Pourtant indispensables, plusieurs milliers de médecins étrangers risquent de perdre leur poste

Par Vincent Solacroup
20 janvier 2024 11:45 Mis à jour: 20 janvier 2024 12:26

Menacés pour beaucoup de perdre leur poste suite à « l’extinction » légale de certains statuts d’embauche, les médecins diplômés à l’étranger sont « indispensables » et doivent être régularisés en urgence, implorent syndicats et chefs de service. Dans son discours de mardi dernier, Emmanuel Macron a évoqué son souhait de « régulariser nombre de médecins étrangers ».

Urgentistes, psychiatres, gynécologues, généralistes… Depuis plus de vingt ans, la désertification médicale a conduit de nombreux établissements de santé à recruter des médecins en dehors de l’UE.

Mal rémunérés, en contrats courts renouvelables, mais assurant souvent les mêmes fonctions que des médecins senior, ces « Padhue » (praticien à diplôme hors Union européenne) peuvent espérer une « autorisation de plein exercice », après une procédure complexe durant généralement plusieurs années.

Entre 4000 et 5000 Padhue travaillent aujourd’hui en France, selon plusieurs syndicats. Leur nombre a grossi pendant l’épidémie de Covid-19, quand l’hôpital à bout de souffle cherchait des bras. Interrogée sur ces chiffres, la direction générale de l’Offre de soins (DGOS) n’a pas répondu.

Dans certains territoires, « les services ne tournent presque qu’avec eux. Donc ils restent en poste dans l’illégalité, les directions n’ont pas le choix », explique Hocine Saal, chef des urgences de Montreuil (Seine-Saint-Denis). « Sans eux, le système s’effondre. »

Lors de sa conférence de presse mardi, Emmanuel Macron a déclaré vouloir « régulariser nombre de médecins étrangers qui tiennent parfois à bout de bras nos services de soins » pour lutter contre les déserts médicaux . Le président a reconnu que ces médecins sont aujourd’hui laissés « dans une précarité administrative qui est complètement inefficace ».

« Sans papiers », « sans contrat »

France Info reporte le cas de Sarah, oncologue en Picardie. Trentenaire, elle est arrivée en France en 2019 depuis le Maroc. « Qui dit fin de contrat dit pas droit au titre de séjour avec un risque d’OQTF [Obligation de quitter le territoire], explique-t-elle. C’est une situation précaire, on ne prend pas en compte nos stages, ni nos pratiques, ni le temps passé à l’hôpital et ce qu’on a donné à l’hôpital et après deux ans, on nous dit ‘merci, au revoir’, » déplore Sarah.

Pour exercer, ils doivent en principe passer un concours sélectif, les « épreuves de vérification des connaissances » (EVC), puis suivre un parcours de consolidation de deux ans, avant de voir leur dossier examiné en commission. Un régime dérogatoire a longtemps permis aux hôpitaux le maintien de non-lauréats, sous divers statuts précaires, rémunérés entre 1500 et 2200 euros mensuels. Mais ce régime, plusieurs fois prolongé, s’est éteint au 31 décembre 2023. Impossible désormais de renouveler ces contrats.

Maintenant, ces médecins étrangers doivent s’engager à repasser le concours avec la possibilité d’un exercice provisoire de treize mois supplémentaires. Soit encore plus de précarité, répondent les concernés selon France Info. Et le décret de la nouvelle loi qui l’autorise n’a toujours pas été publié.

« On nous a dit ‘si vous n’avez pas les EVC cette année, c’est fini’. Mais il y a peu de places – 2700 postes ouverts pour 10.000 à 20.000 candidats, selon les sources – et on se bat contre des gens inscrits depuis l’étranger, qui ont un an pour se préparer. Moi, je travaille 70 heures par semaine aux urgences », soupire sous couvert d’anonymat Mia, généraliste de 38 ans en Seine-et-Marne, arrivée de Madagascar en 2020.

« J’ai échoué. Pourtant j’ai d’excellentes appréciations, j’enchaîne les gardes », s’étrangle cette praticienne, applaudie pendant la crise sanitaire et aujourd’hui « sans titre de séjour ». « 2000 médecins sont sur le carreau », pour certains « sans papiers », dénonce Halim Bensaidi, représentant de l’IPADECC, l’un des syndicats spécialisés dans leur défense. Une estimation partagée par la CGT et FO.

Naturalisée Française, Amel (prénom modifié), 31 ans, diplômée de médecine générale en Algérie et actuellement en troisième cycle de psychiatrie, n’a elle « pas eu le droit » de s’inscrire aux EVC dans sa spécialité, malgré trois ans d’exercice en Seine-Saint-Denis. « J’assure les consultations psy, les gardes. Aujourd’hui je travaille sans contrat », confie-t-elle.

Les urgences fermées

Suite à une récente réforme, l’affectation des postes des lauréats est du ressort des services de l’État, et « pas du tout en adéquation avec nos besoins », déplore ce signataire avec 220 médecins d’une tribune publiée dans Le Point. « J’ai demandé dix postes, mais on m’en accorde la moitié, dont un seul urgentiste. Donc je ne pourrai pas remplir mes tableaux de garde. Je vais devoir fermer les urgences partiellement », se désole-t-il.

Aux urgences Delafontaine de Saint-Denis, près du Stade de France, « sur une trentaine de médecins, trois sont diplômés en France. Les autres sont ex-Padhue ou Padhue », témoigne aussi le chef de service Matthias Wargon. « Si je n’ai pas les postes demandés, je fermerai, au moins la nuit », prévient-il. « Les Jeux Olympiques, ce sera sans moi. » Mardi, Emmanuel Macron a promis de « régulariser nombre de médecins étrangers », sans dire ni comment ni quand. Contacté, le ministère de la Santé n’a pas apporté de précisions.

Dans un communiqué, la coalition syndicale Action praticiens hôpital et le spécialisé SNPADHUE, appellent à un « moratoire » pour examiner chaque dossier en commission, sans concours. Il est « essentiel » de vérifier leurs compétences, estiment-ils, mais aussi de leur offrir rapidement un « statut pérenne » et digne.

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