Retraites : la pénibilité, une autre exception française

Par ÉLODIE MESSÉANT
30 janvier 2023 21:42 Mis à jour: 30 janvier 2023 21:42

La pénibilité au travail est au cœur de la bataille qui oppose les syndicats et le gouvernement. Le projet de réforme doit être présenté au Conseil des ministres le 23 janvier, et prévoit un budget spécifique de 200 millions d’euros par an, sur la durée du quinquennat, pour mieux l’encadrer. Un tel dispositif n’a pas vraiment d’équivalent à l’étranger.

Dans la législation française, la reconnaissance de la pénibilité repose sur trois types de facteurs : physiques (postures, charges lourdes, vibrations), environnementaux (agents chimiques, températures extrêmes) et rythme de travail (horaires de nuit). Elle concerne donc des métiers physiques auxquels sont associés des risques élevés d’accidents ou de maladies, ce qui justifie la mise en place d’un dispositif permettant un départ à la retraite plus précoce. Mais depuis son apparition au XIXème siècle, la notion de pénibilité ne cesse de s’étendre à différents corps de métiers, sans que cela soit nécessairement justifié, conduisant à un dévoiement de ces mesures.

En l’état actuel des choses, les salariés concernés peuvent cumuler des points tout au long de leur carrière via un compte professionnel de prévention (C2P) qui leur permet d’accéder à des formations, un temps partiel, ou encore une retraite anticipée. En raison de la complexité du système – les employeurs s’y perdant un peu dans l’attribution et le suivi des points  – certains critères ont fini par être exclus du C2P en 2017. La situation devrait pourtant empirer avec la réforme des retraites, dès lors que le projet de loi impose aux branches professionnelles d’identifier, par elles-mêmes, les métiers exposés à de tels risques.

Une exception culturelle française

Un tel dispositif n’a pas d’équivalent à l’étranger, du moins dans une forme aussi complexe. Selon un rapport de la Commission européenne datant de 2016, il existe deux grandes approches au sein des autres pays. La première consiste à créer des dispositions spécifiques de pénibilité pour une large catégorie de travailleurs (Autriche, Belgique, Espagne, France, etc.) ; la seconde s’oppose à toute forme de mesure spéciale – comme au Royaume-Uni – et laisse la liberté aux employeurs de conclure des accords collectifs dans des secteurs ou des métiers particuliers (Suisse, Allemagne, Suède).

Le même rapport démontre que, s’il existe une grande variété de législations entre les pays, la tendance des dix dernières années est au durcissement des critères de pénibilité au travail. L’objectif étant d’éviter des départs abusifs pour les réserver uniquement aux personnes réellement malades ou incapables de travailler – soit l’exact inverse de la tendance observée en France.

La boîte de Pandore du système de retraite

Historiquement, la pénibilité au travail a été prise en considération dès 1853 lors de la création de régimes spéciaux pour certains fonctionnaires. Les fonctionnaires dits “actifs”, censés accomplir des tâches pénibles et risquées, s’opposaient alors aux fonctionnaires dits “sédentaires”. Une distinction qui aurait permis aux premiers de bénéficier d’une dérogation pour partir à la retraite plus tôt. Problème : ce privilège, au départ apanage de la fonction publique, a ouvert une véritable boîte de Pandore. Au début du XXème siècle, l’Inspection des finances a dénoncé les abus d’un concept utilisé à tout va, dont un trop grand nombre de fonctionnaires profitent sans réelle justification.

Un siècle plus tard, c’est la Cour des comptes qui donne l’alerte sur la création de dispositifs dérogatoires toujours plus nombreux. Dans un rapport de 2019, elle relève que près d’un départ à la retraite sur deux est, de fait, un départ anticipé, donc dérogeant à l’âge légal ; ce qui fragilise la situation financière du système de retraite et représente un coût élevé pour la collectivité (14 milliards d’euros en 2016 selon ce même rapport). Aujourd’hui, la pénibilité ressemble surtout à un concept dévoyé par un syndicalisme égotique, qui milite activement pour défendre des intérêts particuliers.

Un cadeau empoisonné dont il vaut mieux se débarrasser, à l’instar de la Suède à la fin des années 90, du fait de sa subjectivité intrinsèque et de la trop grande complexité des situations professionnelles. Plutôt que de l’intégrer dans une loi générale, il serait préférable de laisser un tel dispositif à la charge de l’employeur et du salarié – notamment par des mécanismes de capitalisation – pour compenser une cessation précoce d’activité. Sans oublier le moyen sans doute le plus simple : accroître la rémunération des tâches pénibles afin que les employés concernés puissent, s’ils le désirent, prendre plus tôt leur retraite.

Article écrit par ÉLODIE MESSÉANT, avec l’aimable autorisation de l’IREF.

L’IREF est un « think tank » libéral et européen fondé en 2002 par des membres de la société civile issus de milieux académiques et professionnels dans le but de développer la recherche indépendante sur des sujets économiques et fiscaux. L’institut est indépendant de tout parti ou organisation politique. Il refuse le financement public.

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