Rencontre Macron-Xi Jinping : le « en même temps » du Figaro

Par Ludovic Genin
6 mai 2024 16:38 Mis à jour: 7 mai 2024 16:36

L’exclusivité de la tribune donnée au leader chinois Xi Jinping dans les colonnes du Figaro montre les deux visages du premier site d’actualité français. D’un côté, sa proximité avec le plus grand régime autoritaire au monde, accompagnée de partenariats avec des médias d’État chinois, de l’autre des journalistes et contributeurs reportant l’image d’un Parti communiste chinois (PCC) véritable spécialiste de la manipulation de l’information, proche de la Russie dans la guerre en Ukraine et moteur des dictatures dans le nouvel ordre économique mondial.

Pour l’anniversaire des 60 ans des relations bilatérales entre la France et la Chine, cela pourrait être aussi le résumé de la diplomatie française. Au lieu de « libéraliser » la Chine avec des partenariats économiques, la coopération avec le PCC a renforcé la dictature communiste, qui, 60 ans plus tard, est considérée comme la grande menace systémique pour l’Occident et n’a cessé de renforcer son étreinte sur le peuple chinois et le reste du monde.

La Chine occupe aujourd’hui la 172e place sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse et se classe parmi les pays les plus autoritaires au monde, selon The Economist. Selon Human Rights Watch, les droits de l’homme sont pour le régime chinois une menace existentielle à sa survie et sa réaction constitue elle-même une menace existentielle pour les droits de l’homme dans le monde.

Des partenariats avec des médias d’État chinois

Depuis le 3 mai, le Figaro publie des pleines pages de publirédactionnels du Quotidien du Peuple, de China Daily et de Xinhua, principaux médias de propagande en Chine, contrôlés par le PCC. On y lit que les pandas géants témoignent une nouvelle fois de l’amitié franco-chinoise, que le dialogue est exceptionnel entre Versailles et Pékin et que les villes chinoises sont au summum de la modernité. En avril, le directeur général adjoint du groupe Figaro rencontrait à Pékin le président de l’agence de presse d’État chinois Xinhua avec la volonté de renforcer la coopération bilatérale entre les deux médias.

« En même temps », dans le Figaro, le journaliste du Courrier International Zhang Zhulin publiait en mars une tribune intitulée « La situation économique de la Chine ne cesse de se dégrader… mais pas la propagande du PCC » expliquant que plus la Chine « déborde d’optimisme » dans sa propagande, plus cela présage une situation économique catastrophique. L’auteur prend comme exemple un article publié le 27 janvier 1960 par le Quotidien du Peuple, expliquant que «d’un brillant éclatant, démontrant un grand avenir, les communes populaires favorisent le développement rapide de l’économie nationale», et que « le peuple chinois est inondé de bonnes nouvelles ». La vérité derrière cette propagande paradisiaque du régime était une réalité infernale, avec la grande famine qui fit entre 20 et 30 millions de morts dans les campagnes chinoises de 1958 à 1961.

Ce n’est pas la première fois que le Figaro publie la propagande chinoise. En mars 2019, lors de la visite officielle de Xi Jinping en France, l’agence de presse chinoise Xinhua avait acheté de nombreux publirédactionnels dans Le Figaro (également dans Le Parisien, Les Échos, Le Monde, BFM ou encore L’Opinion) pour faire la promotion du modèle économique et politique chinois. Cette campagne de publicité en France « pourrait avoir coûté plus d’un million d’euros » à Xinhua, selon France Télévisions.

En avril 2021, le Figaro Partner publiait encore une campagne publicitaire sur Twitter sous forme partenariat rémunéré avec China Xinhua News. Dans l’article intitulé « Réduction de la pauvreté : des retombées au delà de la Chine » on pouvait y lire que « la Chine offre une lueur d’espoir » au monde dans le contexte de l’épidémie de Covid-19 et que le « fruit de ses efforts n’est pas sans effet sur la réduction de la pauvreté au niveau mondial ». Quelques phrases plus loin, on apprenait que depuis 7 ans, « la Chine a réussi à sortir 850 millions d’individus de la pauvreté ». Mais, selon une étude du Financial Times, les chiffres de la pauvreté avancés par la Chine sont complètement falsifiés.

La tribune de Xi Jinping dans le Figaro

Le 5 mai 2024, le Figaro publiait une tribune signée par le leader chinois lui-même : Xi Jinping: « Je viens en France avec trois messages de la Chine ». Dans le style caractéristique des communiqués du régime chinois, le texte insiste sur les « acquis » de la relation bilatérale depuis 60 ans, se disant attaché au « respect mutuel et à la coexistence pacifique ». Formule pour le moins énigmatique alors que le régime chinois cherche à réarranger l’ordre mondial autour d’un Sud-Global et la coalition des régimes autoritaires tels que l’Iran et la Russie.

On apprend dans la tribune que le PCC veut « tendre la main à l’Europe » afin d’ouvrir le marché chinois à davantage d’industries européennes — l’Europe accusant d’un déficit commercial de 400 milliards d’euros avec la Chine. Selon le leader chinois, la Chine aide la France à accélérer sa ré-industrialisation basée sur l’énergie verte « ce qui permet aux deux parties d’approfondir leur coopération en matière d’innovation » — ceci même alors que la Chine est en guerre commerciale contre l’Europe pour détruire son industrie, dopée par des subventions massives du régime.

