La vitesse du son et la civilisation

Les réflexions de la violoniste Li Fan sur la musique ancienne, le rythme de la vie moderne et le renouveau de la culture traditionnelle

Par Catherine Yang
13 janvier 2023 18:33 Mis à jour: 13 janvier 2023 18:33

Li Fan, spécialiste de la musique baroque et ancienne, a récemment recommencé à jouer du violon moderne. L’expérience l’a amenée à réfléchir à plusieurs aspects du changement de rythme de la musique, de la culture et de la vie au cours de l’histoire.

« On peut voir le développement de notre civilisation dans le changement de nos instruments », a-t-elle expliqué.

Au cours d’un entretien, Mme Li a évoqué l’évolution du violon, du violon ancien jusqu’au violon moderne (le sien, fabriqué par le luthier contemporain Jörg Wunderlich), une évolution qui reflète celle de la langue et de la culture. Ces dernières années, sa carrière a en quelque sorte bouclé la boucle. Son art s’est approfondi par une compréhension renouvelée de la tradition et de la foi.

La compression du temps

Le fait de s’accorder sur 432 Hz est un peu intrigant, comme s’il s’agissait d’un chiffre magique. Le hertz est une mesure de la fréquence – le nombre de cycles dans une seconde – et plus le chiffre est élevé, plus la hauteur du son est élevée.

À l’époque de Haydn, Mozart et Beethoven, lorsque la musique a atteint ce que beaucoup considèrent comme son apogée, les instruments étaient accordés à 432 Hz. C’était le siècle des Lumières, un temps de progrès et de découvertes, et le rythme de tout changeait. Les pianos que Beethoven utilisait à la fin de sa carrière étaient des instruments presque entièrement différents de ceux qu’il connaissait dans son enfance.

Pour Mme Li, le changement de tonalité n’est pas simplement une question de goût. Il est lié au rythme de vie de la société en général.

La musique baroque (celle de Bach et de Haendel) est généralement accordée à 415 Hz, et la musique classique (Haydn et Mozart) quelque part entre 427 et 432 Hz. Aujourd’hui, plusieurs orchestres sont réglés sur 440 Hz, bien que certains soient déjà passés à 442 ou 444 Hz.

Pour remonter au début de l’histoire de la musique occidentale, on commence généralement par les chants grégoriens des monastères médiévaux.

« La musique médiévale est très, très lente. Si vous êtes un nouvel auditeur, vous pouvez même vous demander pourquoi la musique évolue si lentement. Mais il y a beaucoup de contenu. »

« Cela me rappelle qu’un poème peut être bref, mais contenir beaucoup de sens. » D’origine chinoise, Mme Li a fait référence aux poèmes de la dynastie Tang et aux écrits des anciens sages. Avec cinq mots, ils exprimaient ce qui nécessiterait des centaines de mots en langage moderne simple.

L’Antiquité regorge de proverbes et de sagesse

Le rythme de la musique ancienne devait convenir aux anciens, qui avaient « le cœur plus calme pour écouter cette musique », qui peut sembler lente à la personne moderne et occupée. Mais si vous calmez votre cœur et vos nerfs, et que vous êtes présent et attentif, vous découvrirez que vous pouvez aussi apprécier la virtuosité et la signification de la musique ancienne, a-t-elle ajouté.

Tout au long de la période médiévale, le violon (également appelé vièle) était très répandu. Comme la viole du XVe siècle, la vièle n’est pas un instrument unique, mais plutôt une famille d’instruments à cordes frottées et à archet. Ils peuvent ressembler beaucoup au violon, ou parfois avoir une forme complètement différente, même anguleuse ou en forme d’étoile. Plusieurs peintures de la Renaissance montrent des anges tenant des instruments ressemblant à des violons.

« La vièle est plate des deux côtés ; elle n’est pas bombée comme pour le violon », a souligné Mme Li, expliquant la différence déterminante. « Il y a plusieurs sortes et styles différents et vous pouvez en voir beaucoup dans les musées ou sur les peintures. »

Le violon baroque était beaucoup plus standardisé que le violon, mais toujours plus large et plus plat que le violon tel que nous le connaissons aujourd’hui. Les deux instruments anciens utilisent des cordes en boyau, et non en métal comme celles que les auditeurs modernes connaissent. Par conséquent, le son des anciennes versions n’est pas aussi fort ou résonnant.

« La façon de jouer est différente. C’est plus naturel, plus chaleureux. Les salles de concert étaient plus petites. Maintenant, vous avez besoin de volume et ainsi de suite, comme pour l’accord d’un instrument de musique – 415 Hz ne suffisent plus. Il faut maintenant des sons plus puissants, plus larges, plus brillants et plus forts, plus virtuoses. »

Les salles de concert sont plus grandes. Les instruments sont fabriqués pour être plus résistants et résonnants. À partir de la période classique, les musiciens et les compositeurs ont continuellement surpassé le passé pour éblouir le public avec leur technique et leur virtuosité.

