« Pas assez de garde-fous » : l’euthanasie ou « aide à mourir » franchit un nouveau cap à l’Assemblée

Par Germain de Lupiac
5 mai 2025 16:55 Mis à jour: 5 mai 2025 17:58

Les députés ont approuvé en commission le 2 avril la proposition de loi créant un « droit à l’aide à mourir », serpent de mer de la présidence d’Emmanuel Macron. Le texte d’Olivier Falorni (groupe MoDem) a été adopté par 28 députés contre 15 et 1 abstention.

Soutenu par la majorité des représentants de la gauche et des groupes macronistes, et combattu par ceux du RN et de LR, le texte actuel permet une interprétation très élargie de l’euthanasie et du suicide assisté, dissimulés derrière le terme de « l’aide à mourir ».

Ce nouveau droit, s’il est voté, permettrait aux malades souffrant d’une « affection grave et incurable » qui « engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale » et ne supportant plus leurs souffrances, de recevoir ou de s’administrer une substance létale. Des termes médicaux flous dont les interprétations pourraient donner lieu à des dérives éthiques, s’ouvrant notamment à des patients qui ne seraient pas sur le point de mourir mais dont la souffrance physique ou psychologique serait reconnue.

La proposition de loi qui sera débattue dans l’hémicycle à partir du 12 mai va en effet plus loin que la loi « d’équilibre » voulue initialement. Sa nouvelle version – à présent séparée du texte dédié aux soins palliatifs – prévoit la création d’un « droit à l’aide à mourir », inscrit au sein du Code de la santé publique, en élargissant le cadre dans lequel la substance létale pourrait être administrée.

Selon le texte, l’euthanasie, c’est-à-dire le fait de donner à la mort à quelqu’un, y serait aussi considérée comme une « mort naturelle » , ce qui équivaut à inverser des repères moraux millénaires en inversant la façon de nommer les choses.

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Plusieurs garde-fous sont en train de sauter

Claire Fourcade, médecin en soins palliatifs, énumère sur son compte X les amendements sur le texte qui ont été rejetés lors de la commission.

Par exemple, les amendements interdisant « d’appliquer l’euthanasie ou le suicide assisté aux personnes déficientes intellectuelles », permettant au médecin de solliciter le procureur en cas de « doute sur la liberté du patient qui demande à mourir et l’absence de pressions extérieures », étendant « la clause de conscience aux infirmiers, aides soignants et auxiliaires médicaux » ou « vérifiant « que le discernement de la personne n’est pas altéré », ont tous été rejetés. Les amendements visant à solliciter l’avis du psychologue clinicien ou du psychiatre avant de donner un feu vert à une euthanasie ou à exclure les demandes d’aides à mourir fondées sur les souffrances psychiques ont également été rejetés.

Par contre le délit d’entrave a été maintenu avec une amende et une peine de prison pour celui qui voudrait dissuader une autre personne d’avoir recours au suicide assisté ou à l’euthanasie.

« Jusqu’ici, la fraternité consistait à retenir quelqu’un qui voudrait se suicider, […] à l’accompagner jusqu’au bout. Cela deviendrait-il désormais de regarder la personne se suicider ou de l’aider à le faire ? » s’était interrogé Éric de Moulins-Beaufort, évêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France (CEF) au sujet de ce texte qu’Emmanuel Macron décrit comme une « loi de fraternité ».

«Alors que le texte devait être équilibré et mesuré, nous prévoyons moins de garde-fous qu’en Belgique», a critiqué pour sa part Justine Gruet, députée du groupe Droite Républicaine, lors de la commission. La Belgique avait autorisé l’euthanasie en 2002 et est devenue en 2014 le premier pays européen à permettre aux enfants, atteints de maladie incurable, de choisir l’euthanasie. Les majeurs peuvent également choisir d’être euthanasiés pour cause de « souffrance psychologique insupportable ».

Le texte crée un cadre légal à l’euthanasie et au suicide assisté

La genèse du texte du député Modem Olivier Falorni censé devenir la grande réforme sociétale de la présidence d’Emmanuel Macron, remonte à plusieurs années. La « fin de vie » a d’abord fait l’objet d’un long travail repris par plusieurs gouvernements. Les à présent deux textes sur les soins palliatifs et l’ « aide à mourir » sont issus du projet de loi « relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie » porté au printemps 2024 par la ministre de la Santé Catherine Vautrin, et qui n’avait pu aller à son terme en raison de la dissolution.

