Plus de 60 décharges d’armes chimiques au large des côtes françaises: une «bombe à retardement»

Par Emmanuelle Bourdy
2 juin 2022 18:43 Mis à jour: 2 juin 2022 18:43

Depuis les deux guerres mondiales du siècle précédent, une quantité astronomique d’armes, pour certaines chimiques, ont été déversées dans nos fonds marins, au large des côtes françaises. Selon une estimation, il y aurait plus de 60 décharges d’armes en France. Du côté de l’État, toutes ces informations sont classées « secret-défense ». Le problème est d’autant plus inquiétant que ces munitions se disloquent et entraînent la contamination des eaux.

La pollution des fonds marins en France est telle que le nombre de décharges maritimes d’armes recensées sur les côtes Atlantique ou le long de la Manche est, selon une estimation de la Convention du milieu marin Ospar, de 62. Ces armes, pour la plupart chimiques, proviennent essentiellement des deux guerres mondiales qui se sont déroulées en France, ainsi que le précise l’enquête menée par Actu.fr. Considérées comme une « catastrophe sans précédent », ces armes constituent une véritable « bombe à retardement », estime l’Organisation non gouvernementale (ONG) de défense des océans, Sea Shepherd.

« Ils coulaient carrément les bateaux » remplis de munitions

Lorsque les deux grandes guerres se sont terminées, il a fallu trouver une solution pour se débarrasser de toutes ces armes hautement toxiques. « La meilleure solution a été trouvée de les noyer en mer », explique Jacques Lœuille, le réalisateur du documentaire Menaces en mers du Nord. Les capitaines de bateaux « remplissaient des barges à fond plat qui s’ouvraient et ils coulaient le chargement ou bien, ils jetaient ces munitions par-dessus bord, ou alors, ils coulaient carrément les bateaux », détaille-t-il. Ces opérations étaient souvent faites la nuit.

Parmi ces armes chimiques figurent le gaz chloré, utilisé dès 1915, puis vient ensuite le redoutable gaz moutarde, en 1917. « Le 11 novembre 1918, la guerre s’arrête, mais les usines continuent de fonctionner à plein régime pendant quelques semaines », explique à Actu.fr Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste des armes chimiques. « Par ailleurs, on a des stocks gigantesques de munitions chimiques et au début des années 1920, on ne sait pas trop quoi en faire. C’est à ce moment-là, qu’on commence à se poser la question de les immerger. Ça a été une solution pragmatique à une époque où l’environnement tout le monde s’en fichait », indique-t-il encore.

« Ce problème est mis sous le paillasson et va finir par péter »

Mais de nos jours, ce problème est très saillant et Bertrand Sciboz, directeur du Ceres (Centre de recherches sous-marines), souligne avoir « été confronté à un nombre considérable de munitions ». Lorsque cela arrive, il faut faire appel à des plongeurs-démineurs « pour déminer et contre-miner », précise-t-il.

Selon Ospar, environ 300.000 tonnes d’armes auraient été immergées en mer du Nord et 40.000 tonnes en mer Baltique. Sea Shepherd soulève que « 16 % de ces substances toxiques suffiraient à éliminer toute vie dans cette mer quasiment fermée ».

« Ce problème est mis sous le paillasson et va finir par péter », met en garde Charlotte Nithart, la directrice de l’association environnementale Robin des bois, qui œuvre également en tant qu’observateur à la convention Ospar. « Plus on attend, plus ces munitions se disloquent et plus le problème est imminent : contaminations de la chaîne alimentaire, des sédiments, des eaux de baignade… », s’insurge-t-elle. « Ce sont des produits faits pour détruire toute vie. Alors quand ces quantités industrielles sont mises dans des zones de pêche, ça ne peut qu’être très inquiétant », martèle également Jacques Lœuille.

Des pratiques scandaleuses « qui datent d’un autre âge », mais sont toujours d’actualité

Mais ce sujet est si sensible que le gouvernement français a classé cette question dans la rubrique « secret-défense », et encore plus fortement depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, en 2008. « Les sites sont connus par la Direction générale de l’armement. Tout cela est très bien rangé dans les archives, sauf que les cartons, on ne peut pas les ouvrir. Il y a un filtre total », nous informe Jacques Lœuille.

Selon Olivier Lepick, si l’État se mure dans un tel mutisme, c’est parce qu’il « n’est pas fier », étant donné que « nous sommes face à des pratiques scandaleuses qui datent d’un autre âge », voire même « face à un problème sans solution ». Dans un rapport datant de 2010, Ospar mentionnait que « l’assainissement des décharges d’armes chimiques marines et de munitions est techniquement difficile en raison de la nature des matériaux déversés et de l’incertitude entourant les quantités, le type, les emplacements et l’état actuel ou la stabilité de ces matériaux ».

Et pour ceux qui croient que ces pratiques ne se font plus, ce n’est malheureusement pas le cas. En 2003, le code de l’environnement a effectivement réintégré l’autorisation d’immerger des munitions « ne pouvant être éliminées à terre sans présenter des risques graves pour l’homme ou son environnement », stipule Actu.fr. Pour Charlotte Nithart, il s’agit là d’un « important recul ».

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