La stratégie de la Chine pour écraser l’industrie européenne

Les industries européennes sont en train d'être noyées sous le flot d’importations chinoises non régulées

Par Ludovic Genin
17 avril 2024 15:41 Mis à jour: 25 avril 2024 16:19

Dans l’acier, l’automobile, l’éolien, le solaire, les batteries, la chimie, les produits pharmaceutiques, etc., l’industrie chinoise est en train d’écraser l’industrie européenne. Pour y parvenir, l’Empire du Milieu ne cesse d’augmenter ses capacités de production et d’exportations pour inonder le marché européen de produits de pointe à prix cassés.

« Ce que nous voyons actuellement, c’est le déroulement d’un accident de train au ralenti », a réagi Jens Eskelund, président de la Chambre de commerce danoise en Chine, dans un rapport de la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine, alertant des menaces chinoises sur l’économie européenne.

En investissant massivement dans l’industrie manufacturière et les technologies stratégiques et en inondant le marché, le régime chinois a un but précis, accentuer le déclin industriel de l’Europe.

Le plan de la Chine pour éliminer la concurrence européenne

La Chine n’a pas été affectée par la crise énergétique subie en Europe au moment de la guerre en Ukraine et les importations d’hydrocarbures en provenance de Russie suite aux sanctions européennes sur la Russie ont considérablement joué en sa faveur. Pour doper leur production, les entreprises chinoises ont bénéficié d’une réduction considérable des coûts et d’investissements massifs de la part du Parti communiste chinois (PCC) aboutissant à des prix de production défiant toute concurrence au niveau mondial. Tous les ingrédients sont réunis pour mettre à terre sur le long terme les industries européennes, alors que l’Europe connaît elle-même un ralentissement industriel avec le Pacte vert qui limite sa compétitivité, selon un rapport à venir de Mario Draghi.

Rien n’est dû au hasard, selon Philipp Lausberg, analyste au European Policy Centre (EPC), qui souligne les dangers des politiques « néomercantilistes » de la Chine pour l’économie européenne. « Tout ce qui est stratégique pour eux, ils veulent le produire eux-mêmes. Ils veulent être autonomes, mais ils veulent continuer à utiliser les marchés libres pour exporter et obtenir des revenus d’exportation. Et bien sûr, c’est un problème pour l’Europe » explique-t-il sur Euractiv.

Les usines chinoises, largement subventionnées, tournent depuis deux ans à plein régime et les produits chinois tels que les panneaux solaires, les batteries, les véhicules électriques et les biotechnologies sont mis à l’exportation pour saturer le marché avec des prix très agressifs.

Ces surproductions industrielles font suite à un taux de chômage historique des jeunes dépassant les 21% à l’été 2023 et à un secteur immobilier, pilier de l’économie chinoise, au bord de l’explosion. Ajouté à cela un manque de consommation intérieure des ménages, la dernière solution chinoise a été de se tourner vers une saturation des marchés de l’exportation à l’échelle mondiale, l’Europe étant la première cible par le manque de protection douanière à ses frontières. « La Chine en difficulté essaie de redresser son économie, et cherche à vendre coûte que coûte tout ce qu’elle a en trop », résume Michel Hermans, professeur de géopolitique à HEC-ULiège à L’Écho de Belgique.

Ainsi en 2023, 35% de la production industrielle de la planète provenait de Chine. La production industrielle chinoise a été trois fois plus importante que celle des États-Unis, selon Les Échos, loin devant l’Europe. Et « tout porte à croire que les exportations chinoises en forte hausse vont continuer à augmenter en 2024 », estime Charlotte De Montpellier, économiste chez ING.

Une menace existentielle pour l’Europe industrielle

Bruxelles et Washington sont particulièrement préoccupés par ces « surcapacités » de production en Chine, où d’importantes subventions vont au solaire, aux véhicules électriques et aux batteries, mettant en péril la viabilité de ces secteurs chez les concurrents. Les pays occidentaux s’inquiètent de potentiellement voir la Chine renforcer ses capacités de production et augmenter ses stocks à des niveaux tels, que les entreprises européennes seraient incapables de rivaliser sans barrières commerciales.

Les « immenses surcapacités des industries chinoises ne sont pas seulement un défi pour les économies ouvertes, mais font courir le danger de provoquer des forces protectionnistes » dans certains pays, a estimé Joerg Wuttke, président émérite de la Chambre européenne de Commerce en Chine. « Ce n’est qu’un début » poursuit l’économiste, « c’est un choc énorme qui s’annonce pour l’industrie européenne ».

Impactées par la flambée des prix de l’énergie, les usines européennes fonctionnent également au ralenti face aux appétits géants de la Chine. Dans toute une série de secteurs, l’industrie européenne est en train d’être remplacée par sa contrepartie chinoise, avec un risque de faillite à grande échelle que ce soit dans l’automobile avec les véhicules électriques, dans les robots d’entreprise ou encore dans les technologies de décarbonation.

Selon L’Écho, malgré les appels à « la souveraineté européenne » et à une « politique industrielle européenne », il n’y a pour l’instant aucun découplage économique entre l’Union européenne et la Chine.

La course folle de la Chine dans plusieurs secteurs clés

La Chine cherche coûte que coûte à imposer sa domination industrielle dans plusieurs secteurs technologiques clés en train de définir la nouvelle polarisation économique de demain.

