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Sutton Hoo : un trésor anglo-saxon révélé à la veille de la Seconde Guerre mondiale

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Le casque en fer avec des éléments en alliage de cuivre, argent, or, sourcils ornés de grenats et étain est devenu le symbole de Sutton Hoo. Cette photo montre la réplique du célèbre casque de Sutton Hoo.

Photo: Ludovic Marin/Getty Images

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Durée de lecture: 13 Min.

Le poème épique anglo-saxon Beowulf évoque un monde de rois et de guerriers, de festins donnés dans de vastes salles, de trésors somptueux et de funérailles grandioses. Dans la traduction de Seamus Heaney, l’un de ces enterrements en bateau est décrit ainsi :

« Ils étendirent leur seigneur bien-aimé dans son navire,
posé près du mât, au centre du vaisseau,
ce grand donateur d’anneaux. Des trésors venus de loin
furent empilés sur lui, et des objets précieux. »

Longtemps, les historiens ont considéré de telles descriptions comme relevant du mythe. Le terme « Âge sombre » était couramment utilisé pour désigner la période post-romaine en Grande-Bretagne, perçue comme une ère de déclin civilisationnel. Durant cette époque, des tribus germaniques migrèrent vers la Grande-Bretagne et y établirent sept royaumes anglo-saxons. Ils développèrent le vieil anglais, première forme attestée de la langue anglaise. Pourtant, la culture de ces peuples restait largement méconnue des chercheurs contemporains.

Cette vision a radicalement changé à la veille de la Seconde Guerre mondiale, dans le comté de Suffolk, en Angleterre, lorsqu’un des plus grands sites archéologiques jamais découverts fut mis au jour : Sutton Hoo. Le nom vient des mots en vieil anglais sut et tun (« établissement »), et hoh, qui désigne une colline en forme d’éperon.

Le tumulus du navire funéraire

Le site funéraire du navire de Sutton Hoo a été découvert dans une tombe en tertre sur la propriété d’Edith Pretty dans le Suffolk, en Angleterre. (Wirestock Creators/Shutterstock)

La sépulture navale de Sutton Hoo, riche en trésors témoignant du savoir-faire artisanal anglo-saxon et du commerce international, a été découverte dans un tumulus situé sur le domaine d’Edith Pretty. Pretty (1883–1942), veuve vivant avec son jeune fils, était depuis longtemps fascinée par les buttes de terre situées à seulement 500 mètres de sa maison. On en compte environ 18, mais leur nombre exact reste incertain en raison de l’érosion subie au fil des siècles.

Dans sa jeunesse, Edith Pretty avait voyagé à travers le monde et assisté à des fouilles archéologiques, ce qui avait nourri chez elle une véritable passion pour l’histoire. Après avoir consulté un conservateur d’un musée local, elle engagea Basil Brown (1888–1977), archéologue amateur du Suffolk, reconnu pour sa connaissance du sol et de la géologie de la région, afin d’examiner son terrain.

Durant l’été 1938, Brown et son équipe excavèrent les tumuli 2, 3 et 4, mettant au jour quelques petits objets. Un an plus tard, ils reprirent les travaux en concentrant leurs efforts sur la plus grande sépulture, le Tumulus 1. Au bout de seulement 3 jours de fouille, un rivet de fer appartenant à un navire fut découvert. Il fut rapidement établi qu’il s’agissait d’une sépulture navale de grande taille. Le contour fantomatique du navire demeurait visible, bien que le bois se soit dissous dans le sol acide. Le corps inhumé avait lui aussi disparu, décomposé au fil du temps.

Une photo datant de 1939 montrant l’excavation du site funéraire du navire de Sutton Hoo par Harold John Phillips, frère de l’archéologue britannique Charles Phillips. (Domaine public)

L’importance de la découverte conduisit à l’intervention de l’archéologue professionnel Charles Phillips (1901–1985), de l’université de Cambridge, qui prit la direction des fouilles et forma sa propre équipe triée sur le volet. Basil Brown continua néanmoins à participer activement aux travaux.

Alors que l’Angleterre était sur le point d’entrer en guerre contre l’Allemagne, le temps pressait : il était impossible de se procurer du matériel professionnel. Les archéologues improvisèrent donc avec les moyens du bord, utilisant des pinceaux à pâtisserie, des soufflets et même une pelle à charbon pour poursuivre les fouilles.

Les richesses dissimulées sous le tumulus furent enfin révélées : un navire de 27 mètres de long contenant une chambre funéraire remplie d’objets précieux, miraculeusement épargnés par les pilleurs de tombes au fil des siècles. Datée du début des années 600, cette découverte confirma l’hypothèse initiale de Basil Brown : il s’agissait bien d’une sépulture anglo-saxonne d’un haut dignitaire, et non d’un enterrement viking, comme certains l’avaient supposé.

Le National Trust, qui gère aujourd’hui le site de Sutton Hoo, écrit :

« Au total, 263 objets furent mis au jour : or, grenat, argent, bronze, émail, fer, bois, os, textile, plumes et fourrure. Parmi les découvertes figurait notamment… l’emblématique casque de Sutton Hoo – bien que, lors de son excavation, les archéologues n’en aient trouvé que des fragments brisés. »

Une agrafe d’épaule (fermée) a été découverte lors de l’excavation du site funéraire du navire de Sutton Hoo. British Museum, Londres. (Rob Roy/CC BY-SA 2.5)

Une enquête officielle conclut qu’Edith Pretty était la propriétaire légitime des trésors découverts. Dans un geste d’une rare générosité, elle fit don de l’intégralité du butin au British Museum. La première exposition publique des objets eut lieu au début de l’année 1940, mais en raison de la Seconde Guerre mondiale, ils furent rapidement transférés dans des tunnels reliant les stations du métro londonien afin d’être mis à l’abri.