Enfin, concernant la guerre en Ukraine et le soutien de la Chine à la Russie, Xi Jinping affirme que « la Chine n’est pas à l’origine de cette crise, et elle n’y est pas non plus partie ou participante ». Il se justifie, selon son communiqué, par les Cinq Principes de la Coexistence pacifique que la Chine aurait toujours respecté : « Le respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, la non-agression mutuelle, la non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures, l’égalité et le bénéfice mutuel, et la coexistence pacifique ». Tout le contraire de l’approche du régime au Moyen-Orient, en Russie, en Europe, en mer de Chine, etc. et étant le champion du monde toute catégorie d’un espionnage industriel.

« En même temps » sur le Figaro, on apprend que sous l’autorité de Xi, la Chine réalise un « grand bond en arrière, sacrifiant le modèle de ses Quarante Glorieuses à un totalitarisme maoïste tout en affirmant ses ambitions impériales adossées à son alliance avec la Russie », selon Nicolas Baverez, dans son article « La Chine de Xi Jinping, le totalitarisme et l’empire contre le marché ». Selon le correspondant en Asie, Sébastien Falletti, Xi Jinping est en tournée pour « neutraliser » l’Europe : « L’itinéraire du dirigeant du régime communiste reflète en réalité la crispation des relations avec l’Europe «atlantiste» […] en jouant des divisions au sein d’un continent fracturé ». Concernant la Russie, il existe entre « Moscou et Pékin, une amitié sans limites pour déconstruire l’ordre mondial » selon la journaliste Isabelle Lasserre pour qui « les démocraties occidentales, qui mettent en avant leur pragmatisme, ont souvent du mal à comprendre que l’idéologie puisse être un moteur essentiel des politiques menées par les autocraties et les dictatures. » Enfin, pour Bertille Bayart, un tsunami industriel chinois arrive en Europe, la Chine accumule à dessein des surcapacités de production dans l’énergie verte et dope son investissement industriel, constituant une menace existentielle pour l’industrie européenne.

Une ambivalence de l’un des plus anciens médias de la presse française, avec d’un côté des partenariats commerciaux avec le régime chinois, lui permettant de diffuser sa propagande dans l’Hexagone et de profiter de l’image de la France au sein de ses frontières, et de l’autre la couverture géopolitique d’un régime chinois, menace existentielle et systémique pour l’Occident. Pas sûr que ces deux visages puissent coexister longtemps l’un avec l’autre.

Le parallèle avec l’interview écrite de Jiang Zemin en octobre 1999

Selon Michel Wu, ancien directeur du service en Mandarin de Radio France International (RFI), en octobre 1999, Alain Peyrefitte, directeur éditorial du Figaro, organisait une interview écrite avec le leader chinois Jiang Zemin, avant sa venue en France. Pour tenter de justifier la violente persécution du Falun Gong qui venait de commencer, Jiang avait utilisé les médias internationaux en qualifiant le Falun Gong de « secte perverse » — terme qui n’a jamais été repris par la Miviludes.

Pour cette annonce, le PCC avait spécifiquement choisi la France, suite au scandale de l’affaire de l’Ordre du Temple solaire, qui avait bouleversé le monde entier. C’était là une opportunité de faire accepter la propagande chinoise contre le Falun Gong. Le régime communiste chinois a ainsi accordé au Figaro le privilège d’interviewer Jiang Zemin, à la condition que l’intégralité du texte soit publiée sans une retouche. Cette interview a eu un large impact sur l’opinion publique nationale et internationale et la plupart des journalistes ont repris sans vérification les propos de Jiang, alors que les arrestations, les détentions et les tortures commençaient massivement sur les pratiquants de Falun Gong en Chine.

En 2021, une dizaine d’experts des droits de l’homme ont déclaré être atterrés par ce qu’ils ont qualifié d’informations crédibles sur les prélèvements forcés d’organes par le régime chinois. Ces experts, dont faisaient partie les rapporteurs spéciaux du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), se sont dits « extrêmement alarmés par les rapports sur les prélèvements d’organes visant des minorités religieuses et ethniques, dont des pratiquants de Falun Gong, des Ouïghours, des Tibétains, des musulmans et des chrétiens qui sont détenus en Chine », peut-on lire dans leur communiqué. La persécution du Falun Gong, commencée en 1999, ayant servi plus tard de modèle à la répression des Ouïghours dans le Xinjiang.

Deux ans plus tôt, le China Tribunal, basé à Londres, concluait que les prélèvements forcés d’organes avaient bien lieu en Chine depuis des années « à une échelle significative », les pratiquants de Falun Gong étant la principale source d’organes.

Une menace sur l’indépendance éditoriale du Figaro

Ces partenariats économiques et médiatiques avec le Parti communiste chinois sont un signal inquiétant concernant l’indépendance éditoriale du Figaro et des autres médias en France.

En septembre 2021, l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (Irsem), dépendant du ministère des Armées, publiait un rapport de 650 pages intituléLes opérations d’influence chinoises. Selon le rapport, cette tactique du «cheval de Troie » a un effet sur le long terme, en distillant quotidiennement, ou hebdomadairement, une influence, mais peut aussi servir sur le court terme, à l’occasion d’événements précis.

Quand on connaît l’éventail tentaculaire d’opérations d’influence du régime chinois pour imposer son modèle au niveau mondial, on peut craindre que, sous certains aspects et sur certaines informations, le Figaro reproduise la propagande du PCC en France, via des partenariats comme celui avec l’agence de presse Xinhua.

Cela est déjà arrivé dans le passé, justifiant pour l’Occident une persécution qui aujourd’hui persiste encore et s’est étendue à d’autres groupes ethniques ou religieux en Chine.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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