Une subvention de 30 milliards de dollars octroyée à Huawei au cœur de la guerre technologique sino-américaine

Des personnes arrivent pour assister au discours d'ouverture donné par Huawei lors de l'édition spéciale du salon de l'électronique grand public et de l'électroménager IFA 2020, le 3 septembre 2020 à Berlin, en Allemagne.
Photo: Sean Gallup/Getty Images
La méga-entreprise technologique subventionnée par la Chine fait à nouveau parler d’elle, échappant aux sanctions américaines, espionnant l’Europe et s’attirant, le plus souvent, des ennuis.
Selon Bloomberg, le 22 août, Pékin a versé 30 milliards de dollars à Huawei, qui construit un « réseau secret » d’usines de fabrication de puces informatiques – appelées « fabs » – pour échapper aux sanctions imposées par les États-Unis. Huawei a acquis deux usines en Chine et en construit au moins trois autres. L’activité de Huawei s’étend des appareils de télécommunication à la 5G, en passant par les systèmes d’exploitation et les véhicules électriques, autant de produits qui seront probablement disponibles à l’exportation, avec tous les risques qu’ils comportent pour la sécurité nationale des pays.
Un groupe international d’entreprises concurrentes – notamment des États-Unis, de la Corée du Sud, des Pays-Bas et de Taïwan – a dénoncé le stratagème de Huawei, qui utiliserait de nombreuses sociétés écrans en Chine pour obtenir des technologies interdites aux États-Unis et en Europe.
Alors que l’administration Biden a interdit l’exportation des puces les plus évoluées de 14 nanomètres et moins vers la Chine, les puces « anciennes » moins puissantes et leur équipement de fabrication, qui produisent des puces de plus de 14 nm, peuvent toujours être exportées vers la Chine. Toutefois, aucune puce, aucun disque dur ni aucun autre équipement ne peut être vendu à Huawei et ses sociétés écrans reconnues, ce qui explique pourquoi Huawei serait en train de mettre en place de nouvelles sociétés écrans.
L’application de la loi contre Huawei n’est pas chose aisée lorsque des entreprises américaines semblent complices. En avril, les autorités américaines ont infligé une amende de 300 millions de dollars à la société californienne Seagate pour avoir expédié 7,4 millions de disques durs à Huawei en dépit des interdictions. Compte tenu de la valeur de ces disques, qui s’élève à 1,1 milliard de dollars, l’amende semble n’être qu’une simple tape sur les doigts.
Huawei est utilisé par des milliards de personnes dans le monde, et ses plans d’expansion sont similaires à ceux de la Chine. Huawei se concentre sur le marché intérieur chinois, notamment en revenant sur le marché des smartphones, comme en témoigne l’augmentation des commandes de puces auprès de producteurs nationaux comme la société chinoise SMIC, et en tentant, avec le soutien du gouvernement local, de supplanter les systèmes d’exploitation mobiles américains, Android et iOS, par les systèmes HarmonyOS et EulerOS de Huawei. Huawei développe également des partenariats avec les constructeurs chinois de véhicules électriques, BYD et Chery.
Huawei exploite les marchés internationaux favorables à la Chine que les experts de Pékin aiment appeler le « Sud mondial », avec les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) en tête et Pékin en avant-garde pour utiliser le bloc des pays en développement à la fois comme des marchés d’expansion et comme un bouclier contre les États-Unis et l’Europe.