Les débats dans l’hémicycle sur les deux textes commenceront le 12 mai pour deux semaines, avec une discussion générale commune, et deux votes solennels prévus le 29 mai. Tout au long des débats en commission, seuls 68 amendements sur plus de mille en discussion ont été adoptés. Ainsi l’article-clé du texte définissant les critères d’éligibilité à l’aide à mourir n’a-t-il été jusqu’ici retouché qu’à la marge.

Ces cinq critères cumulatifs sont : être âgé d’au moins 18 ans ; français ou résidant en France ; atteint d’une « affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale » ; cette dernière provoquant une « souffrance physique ou psychologique » réfractaire aux traitements ou insupportable ; et être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée.

Dans sa version initiale, le projet de loi prévoyait que le pronostic vital soit engagé « à court ou moyen terme » ce qui laissait supposer des patients n’ayant plus que 6 mois à un an à vivre. Mais les termes « en phase avancée ou terminale » et « souffrance physique ou psychologique » rendent les conditions plus vagues – des malades qui auraient encore plusieurs années à vivre, comme dans les cas de diabètes, d’insuffisances cardiaques ou de dépressions sévères, deviendraient éligibles à l’euthanasie ou au suicide assisté.

Les députés ont par ailleurs décidé de laisser aux patients le choix entre une auto-administration du produit létal et l’administration par un soignant, alors que le texte initial prévoyait que celle-ci ne soit possible que lorsque le patient « n’est pas en mesure physiquement d’y procéder ».

Autre sujet qui interroge, jusqu’au sein du gouvernement, celui de la collégialité de la décision. Le texte prévoit pour l’instant que le médecin sollicité par le patient décide seul s’il est éligible, après avoir recueilli l’avis d’au moins un autre médecin et un autre soignant. Le sujet devrait être retravaillé par les rapporteurs d’ici la séance.

En première ligne pour le groupe LR, les députés Philippe Juvin, Thibault Bazin, Patrick Hetzel et Justine Gruet ont bataillé sur la sémantique, demandant que les termes d’ « euthanasie » et de « suicide assisté » soient écrits noir sur blanc, et ont tenté d’infléchir une procédure ne proposant pas assez de garde-fous selon eux (délais, possibilités de recours et de contrôle, place de l’écrit, du distanciel…).

Le RN s’est particulièrement élevé contre la création d’un délit d’entrave, qui sanctionnerait pénalement le fait d’empêcher ou tenter d’empêcher de pratiquer le droit à mourir.

De l’autre côté du spectre politique, des députés de gauche se sont efforcés d’étendre ce droit, Danielle Simonnet (groupe Écologiste et social) défendant la possibilité d’exprimer son choix concernant l’aide à mourir dans des directives anticipées, sans prendre en compte le protocole déjà proposé par les soins palliatifs.

« Deux textes » distincts, l’un sur les soins palliatifs et l’autre sur l’aide à mourir

François Bayrou avait décidé fin janvier de scinder le projet de loi sur la fin de vie, pour distinguer les « deux sujets » des soins palliatifs et de l’aide à mourir, afin de « pouvoir voter sur chacun de ces deux textes différemment ».

« Les soins palliatifs, pour moi ce n’est pas un droit, c’est un devoir », avait déclaré sur LCI le Premier ministre, qualifiant l’aide à mourir de « débat de conscience ». Plus de 200 socialistes et macronistes avaient pourtant exhorté le Premier ministre à ne pas scinder le texte, dans une tribune signée notamment par la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet.

En marge de cette prise de position sur la réforme de la fin de vie, le Premier ministre avait livré quelques-unes de ses convictions intimes concernant ce débat : « On touche là à quelque chose qui tient au sens de la vie. »

« Beaucoup des êtres que vous aimez vous sont arrachés. Et ces êtres-là, ils vous façonnent. J’ai souvent dit que pour moi, la mort n’existait pas […] Moi, je ne crois pas que les morts soient morts », a-t-il avancé en évoquant son rapport à la mort imprégné de foi. « Je crois à la vie […] Je crois que ceux qui sont de l’autre côté continuent à avoir avec nous quelque chose comme une relation », avait partagé François Bayrou.

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