Projet de loi d’ « aide à mourir » : « Au lieu de chercher à aider les gens à mourir, il faut renforcer les soins palliatifs » déclare le docteur Herrero

Par Epoch Times
14 mars 2024 08:47 Mis à jour: 14 mars 2024 11:31

ENTRETIEN – Le docteur Luis-Carlos Herrero exerce la médecine générale depuis 36 ans dans le département de l’Eure en Normandie. Médecin de famille qui a été confronté à de nombreuses reprises à la fin de vie de patients, il fait part à la rédaction d’Epoch Times d’un certain scepticisme quant au projet de loi sur « l’aide à mourir » annoncé dimanche dernier par Emmanuel Macron. S’il trouve l’intention du chef de l’État « louable », il déplore que l’accent ne soit pas mis sur les soins palliatifs et que sur le long terme, cette loi conduise à la légalisation du suicide assisté.

Epoch Times – Docteur Herrero, en tant que médecin généraliste depuis une trentaine d’années, êtes-vous favorable à ce projet de loi ou est-ce que comme certains de vos confrères, vous prônez un renforcement de l’accès aux soins palliatifs ?

Docteur Luis-Carlos Herrero –  Ce projet de loi part d’une intention louable, notamment celle de vouloir aider les gens, mais sur la forme il y a un problème. Emmanuel Macron ne tient pas compte de trois choses. Premièrement, quand il parle de pronostic vital engagé à court et à moyen terme, ça n’a aucun sens. J’ai connu des gens atteints de cancer à qui on a annoncé qu’ils ne leur restaient plus que quelques mois à vivre et qui ont vécu dans d’excellentes conditions pendant plusieurs années. Chaque cas est individuel, même pour les maladies présumées incurables. La médecine, c’est à la fois une science statistique, c’est-à-dire qu’on dit à une personne malade le temps qui lui reste à vivre, tout en restant incertain de ce qui va arriver et puis un art qui fait appel à la relation entre le patient et le médecin.

Deuxièmement, ce texte prévoit un délai de trois mois entre le moment où la personne prend la décision de mourir et celui où un deuxième examen est prévu par un médecin et il faut pouvoir le trouver le deuxième médecin.

Enfin, il ne tient pas compte des progrès de la médecine. Par exemple, avant que l’on ne découvre la trithérapie comme traitement contre le sida, l’espérance de vie était très courte pour les personnes atteintes par la maladie ; maintenant grâce à ce médicament, ils peuvent vivre leur vie presque normalement. Il faut donc rester vigilants, un progrès médical peut très vite arriver, notamment entre le moment où une personne prend la décision de mourir et l’application de cette décision.

Je crois également à un renforcement de l’accès aux soins palliatifs. Au lieu de chercher à aider les gens à mourir, il faut évidemment renforcer les moyens humains et matériels, donc les soins palliatifs.

Emmanuel Macron qualifie ce texte de « loi de fraternité », « conciliant l’autonomie de l’individu et solidarité de la nation ». Est-ce selon vous une sémantique appropriée pour traiter le sujet de la fin de vie ?

C’est du pur pathos. Bien sûr, l’individu est autonome, il peut demander les choses, mais il faut voir les circonstances, et n’oublions pas aussi que la maladie obère d’une certaine manière la liberté du patient et peut le conduire à changer d’avis très souvent. J’ai déjà été confronté à plusieurs reprises à cette situation, alors imaginez ce qu’il pourrait arriver si le texte était adopté. Des personnes pourraient vous dire qu’ils souhaitent mourir et changer d’avis le lendemain.

À la place de la notion de fraternité, je parlerais plutôt de « compassion ». La fraternité fait beaucoup trop référence à quelque chose que je trouve dangereux, le don oblatif, c’est-à-dire que le médecin donne la mort en se soulageant lui-même, en pensant faire un acte « moderne » et dans « l’ère du temps ».

Considérez-vous que la loi Clayes-Leonetti adoptée en 2005 est insuffisante ? Le président de la République a déclaré « qu’il fallait aller plus loin car « malgré des avancées », la loi « ne permet pas de traiter des situations humainement très difficiles » mentionnant des cas de « patients atteints de cancer au stade terminal qui pour certains sont obligés d’aller à l’étranger pour être accompagnés ».

Ce projet de loi aussi ne permettrait pas de traiter des situations humainement difficiles. Il y aura les mêmes inconvénients qu’avec la loi Leonetti. Les médecins vont toujours se heurter à l’opposition de la famille. Souvenez-vous du cas de Vincent Lambert.

Une énième loi n’est pas nécessaire, mais plutôt une forme de communion « au lit du malade » avec la famille et les médecins. C’est au lit du malade que tout doit se passer et que les décisions doivent être prises. Il ne faut donc pas sombrer dans la grandiloquence comme à tendance à le faire Emmanuel Macron, mais faire confiance aux familles et aux équipes médicales.

Ce texte de loi sur « l’aide à mourir » qui va par définition demander la mobilisation de  l’ensemble des médecins, n’entre-t-il pas en contradiction avec le serment d’Hippocrate qui précise qu’un médecin ne « doit jamais provoquer la mort délibérément » ?

Je ne pense pas. Le serment d’Hippocrate est très bien écrit. Dans le cas où le texte serait adopté et appliqué, la mort ne serait pas réellement provoquée, elle vient naturellement à cause de l’état de santé de la personne. Il s’agit plutôt d’une forme d’accompagnement.

D’ailleurs, il faut aussi accorder de l’importance à l’adverbe « délibérément ». La mort n’est pas provoquée délibérément avec ce projet de loi, mais avec le consentement du patient.

Derrière ce projet de loi, se cache-t-il l’euthanasie ou le suicide assisté ?

Avec ce genre de loi, il y a un risque de se diriger progressivement vers le suicide assisté, c’est-à-dire faire mourir des gens en bonne santé qui ne supportent plus la vie, qui n’ont plus de famille ou qui s’ennuient tout simplement.

Je crains également, qu’il y ait sur le très long terme, une dérive vers l’eugénisme. Il n’est pas exclu qu’un jour, des autorités publiques se réunissent et estiment par exemple qu’une dame âgée résidant en maison de retraite depuis des années ne sert plus à rien et décident de « pousser la seringue », notamment pour des raisons économiques. Il faut donc faire très attention.

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