Après la victoire des Alliés, les pièces revinrent au musée, où elles figurent aujourd’hui parmi les œuvres les plus emblématiques de la collection.

Trésors révélés

Le casque de Sutton Hoo reconstruit au British Museum, Londres. (Oli Scarff/Getty Images)

Le casque en fer, orné de garnitures en alliage de cuivre, d’argent, d’or, de sourcils incrustés de grenats et d’étain, est devenu le symbole emblématique de Sutton Hoo. À la fois magnifique et fonctionnel, il constitue un vestige exceptionnel de l’Angleterre anglo-saxonne, puisqu’on ne connaît aujourd’hui que trois autres casques complets de cette période.

Conçu sous la forme d’un masque facial, l’objet présente une décoration complexe mêlant motifs de guerriers et créatures redoutables. Ensemble, les sourcils, le nez et la moustache composent l’image stylisée d’un dragon.

Lorsque les archéologues l’ont découvert, le casque était très corrodé et réduit en plus de cent fragments. Une réplique a été réalisée par l’équipe de conservation du musée, et elle est désormais exposée aux côtés du casque original restauré.

(À dr.) Le bouclier reconstruit de Sutton Hoo est fabriqué avec un bord en métal et des ornements en alliage de cuivre doré, or et grenat. (À g.) Des bols en argent, ornés d’un motif en forme de croix, ont également été découverts lors des fouilles de Sutton Hoo et auraient été utilisés à des fins religieuses. (Ludovic Marin/Getty Images) / David Winn-Morgan/Shutterstock)

Le guerrier inhumé était également accompagné d’armes finement ouvragées, de vaisselle de banquet et d’une lyre, ainsi que de bols, de cuillères et d’un grand plat en argent provenant de l’Empire byzantin – des objets qui étaient déjà vieux d’un siècle au moment de l’inhumation. Fait remarquable, certains de ces éléments en argent présentent des motifs chrétiens, bien que la sépulture elle-même suive un rituel pré-chrétien.

La bourse funéraire contenait 37 pièces d’or mérovingiennes, originaires de Francie (nom du royaume des Francs sous les Mérovingiens) – avant même l’apparition d’une monnaie proprement anglaise. Chaque pièce provenait d’un atelier monétaire différent, ce qui a grandement aidé à dater l’enterrement aux alentours de l’an 625 après J.-C.

Boucle de ceinture en or découverte sur le site funéraire de Sutton Hoo. (David Winn-Morgan/Shutterstock)

Un autre objet majeur de la sépulture est une grande boucle de ceinture en or. Qualifiée de « chef-d’œuvre de l’artisanat médiéval primitif » par le British Museum, elle pèse plus de 400 grammes et est ornée de niellure, un alliage métallique noir utilisé en incrustation pour des motifs gravés sur le métal. La boucle présente une ornementation zoomorphe complexe, avec des oiseaux entrelacés, des bêtes à quatre pattes et des serpents. Ces motifs décoratifs étaient prisés par les peuples germanophones de l’époque.

Un immense bouclier de Sutton Hoo, le plus élaboré de son genre à avoir survécu, est lui aussi décoré d’animaux, dont un oiseau de proie et un dragon. Il pourrait s’agir d’un cadeau diplomatique venu de Scandinavie. Le couvercle de la bourse funéraire, également orné de motifs animaux, fait partie des objets décorés de grenats. Des recherches scientifiques récentes ont relié ces pierres précieuses à divers gisements internationaux, notamment en Écosse et au Sri Lanka.

Un couvercle de bourse finement travaillé en or, grenat et millefiori (travail du verre) a été exhumé à Sutton Hoo. (user:geni/CC BY-SA 4.0)

Les chercheurs ont tenté d’identifier la personne qui a mérité un tel enterrement public impressionnant. Il aurait été extrêmement difficile de hisser un navire sur la colline depuis la rivière Deben dans le Suffolk, de creuser une vaste tranchée et de construire une chambre funéraire. La manière dont cette prouesse a été réalisée reste inconnue. La richesse des objets découverts, tant par leur qualité que par leur quantité, conduit à la conclusion que le défunt était un roi. Le candidat le plus probable est Raedwald, souverain du royaume d’Anglie orientale, qui comprenait les régions actuelles du Norfolk et du Suffolk, et appartenait à la dynastie des Wuffingas.

Une plaque de harnachement rectangulaire en or, composée d’une plaque supérieure fixée à une plaque inférieure par trois rivets à chaque extrémité, a été découverte sur le site funéraire de Sutton Hoo. (David Winn-Morgan/Shutterstock)

Sutton Hoo est la sépulture intacte la plus riche jamais découverte en Europe du Nord. Ce site funéraire vieux de 1 400 ans a démontré que les Anglo-Saxons étaient des commerçants hautement qualifiés et cosmopolites, dotés d’une culture sophistiquée. La période anglo-saxonne a posé les bases de la Grande-Bretagne moderne. Sa découverte, juste avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, revêt une signification particulière, puisqu’elle est devenue un symbole d’identité nationale. Ce moment est magnifiquement illustré dans le film « The Dig » réalisé en 2021 et diffusé sur Netflix.

Dans un échange historique, les trésors de Sutton Hoo seront prêtés à la France entre 2026 et 2027, dans le cadre d’un accord de prêt qui verra la tapisserie de Bayeux exposée au British Museum. Cela témoigne de la manière dont l’esprit et les histoires des peuples qui ont fait Sutton Hoo continuent de résonner à l’échelle mondiale.

Michelle Plastrik est conseillère en art et vit à New York. Elle écrit sur un grand nombre de sujets, dont l'histoire de l'art, le marché de l'art, les musées, les foires d'art et les expositions spéciales.

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