« Les gens n’ont pas le cœur à faire une chose unique et lente. Dans cet état d’esprit, nous avons perdu certains des plus petits détails. Il y a une perte de sensibilité dans tout cela. Nous avons besoin de plus de volume, de puissance et de vitesse pour plaire aux gens. Je pense que c’est très intéressant. »

 

La violoniste Li Fan affirme qu’accorder un instrument de musique n’est pas simplement une question de goût, mais qu’il est également lié au rythme de vie de la société. (Dai Bing/The Epoch Times)

Rencontre prédestinée

Après avoir joué pendant dix ans comme violoniste dans les orchestres de compagnies de ballet et d’opéra renommées en Chine, et enregistré plusieurs CD, programmes de radio, de télévision et de films, Li Fan a jeté son dévolu sur l’Allemagne. Désireuse d’approfondir son étude de la musique, elle est partie à l’étranger. Par un coup du sort, elle a découvert la musique ancienne et l’a accueillie à bras ouverts.

« Ce qui a commencé comme une rencontre fortuite s’est transformée en une mission », a-t-elle dit.

À l’âge de 30 ans, Mme Li a déconcerté les administrateurs lorsqu’elle s’est inscrite aux conservatoires de musique allemands. Ils lui disaient que la plupart de leurs nouveaux étudiants avaient à peine 17 ans et se demandaient ce qu’elle faisait parmi eux.

Mme Li a été acceptée dans une école, mais on lui a dit qu’il n’y avait pas assez de professeurs et qu’elle devait attendre un semestre avant de commencer les cours. Ayant le mal du pays et fatiguée d’attendre, elle a décidé de se renseigner pour savoir si elle pouvait suivre d’autres cours.

« La première chose qu’ils m’ont demandée, c’est mon âge », raconte-t-elle. Elle plaisante en disant qu’ils ont dû la trouver trop vieille, car ils lui ont conseillé d’aller apprendre la musique ancienne. Elle a été envoyée au département de musique ancienne où, finalement, on lui a dit de revenir la semaine suivante et d’apporter son instrument.

Lorsqu’elle est revenue, elle a découvert un tout nouveau monde sonore.

Les études anciennes

« Cet instrument est venu à moi et je l’ai accepté, je l’ai étudié, j’ai compris son histoire et son contenu, et j’en ai apprécié la beauté », a-t-elle expliqué. Elle s’est plongée non seulement dans la musique ancienne, mais aussi dans l’art et la culture médiévaux.

« C’est très proche de Dieu – tous les arts étaient liés à Dieu », dit-elle.

Pendant ses études en Allemagne, elle a suivi des cours de maître en musique avec Ton Koopman, chef d’orchestre et musicologue renommé, John Holloway, spécialiste en violon baroque, Anton Steck, violoniste et chef d’orchestre, et Pedro Memelsdorff, directeur musical et musicologue spécialisé dans la musique médiévale.

Elle a été membre de l’ensemble Paradiso à Francfort et a collaboré avec La Stagione Frankfurt, le Free Dance Theater de Francfort, Maurice van Lieshout, Michael Schneider, l’orchestre de la cour de Mannheim et le Main Baroque Orchestra.

Après avoir obtenu son diplôme à l’université de musique et des arts du spectacle de Francfort, en Allemagne, Mme Li a poursuivi ses études de troisième cycle en interprétation historique avec Petra Müllejans, violoniste, chef d’orchestre et pédagogue allemande réputée pour ses travaux sur la pratique de l’interprétation historique. Mme Li est ensuite devenue assistante pour les cours de maître du professeur.

Elle a également étudié la musique médiévale et de la Renaissance à la Schola Cantorum Brabantiae avec Maurice van Lieshout et Rebecca Steward.

Mme Li a passé son temps en Europe à jouer dans des ensembles petits et grands, aussi bien de la musique ancienne que des créations. Elle a enregistré un certain nombre de nouveaux CD, dont un album d’œuvres de Vivaldi avec la Capella Academia, et des concertos de Telemann avec l’orchestre de musique La Stagione. Elle apparaît dans des productions enregistrées en direct, comme le DVD du Roter Ritter Parzival (Perceval, le chevalier rouge) 2009 du Schauspiel Frankfurt. Elle est devenue un membre fondateur des ensembles Aquilla, La Pace et le Allegris Quartett, effectuant des tournées en Europe et en Asie. Mme Li a été sélectionnée par le Nouveau Philharmonique de Francfort pour partager la scène avec des artistes tels que le bien-aimé Andrea Bocelli et la célébrité David Garrett.

« Puis, en revenant au violon moderne, celui-ci m’a paru tellement rapide. »

Faire revivre la tradition

Récemment, Mme Li a accepté un poste au sein de la compagnie Shen Yun Performing Arts, de renommée mondiale. Elle était intéressée par la musique et la mission de la compagnie. Elle-même est croyante et elle a apprécié le fait que Shen Yun, basé à New York, met en valeur la foi et la tradition.

