DÉCRYPTAGE – La France est en proie à une grave crise de l’expertise psychiatrique. En une quinzaine d’années, le nombre de psychiatres inscrits en tant qu’experts auprès de la justice a largement baissé alors que les magistrats demandent toujours plus d’expertises. In fine, ces médecins se retrouvent avec une masse de travail considérable et la mission n’est pas toujours réalisée correctement. La présidente de l’association Éclats de femme Claire Geronimi a récemment été confrontée de plein fouet à cette crise.
Le sujet n’est pas nouveau. Depuis plusieurs années, le secteur de la psychiatrie est en crise, plus particulièrement les expertises faites par les psychiatres et les psychologues.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2002, 800 experts-psychiatres étaient inscrits auprès des cours d’appel et en 2017, ils n’en restait que 328 – selon des données relatées par la section française de l’Observatoire international des prisons en 2023.
En parallèle, la demande d’expertises à la fois psychologiques et psychiatriques n’a cessé de croître. Un rapport d’information du Sénat publié en 2021 faisait état d’une forte augmentation des expertises entre 2018 et 2020. S’il y en a eu 84.116 en 2018, on pouvait en compter 87.541 deux ans plus tard, soit une hausse de 3,3 %.
Ce manque criant de médecins psychiatres ou psychologues mêlé à une forte hausse des demandes d’expertises a engendré une surcharge de travail. Le même rapport sénatorial voyait d’ailleurs ce déséquilibre comme « préjudiciable à l’indispensable qualité de l’expertise en matière pénale ».
« Des questions très déplacées »
Il y a quelques semaines, la cheffe d’entreprise agressée sexuellement en novembre 2023 par un individu sous OQTF, Claire Geronimi, a vécu cette baisse de la qualité de ce type d’évaluation. Le 27 mai, dans le cadre du procès de son agresseur, la jeune femme de 28 ans a fait l’objet d’une expertise psychiatrique qui lui est apparue violente et choquante.
« Je me suis retrouvée avec deux experts psychiatriques. L’un posait les questions, l’autre écoutait et notait. Celui qui m’interrogeait était constamment dans le jugement et la critique. Il me reprochait par exemple de ne pas avoir pris d’antidépresseurs et de préférer les remèdes homéopathiques pour me reconstruire. J’ai trouvé cela scandaleux », raconte-t-elle à Epoch Times.
« On m’a également posé des questions très déplacées sur ma vie intime. Je me suis qualifiée de certains termes pour raconter comment je me sentais dans mon corps et à chaque fois, j’étais jugée et réprimandée », confie également la jeune femme.
« Mais j’ai surtout été choquée par ce qui s’est passé au début de l’entretien. Le psychiatre m’a demandé des documents qui manquaient. N’ayant pas de carnet, je le préviens que je vais prendre des notes sur mon téléphone, et il s’est mis soudainement à me disputer, certainement par peur que j’enregistre l’expertise », se remémore-t-elle.
Pour la fondatrice de l’association Éclats de femmes, le médecin n’était en aucun cas dans son rôle et aurait dû se montrer plus neutre et correct dans les questions posées.
Claire n’est pas la seule à avoir vécu cette expérience humiliante. « D’autres victimes avec lesquelles j’ai échangé via l’association que je préside m’ont dit que mon cas n’est pas isolé et que, pour ce genre d’expertise, les psychiatres pouvaient parfois se montrer désagréables », nous apprend-elle.
Réformer l’expertise psychiatrique
Différentes pistes ont été avancées et des mesures ont été prises pour tenter de régler cette crise profonde qui touche une partie du corps médical et qui n’est pas sans conséquences sur les décisions de justice.
En septembre 2021, le gouvernement annonçait par la voix de l’ex-ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, la revalorisation de la rémunération des expertises psychiatriques et psychologiques pour les experts libéraux. L’arrêté a été annulé trois ans plus tard par le Conseil d’État. L’institution avait évoqué la création d’ « une rupture d’égalité » par rapport aux autres experts, notamment les collaborateurs occasionnels du service public pourtant majoritaires.
Certains experts du secteur appellent à une réforme de l’expertise psychiatrique et recommandent la mise en place d’un nombre limité d’évaluations réalisées chaque année et une meilleure formation des soignants. Par ailleurs, ces derniers souhaitent l’instauration d’un système de tutorat visant à désigner deux psychiatres, l’un senior et l’autre junior pour que les experts les moins expérimentés ne soient pas isolés.
« Je pense que ces médecins qui malheureusement, ne savent pas parler aux victimes, devraient être mieux contrôlés », soutient de son côté Claire Geronimi, qui estime également que l’État devrait aussi permettre aux victimes de choisir d’être interrogées par des psychiatres de sexe masculin ou féminin.
« Être avec deux hommes dans une pièce alors que je me suis fait agresser montre que l’État ne fait pas correctement son travail. On ne m’a même pas laissé le choix », déplore-t-elle.
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