Dans les panneaux solaires, l’industrie chinoise a profité de ses surcapacités pour exporter un stock gigantesque, quitte à casser les prix à des niveaux jamais atteints. Des panneaux par dizaines de millions attendent déjà dans les ports et les entrepôts d’Europe. Selon l’Agence internationale de l’Énergie (AIE), la Chine détient actuellement 80% de la capacité de production mondiale de cellules photovoltaïques. C’est cette position de domination extrême que le gouvernement de Xi Jinping — actuellement en visite diplomatique en Allemagne avant de se rendre en France — entend encore renforcer dans les années à venir pour lier mortellement le parc énergétique européen à une production presque exclusivement chinoise.

Dans les batteries, la Chine joue aussi la carte de la surproduction. En 2023, la production des usines chinoises a atteint le double des besoins nationaux, une capacité de production appelée encore à doubler d’ici à 2030. Cette surcapacité devrait permettre au régime chinois d’inonder les marchés étrangers, européen en tête. Comme pour les panneaux solaires, l’accélération du développement de l’industrie de la batterie s’explique par les subventions astronomiques données par le PCC et par la robotisation à marche forcée de son industrie.

Pour l’éolien, en 2023, la Chine a produit 66% d’éoliennes de plus qu’en 2022. Un record qui illustre l’appétit grandissant du régime chinois, qui installe désormais plus de la moitié des parcs éoliens dans le monde. Selon le Global Wind Energy Council (GWEC), la Chine totalise également près de 60% des capacités de production de turbines mondiales.

Pour l’automobile, pour l’économiste Anthony Morlet-Lavidalie, cité dans Usine Nouvelle, « les chiffres des exportations de voitures particulières chinoises montrent que nous ne sommes plus dans un monde où la Chine dépasse les autres pays, mais dans un marché mondial où elle domine », explique-t-il, ajoutant que « le niveau de robotisation des usines est beaucoup plus avancé que le nôtre, sans commune mesure. Les process technologiques pour la production de voitures électriques sont aussi mieux maîtrisés, sans parler de l’innovation sur les batteries ». Les conséquences très concrètes sont encore une fois des surcapacités chinoises qui « ne laissent pas beaucoup de place aux industriels européens pour exister dans le monde ».

Le même schéma d’écrasement du marché et des entreprises européennes par des surproductions ciblées de la Chine apparaît également dans l’industrie pharmaceutique, la sidérurgie, la chimie, le papier, laissant de côté l’industrie du textile et habillement, autrefois moteur de sa croissance.

Le parallèle avec la surproduction de l’acier pendant le Grand Bond en avant

Mais derrière l’apparente puissance chinoise se cache peut être une fébrilité mortifère. Le parallèle avec la situation de la Chine il y a 60 ans est troublant. En 1958, Mao Zedong lançait un ambitieux programme de développement industriel, le Grand Bond en avant, pour accélérer le développement économique du pays en augmentant la productivité de l’industrie et de l’agriculture. Mao Zedong avait opté pour une industrialisation à outrance de la Chine pour rattraper son retard économique et industriel, et en profiter pour resserrer son étreinte sur le pays.

Pour réussir le Grand Bond en avant, Mao Zedong mit en place une économie décentralisée et autocentrée dans les campagnes, obligeant les paysans à produire de l’acier. Mais cet acier se révèlera être de mauvaise qualité et les récoltes se sont retrouvées à pourrir dans les champs. Le Grand Bond en avant qui devait être la grande œuvre de Mao s’est avéré être un désastre économique et humanitaire.

Focalisés sur les bons chiffres à atteindre pour l’exportation, les résultats réels étaient cachés par les fonctionnaires locaux, qui, par peur des représailles du régime, envoyaient des chiffres falsifiés au bureau central du Parti. Cela a provoqué une famine sans précédent en l’espace de quatre ans, qui, selon les chiffres du journaliste et historien chinois Yang Jisheng, a entraîné la mort de 36 millions de personnes. La Chine, qui se montrait forte à l’extérieur, était à l’aube de l’un des effondrements les plus dramatiques et brutaux de l’histoire de l’humanité.

Une réponse européenne lente à venir

Le 8 avril 2024, les ministres de l’Économie Bruno Le Maire, Robert Habeck (Allemagne) et Adolfo Urso (Italie) se sont réunis pour discuter de la politique industrielle de l’Europe. « L’objectif est de définir une stratégie économique commune pour faire face à l’offensive de la Chine et des États-Unis », avait déclaré Bruno Le Maire lors d’une rencontre avec des journalistes. « Il est nécessaire de se montrer fermes face à des adversaires qui n’hésitent pas à jouer dur », avait-il ajouté.

« Le modèle chinois repose sur l’interventionnisme, tandis que les États-Unis misent sur le protectionnisme, l’Inflation Reduction of Act (IRA) et des coûts énergétiques faibles. L’Europe doit défendre résolument son modèle économique décarboné et compétitif », avait martelé le ministre de l’Économie.

Début avril, l’Union européenne ouvrait une enquête visant des fabricants chinois d’éoliennes accusés de recevoir des subventions du régime chinois, faussant la concurrence sur le marché européen. Une pratique déjà dénoncée dans l’automobile, le ferroviaire et les panneaux solaires et créant une concurrence déloyale dans le cadre d’appels d’offres en Europe, selon Bruxelles.

De son côté, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgiev, a encouragé la Chine en mars à modifier la trajectoire de son modèle économique et à mettre en œuvre des mesures visant à stimuler sa demande intérieure, afin « d’entrer dans une nouvelle ère de croissance ». La Chine est « à la croisée des chemins », avait-elle déclaré.

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