », il va jusqu’à traiter l’Europe de « vieille femme stérile » parce qu’elle ne le ferait pas assez, selon lui. Pendant que le jésuite qui jouit de la pompe pontificale dit : « Mais pour le Vatican, frontière, amendes, punition et peine de prison pour les migrants qui les franchissent illégalement. »

L’arrivée massive, au fil des dernières décennies, de populations originaires de pays musulmans en Europe suscite la crainte d’une islamisation progressive du continent. Dans ce contexte, les déclarations du pape François, en tant que chef de l’Église catholique, sur l’islam ont interpellé de nombreux chrétiens, et au-delà. « Le véritable islam et une interprétation adéquate du Coran s’opposent à toute violence », affirmait-il en 2013, ajoutant, trois ans plus tard : « Si je parlais de violence musulmane, je devrais également parler de violence catholique ». Selon vous, quels sont les ressorts qui ont animé la posture adoptée par le souverain pontife vis-à-vis de cette religion au cours de son pontificat ?

Un œcuménisme, si l’on veut être aimable ; un militantisme mondialiste, si l’on ne veut pas l’être. Car, soit le Pape a lu le Coran et il n’a pas vu les sourates antisémites, bellicistes, agressives, guerrières, ce qui serait un signe d’incapacité à lire et à comprendre ce qu’il lit — je ne veux pas croire à cette hypothèse — ; soit il a lu, il a compris — ce que je crois — et il ment pour mener à bien son projet mondialiste, comme tous les partisans de ce camp-là.

Même chose avec les hadiths du Prophète ou sa biographie : tout montre que l’islam affirme — c’est une phrase de Mahomet — que « le paradis est à l’ombre des épées ».

Par ailleurs, tant d’amour pour une religion qui méprise le christianisme, et tant de mépris pour la religion chrétienne dont il est censé assurer la vie, l’existence et la survie, ne cessent d’interroger sur les motifs de cet homme à professer pareilles contre-vérités.

Benoît XVI qui, lui, a dit des choses justes sur l’islam dans son Discours de Ratisbonne en 2006, a été — c’est mon hypothèse — poussé vers la sortie pour avoir clairement nommé les choses.

Durant son pontificat, le pape François s’est refusé à se rendre officiellement en France. Que ce soit en 2014, lors de sa venue au Parlement européen à Strasbourg ou encore en 2023, à l’occasion de son déplacement à Marseille, il avait tenu à préciser « ne pas venir en France », quitte à susciter la polémique par l’incongruité de ses propos. Comment expliquer cette distance assumée, sinon cette déconsidération délibérée à l’égard de la France ?

Cet homme disposait d’un psychisme abîmé… Pas de visite en Argentine, son pays natal, en tant que pape ; fâcherie avec sa famille restée là-bas ; ardeur vindicative et mordante, assez peu chrétienne au demeurant, à vouloir venir à Marseille, mais pas en France, en Corse, mais pas en France, et ce au mépris de toutes considérations géographiques élémentaires : Marseille et la Corse sont en France, évidemment !

De même, refuser de venir à la réouverture de Notre-Dame de Paris après travaux, alors qu’il aurait pu y manifester aux yeux du monde, devant Trump et Musk entre autres, la primauté du spirituel, n’est pas à la hauteur d’un prélat digne de ce nom.

À sa place, Benoît XVI aurait écrasé la valetaille people… Il ne fut là ni jésuite, ni franciscain, mais tout bonnement le sujet d’un Pascal qu’il prétendait aimer, et à qui l’on doit cette sentence si vraie : « Que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordures ! » Il fut ici humain, très humain, et assez peu chrétien, encore moins le premier d’entre les chrétiens.

Si le pontife argentin a ouvert la bénédiction aux couples homosexuels, dans le même temps, il a poursuivi sa mise au pas des traditionalistes au sein de l’Église catholique, en restreignant en juillet 2021 l’usage du rite tridentin, arguant que le seul rituel légitime dans l’Église latine est celui issu du Concile Vatican II. Vous avez qualifié ce concile, tenu entre 1962 et 1965, de « Mai 68 de l’Église catholique ». Pouvez-vous rappeler quels changements fondamentaux ont été introduits par Vatican II, et quelles en ont été selon vous les principales conséquences ?

Voilà un immense chantier ! Pour le dire en un mot, sans entrer dans le détail — ce qui le mériterait pourtant — Vatican II (1962-1965) déchristianise le christianisme en le laïcisant, en le privant de tout rapport à la transcendance, c’est-à-dire au sacré et à la hiérarchie (qui, étymologiquement, signifie : le pouvoir du sacré).

On remplace le chant grégorien par la guitare, le sermon édifiant en chaire par le discours boy-scout dans un micro crachouillant avec ses effets Larsen ; on tutoie Dieu dans les prières ; on tourne le dos au saint-sacrement pour s’adresser aux fidèles face à face ; on supprime la confession auriculaire au profit d’un examen de conscience silencieux entre soi et soi ; on prend soi-même l’hostie dans ses mains mal lavées, etc.

On tourne le dos à l’Orient, d’où vient la lumière au sens étymologique : on dés-oriente.

Le prêtre est devenu un copain, un conseiller conjugal, un psychologue, une assistante sociale, une bonne à tout faire des mariages ou des enterrements parce que la religion offre un rituel cérémonial sans alternative crédible.

Vous affirmez que l’Église catholique « donne le pouls de notre civilisation » ; on vous a d’ailleurs déjà défini comme un « athée catholique ». Selon vous, renouer avec nos racines chrétiennes est-il une condition nécessaire au redressement, ou à la survie, de la civilisation occidentale ?

Je ne suis pas un « athée catholique », ça n’aurait pas de sens… Je suis un athée formaté dans une tradition catholique. Je suis baptisé, mais ça ne fait pas de moi un catholique. Ça n’est pas suffisant, sauf pour les registres administratifs de l’évêché… Pour l’être, il faut croire à un certain nombre de thèses ! J’ai écrit Théorie de Jésus. Biographie d’une idée pour dire que je ne croyais pas à un Jésus historique. Voilà pourquoi je ne saurais me dire catholique.

En revanche, je défends la civilisation judéo-chrétienne rendue possible par cette fiction conceptuelle qu’est Jésus-Christ. Pour l’heure, le nihilisme qui prend la suite n’est pas souhaitable. Je me trouve donc du côté de ceux qui résistent à ce nihilisme-là : les chrétiens, avec leur religion ; moi, à leurs côtés, avec mon bagage philosophique qui va d’Héraclite à Günther Anders, via Augustin et Bergson. Que Jésus ait été un philosophe juif sans existence historique ne me pose pas de problème : je l’intègre dans ces deux mille ans de civilisation que je défends à l’heure de son effondrement.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.