Abandonnés par leur mère à l’âge de 5 et 7 ans, Michel et Patrice ont passé leur enfance seuls, dans les bois

Par Emmanuelle Bourdy
26 avril 2024 19:51 Mis à jour: 26 avril 2024 19:57

Les faits se passent en 1948. Michel de Robert et son frère, Patrice, ont à peine 5 et 7 ans lorsque leur mère les envoie dans une colonie de vacances, à Châtelaillon-Plage (Charente-Maritime). Mais elle ne reviendra jamais les chercher et ils demeureront là jusqu’à ce que les deux garçons découvrent le propriétaire des lieux pendu au bout d’une corde. Croyant être responsables de la mort de cet homme, les deux enfants s’enfuient. C’est alors qu’ils commencent leur extraordinaire aventure, vivant seuls dans les bois. Au bout de sept ans d’errance, ils doivent retourner vivre dans la société, un crève-cœur pour eux.

Le réalisateur Olivier Casas a fait de leur histoire un film, intitulé Frères, qui est sorti en salle ce mercredi 24 avril. Michel de Robert a aujourd’hui 78 ans, son frère Patrice, lui, a mis fin à ses jours en 1993, ce film est donc une façon de faire revivre cet être bien-aimé.

« Et au milieu de tout ça, il n’y a que du bonheur »

La mère de Michel et Patrice, qui était journaliste pour le quotidien Combat, a abandonné ses deux enfants dans une colonie de vacances située dans le quartier des Boucholeurs, à Châtelaillon. Cette femme avait une vie « libre » et ne les avait pas désirés. « C’est une bonne qui nous avait élevés jusque-là », mentionne d’ailleurs Michel de Robert auprès du Parisien.

Après s’être enfuis de cette colonie, les deux enfants se sont réfugiés 1,5 km plus loin, dans un bois. Ils se sont alors adaptés tant bien que mal à leur nouvel environnement. Comme ils venaient de découvrir le corps sans vie du propriétaire de la colonie, ils craignaient par-dessus tout de se faire arrêter et par conséquent, ils ne sortaient que la nuit.

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Les journées se répètent alors, rythmées par la recherche de nourriture, mais aussi et surtout par le besoin de se protéger du froid. « C’est une souffrance évidemment ! Il fait froid. Vous vous sentez reclus, vous sentez que personne ne vous aime et ne s’occupe de vous », déplore Michel de Robert auprès de France Bleu. Et si personne ne se souciait d’eux, c’est aussi parce qu’après la guerre, l’Europe était peuplée de millions d’orphelins.

Mais ils ont fini par faire de la forêt leur maison. « Et au milieu de tout ça, il n’y a que du bonheur : on a une liberté sur tout. On a la liberté de dormir quand on veut, de courir quand on veut », raconte le septuagénaire, soulignant que « c’était un petit peu notre paradis ». Patrice, lui, « disait qu’on avait commencé notre vie par le meilleur, par la fin », se souvient-il.

Patrice chassait pendant que son frère construisait des cabanes

Se nourrissant de poissons qu’ils pêchent eux-mêmes dans la rivière, mais aussi de lapins et de poules qu’ils chapardent dans des fermes alentours, ils mangeaient ces animaux crus. Pour se vêtir, ils déchiraient les sièges en tissus des voitures qui se trouvaient dans une casse automobile.

Pendant que Patrice chassait, son frère construisait des cabanes. Le premier est d’ailleurs devenu ambulancier, puis directeur de clinique, continuant ainsi « à prendre soin des autres, à sauver des vies », souligne auprès du quotidien francilien, Michel, qui lui est devenu architecte.

« On a tenu parce qu’on a développé des capacités d’adaptation. Et surtout parce qu’on avait l’autre », ajoute-t-il, avouant que Patrice jouait pour lui le rôle de mère et de père à la fois. « On dormait dans les bras l’un de l’autre… Pour être sûr que l’autre serait vivant quand on se réveillerait ».

Malgré la rudesse de leur vie, les deux frères n’ont jamais été malade. « On avait des rhumes et on vomissait parfois parce qu’on mangeait mal, mais on n’a rien eu de grave », signale Michel. Les médecins qui les ont examinés plus tard leur ont cependant découvert des carences.

Après ces cinq ou six années passées en forêt, un ostréiculteur les a embauchés, hébergés et nourris. Puis, leur vie d’errance a pris fin en 1955, lorsque leur mère les a récupérés. « Là, c’est l’enfer qui commence », se remémore Michel, qui va ensuite être séparé de son frère. « La partie difficile, ça n’a pas été les années dans la forêt. C’est surtout ce qu’il y a eu après quand il a fallu se réadapter à la société », assure-t-il auprès de France Bleu.

« Je suis tout seul… Mais je suis avec lui »

Cependant, cette aventure extraordinaire a soudé des liens indéfectibles entre les deux frères. Mais cette belle fraternité a été brutalement rompue lorsque Patrice s’est suicidé, alors qu’il n’avait que 49 ans. Après cette expérience si singulière, ce frère aîné n’a jamais réussi à se reconstruire. « Je ne suis pas heureux. Cette vie ne m’intéresse pas et je ne veux pas te faire porter ça toute ta vie », disait Patrice à son cadet avant de mourir.

Cette histoire, les deux frères l’ont gardée secrète jusqu’à la mort de Patrice. Dans le film d’Olivier Casas, qui est sorti ce mercredi en salle, Mathieu Kassovitz interprète Patrice et Yvan Attal joue le rôle de Michel. Pour ce dernier, ce long-métrage est une manière de « faire exister Patrice » mais aussi de le remercier.

« Moi, si j’existe, c’est grâce à lui », a conclu celui qui, pour renouer avec ce frère défunt, se rend dans le désert chaque année durant dix jours. Un rituel dont il a besoin.

« Je marche, je regarde les étoiles, comme dans la forêt. Je suis tout seul… Mais je suis avec lui. »

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