Les tribulations québecoises de Joël Robuchon

Par David Vives
19 avril 2017 10:01 Mis à jour: 23 décembre 2019 20:14

En février, le Casino Loto a décidé de confier son restaurant au célèbre Joël Robuchon, lequel a signé un contrat de 11 millions de dollars pour établir un « Atelier ». Le projet a été défendu par la mairie, avec une enveloppe conséquente destinée au chef. Cette décision a fait monter au créneau les restaurateurs étoilés du pays, dont la plupart se désolent de voir un étranger reçu avec autant de faste, alors que les petits restaurateurs peinent à subsister. L’octroi de fonds publics soulève également des questions sur le soutien à la filière montréalaise.

« Je soutiens entièrement la compétition, cependant, c’est un geste irrespectueux, brutal, une gifle pour tous ces jeunes restaurateurs qui mettent leur vie dans leur métier », s’insurgeait David McMillan, chef étoilé et propriétaire de Joe Beef et cogestionnaire de restaurants de luxe dans le quartier de la Petite-Bourgogne. Le gouvernement, par la bouche du ministère du Tourisme, affirme pour sa part que le nom de Robuchon relancera l’attractivité de Montréal. L’Atelier de Robuchon citera désormais « Montréal » sur sa carte, aux côtés de Paris, Londres, Tokyo et New York. Cela n’a pas empêché la mayonnaise de monter, David McMillan proférant, sur les réseaux sociaux, des insultes à l’encontre du ministre des Finances Carlos Leitao.

Norman Laprise, du Toqué!, ainsi que d’autres chefs soutiennent la polémique. Lesley Chesterman, critique gastronomique, remet en question une décision « qui n’a pas beaucoup de sens ». D’après elle, dans les années 1990, « il n’y avait pas, à Montréal, un seul chef qui ne soit québécois ». « Tous ont été formés en France, c’était des chefs français, on importait des produits français, du vin français, jusqu’à ce que nous trouvions notre propre chemin gastronomique », continue-t-elle. La décision semble pour elle être un « retour en arrière ».

Nicolas Duvernois, fondateur du blog Les Affaires, qualifie d’ « hypocrite » la réaction des chefs belliqueux. Il reconnaît, en même temps, qu’en ajoutant 20 dollars de dépenses par semaine en produits québécois tels que le homard de Gaspésie ou les bières des Îles de la Madeleine, les chefs montréalais seraient capables de créer pour 8,5 milliards de dollars de richesse pour le pays et de créer 100 000 emplois. Pourtant, sur le papier, les perspectives paraissent excellentes pour la gastronomie québecoise : en 2016, le magazine Town & Country a désigné Montréal comme la capitale gastronomique en Amérique du Nord, surpassant ainsi New York.

« On me dit que c’est naturel… au Québec, c’est vrai, il y a beaucoup de gentillesse, beaucoup de dévouement, beaucoup de passion »

Joël Robuchon

À la nomination de Joël Robuchon, l’homme d’affaires et politique François Bonnardel constate simplement : « C’est comme si on disait à Normand Laprise, Martin Picard, Jérôme Ferrer : vous, là, les chefs québécois, vous n’êtes pas assez “hot” pour amener le Québec à un autre niveau au Casino de Montréal ». L’affaire est montée jusqu’aux oreilles du New York Times, qui, dans deux articles parus récemment, évoquait la « fumée » qui sortait de la tête des chefs montréalais. Étonnant de constater que le torchon n’en finit plus de brûler, alors que sur le fond, le débat sur le protectionnisme gastronomique ne concerne pas vraiment Joël Robuchon.

De son côté, le chef français a beaucoup apprécié l’accueil qui lui a été réservé et les personnes avec lesquelles il a travaillé. Tout le personnel du restaurant est d’origine québécoise, formé par le maître lui-même. Une première, d’après Joël Robuchon. « On me dit que c’est naturel… au Québec, c’est vrai, il y a beaucoup de gentillesse, beaucoup de dévouement, beaucoup de passion », a-t-il déclaré à La Presse, avant d’ajouter : « Lorsque j’ai commencé à faire mes premiers discours, leur expliquer et tout, il y en avait qui avaient les larmes aux yeux. Ce sont des gens très sensibles qui ne cachent pas leurs sentiments. »

Il se pourrait aussi que l’agitation finisse par profiter à Joël Robuchon et à sa cuisine. La Presse, Le journal de Montréal et Montreal Gazette n’ont pas tari d’éloges dans leurs critiques gastronomiques sur les plats du chef français. On note, entre autres, un « risotto incroyable » pour le Montreal Gazette et une expérience gastronomique « impeccable » pour La Presse. Les critiques du site Open Table attribuent au chef presque cinq étoiles sur cinq et saluent son « excellence ». Les polémiques autour du chef glissent sur ces appréciateurs de la gastronomie française. Ventre affamé n’a pas d’oreilles.

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