Des gens passent devant un magasin Huawei en dessous d’un Pizza Hut à Pékin le 22 octobre 2020. (Greg Baker/AFP via Getty Images)
Huawei a récemment progressé au Brésil, en Inde, en Afrique du Sud et aux Nations unies. La société utilisera les nouvelles adhésions aux BRICS de l’Argentine, de l’Égypte, de l’Éthiopie, de l’Iran, des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite pour tenter de vendre davantage sa marque.
Huawei ne se porte pas très bien au Népal. La récente offre de Huawei a été annulée ce mois-ci compte tenu des inquiétudes suscitées par la corruption et les pratiques monopolistiques observées dans le secteur des télécommunications du pays. Toutefois, cette exception confirme la règle et montre comment Huawei parvient à s’implanter dans les pays en voie de développement.
Le Parti communiste chinois (PCC) tente d’inculquer aux BRICS un sentiment de ressentiment à l’égard des États-Unis et de l’Europe pour s’approprier le leadership mondial et faciliter la prise de pouvoir de Pékin. Le PCC applique la même stratégie en Europe, en faisant remarquer que les sanctions extraterritoriales américaines s’appliquent aux pays européens qui font des affaires avec l’Iran, par exemple.
Huawei aurait pu utiliser ce ressentiment de manière concrète pour étendre son propre accès au marché sur le continent européen et y parvient dans une certaine mesure grâce à l’électronique grand public et aux subventions limitées et naïves accordées par les autorités européennes à ses programmes.
Mais dans l’ensemble, l’Europe ne croit pas à cette histoire de ressentiment. Les anciens succès européens de Huawei vont se dégrader car Bruxelles, et même des pays relativement tolérants à l’égard de la Chine comme les Pays-Bas et l’Allemagne, se sont retournés contre Pékin après l’invasion de la Russie. Le soutien du PCC à Moscou fait comprendre à toute l’Europe occidentale qu’elle doit renforcer ses défenses, qu’elles soient militaires, économiques ou cybernétiques, contre des dictateurs comme Vladimir Poutine et Xi Jinping.
La volte-face de l’Allemagne à l’égard de Huawei pourrait être coûteuse : des équipements dont la valeur s’élève à des centaines de millions de dollars pourraient être retirés de ses réseaux 5G et ferroviaires. Le gouvernement allemand a fait savoir que si des risques de sécurité étaient détectés, même sur du matériel Huawei déjà installé, il n’y aurait pas d’objection financière à ce qu’il soit retiré.
Certains en Suisse pourraient également envisager de sécuriser le réseau 5G du pays à l’aide d’équipements Huawei. Alors que Huawei avait promis au Danemark de ne pas l’espionner, des rapports ont indiqué le contraire : Huawei aurait espionné le Danemark pour obtenir un contrat de télécommunications d’une valeur de 198 millions de dollars. En Suisse, où Huawei a tenté de faire une promesse similaire, les parlementaires en ont pris note. L’un d’eux a proposé que la Suisse établisse une nouvelle relation de « confiance zéro » avec Huawei et d’autres fournisseurs de réseaux étrangers.
Les nouvelles concernant l’espionnage, les fausses promesses et les sociétés écrans de Huawei montrent une fois de plus que les sanctions ciblées contre les personnes et les entreprises contrôlées par le PCC en Chine ne fonctionnent pas bien. Le PCC a l’art de ne pas tenir ses promesses, de recourir à l’espionnage et d’échapper aux sanctions en utilisant des sociétés écrans. Pékin dispose d’une réserve apparemment inépuisable de bureaucrates qui aimeraient gravir les échelons du PCC en dépit de ses violations des droits de l’homme et des droits internationaux.
Ce dont les démocraties ont réellement besoin pour ramener la Chine à un comportement plus pacifique, c’est d’augmenter progressivement les droits de douane et les sanctions sur l’ensemble du pays, y compris Hong Kong et Macao, en dissociant la Chine et ses partisans internationaux des marchés plus dynamiques et des écosystèmes d’innovation des sociétés libres et démocratiques.
Si la Chine veut bénéficier de l’innovation apportée par les sociétés libres, elle doit d’abord devenir libre et pacifique.

Anders Corr est titulaire d'un BA/MA en sciences politiques de l'université de Yale (2001) et d'un doctorat en administration de l'université de Harvard (2008). Il est directeur de Corr Analytics Inc. et éditeur du Journal of Political Risk, et a mené des recherches approfondies en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. Il est l'auteur de "The Concentration of Power" (à paraître en 2021) et de "No Trespassing", et a édité "Great Powers, Grand Strategies".
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