Ce que le «mythe d’Er» de Platon nous apprend aujourd’hui – Partie 3

Un rappel que nous sommes capables de choisir notre destin

Par James Sale
9 mars 2023 19:15 Mis à jour: 21 août 2023 17:54

Platon est à juste titre considéré comme l’un des plus grands philosophes du monde. Le philosophe du XXe siècle A.N. Whitehead a d’ailleurs déclaré un jour que toute la philosophie occidentale n’était qu’une « série de notes en bas de page sur Platon ».

À la fin de son livre La République, Platon raconte le curieux mythe d’Er. Le terme « mythe » a ici un sens grec ancien de « récit », plutôt que le sens que nous lui donnons aujourd’hui, à savoir quelque chose de faux ou une histoire traditionnelle impliquant des êtres surnaturels, des héros, des dieux, des quêtes et d’autres choses du même genre.

Il se trouve que ce mythe – récit – d’Er implique des êtres surnaturels ! Mais il ne s’agit pas de l’histoire d’un mythe grec ancien, il s’agit d’un récit philosophique sur la manière dont la réalité peut être structurée.

Pour ces raisons, avec le fait qu’il ne s’agisse pas d’un mythe traditionnel (et qu’il ne figure donc pas dans la plupart des recueils de mythes grecs) et qu’il ait été écrit par un philosophe (n’oubliez pas que Platon voulait interdire les poètes parce qu’ils étaient trop subversifs), nous hésitons à lui accorder un statut ou une crédibilité trop importants. Mais, encore une fois, il émane de l’un de nos plus grands et profonds ancêtres et, pour notre part, nous le respectons beaucoup.

Qu’est-ce que le « mythe d’Er » et en quoi est-il utile aujourd’hui ?

Le «  mythe d’Er », œuvre de Platon, raconte comment un guerrier est autorisé à voir les âmes jugées après la mort. (Thanasis F/Shutterstock)

Le mythe d’Er

Illustration moderne d’un passage du « Mythe d’Er », où Ananke, personnification de la Nécessité, est au-dessus des Moirai, les Parques. Tirée du Magasin Pittoresque, 1857, par Edmond Lechevallier-Chevignard. (PD-US)

Er était un homme qui mourut au combat et qui, avec d’autres morts, fut conduit dans l’au-delà. Là, il arriva dans un endroit merveilleux où il y avait des juges qui décidaient de l’endroit où l’on devait aller dans l’au-delà. Il y avait deux portes vers le ciel (une entrée, une sortie), et deux portes vers la terre (à nouveau, une entrée et une sortie). Les bonnes âmes étaient dirigées vers le ciel et les mauvaises étaient envoyées sur terre. Le héros, Er, n’était envoyé ni dans l’un ni dans l’autre, mais on lui demandait de rester là où il était afin qu’il puisse voir tout le processus et rapporter aux vivants ce qu’il se passait après la mort.

Que s’est-il passé ? Ceux qui allaient au ciel revenaient tous propres et heureux, rapportant des images d’une beauté indescriptible ; ceux qui revenaient de la terre étaient sales et misérables. En fait, ces derniers avaient dû passer mille ans à expier dix fois tous les péchés qu’ils avaient commis.

En outre, certains individus – des tyrans, meurtriers et autres coupables des péchés les plus graves – n’étaient pas autorisés à revenir ; leurs âmes étaient continuellement écorchées. Mais pour ceux qui pouvaient revenir, leur voyage n’était qu’une étape. Après sept jours supplémentaires, ils se réunissaient tous dans une prairie avec Nécessité, ses filles (les Parques) et les Sirènes.

C’est là qu’a lieu une loterie où il est clair que le choix de chaque individu relève de sa propre responsabilité. En somme (c’est un peu philosophique de la part d’un philosophe), le choix qu’ils font doit montrer qu’ils ont appris de leurs expériences, à la fois dans leur vie physique et dans ce qui leur est arrivé jusqu’à présent dans l’au-delà.

À ce stade, chaque individu peut choisir de se réincarner en un autre être humain ou même en un animal. Avant cela, il boit l’eau de l’oubli et commence ainsi sa nouvelle vie en faisant table rase du passé. Cependant, le fait est que l’âme revenait à la vie parce qu’elle est immortelle.

Er n’a pas bu ces eaux, et il a donc été capable (au 10e jour) de se réveiller sur le bûcher funéraire qui était sur le point de disperser ses restes et de revenir à la vie pour expliquer ce qu’il se passait réellement après la mort.

En quoi cela est-il pertinent ou important aujourd’hui ? Ne s’agit-il pas d’une simple théorie, même si elle est de nature philosophique ?

Nos âmes sont immortelles

Dans le « mythe d’Er », les âmes s’abreuvent au fleuve Léthé et oublient leurs vies antérieures. Sculpture du « Léthé », 1908, par Wilhelm Wandschneider. Collection de cartes postales. (PD-US)

Nous pensons que cette histoire est importante pour quatre raisons. La première, et peut-être la plus importante de toutes, est que le grand philosophe Platon semble se rallier à la sagesse des temps anciens, à savoir qu’il croyait en l’existence d’une âme immortelle.