« C’est un ensemble très unique », a dit Mme Li. Bien que les instruments de l’orchestre de Shen Yun soient modernes et que la musique soit écrite pour chaque spectacle, la composition de la musique est traditionnelle, tant du point de vue de l’Orient que de l’Occident – de la musique chinoise ancienne avec des arrangements pour un orchestre occidental.

« Nous parlons de faire revivre la tradition – ce n’est pas une chose facile à faire, et ce n’est pas quelque chose que l’on peut dire avec désinvolture. Mais nous devons le faire. Nous le faisons d’une manière complexe et harmonieuse. La musique est chinoise, elle n’est pas seulement agréable à écouter, elle a aussi un sens. Elle vous donne beaucoup à réfléchir. Il y a une histoire. (…) Il y a un sens plus profond et une touche du divin. »

Ici, Mme Li a senti qu’elle pouvait faire fructifier toutes les expériences acquises au cours de sa vie – les années passées à jouer de la musique qu’elle considérait comme la plus proche de Dieu et la culture traditionnelle chinoise dans laquelle elle a été imprégnée pendant son éducation. En rencontrant Shen Yun, elle a pris conscience de sa mission.

« ‘Faire revivre la culture traditionnelle’, c’est une phrase à laquelle je pense tout le temps maintenant, et qui me tient à cœur. J’ai vécu avec la musique ancienne pendant tant d’années dans ma carrière, et mon éducation était celle de la culture traditionnelle. J’ai senti que je pouvais vraiment me concentrer purement et simplement sur cette mission. »

À ce stade de sa carrière, la musique ancienne lui allait comme un gant – un gant usé et confortable. Elle n’avait pas besoin de reprendre le violon moderne, dont les cordes métalliques et l’archet moderne étaient des mondes sonores éloignés de sa zone de confort. La mission de Shen Yun a tellement ému Mme Li qu’elle s’est remise à pratiquer le violon pour atteindre le niveau d’excellence mondial exigé des artistes du groupe.

Pendant ces premiers mois, Mme Li avait l’impression de vivre dans une cocotte-minute. Mais c’était aussi une période qui lui a apporté une nouvelle compréhension de la foi, de la spiritualité et de son art.

« Je pensais avoir la foi auparavant, mais elle est vraiment plus forte maintenant. »

De la pression jusqu’aux diamants

En rencontrant Shen Yun, Mme Li a également acquis un nouveau sens de la foi.

Beaucoup d’artistes de Shen Yun pratiquent le Falun Gong, également appelé Falun Dafa, car les artistes fondateurs ont créé la compagnie basée sur les trois principes universels de vérité, de bienveillance et de tolérance de cette pratique. Le Falun Gong est une discipline spirituelle d’amélioration de soi qui comprend cinq exercices de méditation, dont une méditation assise.

Lorsque Mme Li a rencontré un membre de Shen Yun pour la première fois, l’idée qu’elle pourrait s’adonner à cette discipline spirituelle a germé. En vérité, le mari de Mme Li pratiquait aussi le Falun Gong, mais en plus de dix ans de mariage, ce n’était pas quelque chose qui intéressait Mme Li. Sa foi était une affaire personnelle.

« Pendant cette première année ou deux, je n’ai fait que pratiquer. Mais je me souviens qu’un jour, je suis arrivé tôt, et avant de m’entraîner, j’ai décidé de tout d’abord méditer », a-t-elle dit.

« J’ai enfin trouvé la paix. Et pour une raison ou une autre, les larmes ont coulé à flots », a-t-elle mentionné. Ce fut un tournant dans sa détermination, dans sa mission et dans sa foi. En décidant de vivre sa vie selon les principes de vérité, bienveillance et tolérance, elle a acquis une compréhension plus profonde de l’art et de la musique.

« Shen Yun suscite la bonté chez les gens. Il incite à réfléchir à ce qui est plus élevé, à ce que sont la véritable compassion et bienveillance. La vraie beauté et la vraie bonté changent les cœurs et les esprits. »

Après une représentation particulière en Espagne, Mme Li s’est souvenue des commentaires d’une femme âgée qui était dans la salle avec sa fille. Le mari de cette femme avait également été musicien. Elle avait été profondément émue par la musique du spectacle et a parlé avec ferveur à Mme Li de leur expérience particulière.

« Les spectateurs diront des choses telles que : ‘C’était comme si nous (Shen Yun) avions donné une direction à l’humanité.’ Ils ont l’impression d’avoir obtenu quelque chose de plus que le plaisir sensoriel, quelque chose de positif pour leur esprit, qu’en cultivant son caractère, on peut avoir un meilleur avenir », a dit Mme Li. « Bien sûr, j’ai déjà vu des spectateurs qui étaient émus – mais pas comme cela. »

Mme Li pense que l’art que Shen Yun offre au public est le meilleur, non pas en raison du talent de chaque artiste, mais en raison de l’esprit qu’ils transmettent à chaque spectateur. La culture traditionnelle est une culture d’inspiration divine, et « ce que nous apportons aux gens vient du divin, c’est pourquoi c’est le meilleur », a-t-elle expliqué.

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