L’âme est une chose que toutes les cultures du passé connaissaient et vénéraient, qu’il s’agisse des cultures sumérienne, babylonienne, égyptienne, grecque, romaine, nordique et celtique, sans parler des grandes religions d’aujourd’hui, notamment l’islam, l’hindouisme, le christianisme, le judaïsme et même le bouddhisme. Je mentionne le bouddhisme en dernier lieu en raison de ses propres notions sur la réincarnation, qui correspondent en partie à la version de Platon.

Gardez à l’esprit que la réincarnation peut être, à sa manière, une forme d’expérience de l’enfer, car, comme l’observe Er, tous ceux qui choisissent leur nouvelle vie ne le font pas à bon escient.

Dans le monde matérialiste dans lequel nous vivons aujourd’hui, cela peut sembler désuet et hors de propos, mais le poids de cette histoire est important. Pour l’ignorer, il faudrait rejeter tous les peuples religieux anciens et actuels, les considérer comme des ignorants primitifs, et faire preuve d’une arrogance aux proportions si stupéfiantes que seul le mot grec hubris (orgueil démesuré) permettrait vraiment d’atteindre la racine du problème.

Cela nous amène au deuxième point.

Nous serons jugés

Presque toutes les religions parlent d’un jugement dernier. « Le jugement dernier », vers 1595, par Leandro Bassano. Musée national d’art occidental, Tokyo. (PD-US)

Si l’on admet l’immortalité de l’âme, il y a aussi son jugement dans l’au-delà. Si la croyance en l’immortalité de l’âme est une notion impopulaire en Occident, le « jugement » – l’obligation de rendre des comptes dans l’après-vie – l’est encore plus et doit être évité. Nous n’aimons tout simplement pas penser que nous sommes responsables de nos actes, même si nous avons tous une conscience. Tant que nous n’avons pas enterré ou étouffé notre conscience, elle nous avertit de nos actes répréhensibles par le biais des émotions de culpabilité, de honte, de remords et d’autres sentiments de ce type.

En Occident, nous cherchons plutôt à saper ce jugement. Nous le faisons avant tout en dénaturant le langage. Comme le dit David Brooks, chroniqueur au New York Times et auteur, dans son livre The Road to Character  :

« Lorsque la culture moderne tente de remplacer le péché par des idées telles que l’erreur ou l’insensibilité, ou tente de bannir complètement des mots tels que « vertu », « caractère moral », « mal » et « vice », cela ne rend pas la vie moins morale ; cela signifie simplement que nous avons obscurci l’inéluctable noyau moral de la vie avec un langage superficiel… De plus, le concept de péché est nécessaire parce qu’il est radicalement vrai ».

Le vocabulaire de base de la morale

Une page d’un manuscrit de la Renaissance de la « République » de Platon en latin. Le « Mythe d’Er » figure à la fin de l’œuvre de Platon. (PD-US)

Ceci nous amène à notre troisième point sur l’importance du mythe d’Er : l’histoire souligne la nécessité de la responsabilité personnelle. Bien sûr, si nous n’avons plus le vocabulaire de base de la moralité – des mots comme « bien » et « mal », par exemple, il nous est beaucoup plus difficile d’assumer nos responsabilités. Dans les années 1950, l’humaniste chrétienne Dorothy L. Sayers déclarait : « Notre confiance dans des facultés, telles que la volonté et le jugement, a été ébranlée et, en s’effondrant, a emporté avec elle une bonne partie de notre intérêt pour nous-mêmes en tant qu’individus responsables. »

Choisir son destin

Le « Mythe d’Er » de Platon raconte l’histoire d’âmes jugées. Détail de l’archange Saint-Michel pesant les âmes, tiré du retable du « Jugement dernier », 1446-1452, de Rogier van der Weyden. Salle Saint-Louis du Louvre. (PD-US)

Enfin, le quatrième point est une conséquence du troisième point : l’importance des choix que nous faisons. Ces choix déterminent tout, comme si dans ce « tout » se trouvait notre destin ou notre futur.

Il est intéressant de noter que dans le mythe, les trois Parques (filles de la Nécessité) sont présentes lors du tirage au sort. Comme nous le disons aujourd’hui, les choix ont des conséquences, mais de plus en plus de gens semblent vouloir ignorer ce fait. L’écrivain et philosophe Ayn Rand a eu un merveilleux aphorisme qui résume parfaitement la question : « Nous pouvons ignorer la réalité, mais nous ne pouvons pas ignorer les conséquences de l’ignorance de la réalité. »

Une autre façon d’exprimer cette vérité est de dire que la vie a un sens parce qu’elle est morale. Il y a le bien et le mal, et le « Fuseau de la Nécessité » (représentant l’univers dans le mythe d’Er) maintient cette structure. Cela nous ramène directement au point numéro deux : il y aura un jugement.

Il s’agit là d’un antidote important à la plupart de nos pensées et croyances contemporaines, quelle que soit notre confession religieuse : l’âme est immortelle. Il y a un jugement après la mort. (Bien que souvent dans la vie aussi, car comme le disent les bouddhistes, « vous ne serez pas punis pour votre colère, vous serez punis par votre colère » ).

Nous sommes responsables de nos actes et les choix que nous faisons ont donc des conséquences éternelles. Croire en ces propositions élève la vie humaine, car comme l’a fait remarquer Prue Shaw, spécialiste de Dante, « agir instinctivement par désir, c’est être un animal ». La morale est un antidote à cela.

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