Croisière au fil du Mékong, entre le Cambodge et le Vietnam

Par Christiane Goor et Charles Mahaux
10 février 2020 18:17 Mis à jour: 10 février 2020 18:17

Fleuve mythique de plus de 4000 km, le Mékong prend sa source sur les hauts plateaux tibétains avant de dévaler les contreforts de l’Himalaya. Il creuse des gorges en terre chinoise, trace les frontières entre la Birmanie et la Thaïlande, éclate en cascades autour des quatre mille îles du Laos avant d’envahir enfin le Cambodge en dessinant un cours plus paisible, plus adapté au rythme des croisières dans des bateaux à fond plat. Toutefois c’est sur son affluent le Tonlé Sap que commence l’aventure qui nous mènera in fine au Vietnam.

6 heures du matin. On a levé l’ancre, quelques chants religieux résonnent doucement au loin. Au petit matin, la lumière a cette pâleur qui libère les formes, les laissant flotter dans l’espace : une frange d’arbres dont les troncs disparaissent avalés par la brume, ou une rive qui s’efface. Les couleurs se fondent jusqu’à ce que le disque rouge du soleil surgisse et grimpe dans le ciel laiteux en chassant ces nappes de brouillard et en découvrant un nouveau paysage.

Sur le «chemin» de l’école, les enfants en uniforme n’hésitent à profiter de l’occasion pour une petite pêche. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

On devine le bruissement des vies. Des pirogues glissent sur l’eau, la silhouette d’un pêcheur accroupi à la proue, surveillant son filet. D’autres bateaux à moteur transportent des enfants en uniforme qui traversent la rivière pour rejoindre leur école. Parfois la silhouette d’une pagode surmontée d’une pointe effilée rappelle que le bouddhisme cambodgien est redevenu religion d’état depuis la fin de la dictature des Khmers rouges sans pour autant recevoir de subsides autres que les dons des fidèles souvent trop démunis encore pour y subvenir.

La terre aux Cambodgiens, l’eau aux Vietnamiens

Les Cambodgiens ont apprivoisé les digues jalonnées de maisons de tôles et de bois qui paraissent suspendues en équilibre instable au-dessus d’un incroyable enchevêtrement de hauts pilotis. D’un côté des lopins de terre à cultiver, de l’autre des échelles rustiques posées sur la digue pour rejoindre les pirogues. Certains se lancent dans des «rizières» de lotus plus rentables que le riz. Fleurs, graines, germes, tiges, jeunes feuilles, tout se consomme. Les escargots y pullulent pondant des milliers d’œufs, une manne à récolter et à vendre au marché. Si on prend la peine de clôturer le site, les poissons et les canards vivent heureux dans cet environnement à l’abri du soleil.

Elégance insolite d’une jeune fille debout sur la poupe de sa pirogue, actionnant sa pagaie dans un mouvement de balancier à la fois gracile et puissant. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Une communauté immigrée vietnamienne privée de terre vit sur le fleuve où elle a développé tout un art de vivre comme dans son pays. Les maisonnettes posées sur un lit de bambous sont arrimées à des futs en polystyrène et adossées à une barque. Tout autour, les familles ont créé un vivier en arrimant des broussailles de jacinthes d’eau maintenues avec des tuteurs en bambou. Les poissons apprécient la fraîcheur qu’ils trouvent dans ce nid aquatique mais rapidement ils se retrouvent enfermés dans un enclos qui assure la subsistance de la communauté.

A la découverte d’un style de vie

On posera pied à terre dans des hameaux qui vivotent le long du fleuve, l’occasion de découvrir une petite communauté dont la vie s’articule autour de la poterie. Des femmes y réalisent des objets à partir d’une motte de terre mouillée posée sur un tronc. Elles la tapotent jusqu’à lui donner sa forme. Séchés au soleil, les pots sont placés dans un four en brique où ils sont recouverts d’écorces de riz avant d’être brûlés. Il ne reste plus qu’à attendre le refroidissement avant de ranger les pots à proximité de la route pour qu’ils soient chargés par un grossiste qui alimentera les marchés.

Découverte de la fabrication super artisanale de jarres en argile. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

C’est l’occasion d’observer l’arbre national du Cambodge, le palmier à sucre, véritable arbre de vie. Ses racines interviennent dans la médecine traditionnelle, son tronc long et droit donne des poutres pour fabriquer des pontons, ses feuilles tissées par les doigts agiles des femmes deviennent chapeaux, toitures de maison, nattes, parois. On se nourrit des fruits et la sève qui s’écoule des fleurs est récoltée dans une tige de bambou pour faire du vin de palme mais aussi un caramel sucré.

L’agilité de celui qui est récolte le jus de palme est impressionnante quand on le voit grimper avec ses tongs le long d’un simple tronc de bambou cranté. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Ailleurs des charrettes à bœufs nous emmènent en une longue file à la découverte d’une pagode de 1913 qui abrite de superbes fresques réalisées comme jadis avec des pigments naturels en respectant le design angkorien. Sous le régime des Khmers Rouges, les lieux ont servi à stocker du sel qui a abîmé une partie des fresques, leur donnant un aspect plus vétuste.

Les charrettes à bœufs qui transportent les voyageurs assurent un petit revenu appréciable pour les villageois. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Phnom Penh, l’effervescente

A l’approche de la capitale cambodgienne, le paysage s’élargit, les villages se densifient, les maisons en dur s’alignent le long de nouvelles digues tracées au cordeau et creusées de canalisations pour irriguer les rizières qui s’étirent au-delà d’une route encombrée de motos pétaradantes. Spectacle inattendu aussi de la confluence des eaux du Mékong qui apparaît plus minéral avec ses reflets verts qui se heurtent aux tons sable du Tonlé Sap.

Un aperçu du quartier historique de Phnom Penh où subsistent quelques joyaux d’architecture préservés par les Khmers rouges. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Rien de tel qu’une balade en tuk-tuk pour s’immerger dans une ambiance frénétique bien éloignée de l’indolence tranquille des rives du Tonlé Sap. Dans cette circulation délirante, on se perd entre les artères qui traversent une ville où anciennes maisons traditionnelles délabrées et bâtiments défraîchis de l’époque coloniale voisinent avec des tours au design clinquant et de nouveaux chantiers de construction. Le regard sera cependant happé par quelques joyaux d’architecture qui se visiteront le lendemain.

Vue sur les quelques bâtiments emblématiques du somptueux Palais Royal de Phnom Penh, construits en respectant le style de l’architecture khmère. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Le Musée National permet de décoder l’iconographie divine qui semble être la marque de tout ce qui a été sculpté depuis la période angkorienne jusqu’au décor du superbe palais Royal édifié en 1866 dont la richesse éblouit les visiteurs et donne à penser que la civilisation cambodgienne est décidément mono culturelle, profondément marquée par le sceau d’Angkor. Bien différente par contre la visite de l’ancienne prison S-21 du régime khmer rouge devenue aujourd’hui le Musée du Génocide dont on ne sort pas indemne. Comme les tortionnaires tenaient des registres méticuleux, on se laisse happer par une interminable succession de photos en noir et blanc, autant de regards hantés par la souffrance sans évoquer celle de nos guides marqués à vie par les sévices endurés.

La seule lecture du règlement d’ordre intérieur de la prison S-21 suffit à imaginer la barbarie des matons. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Impossible en effet d’appréhender ce pays sans se souvenir qu’il a connu en 1975 «l’année zéro», avec la mise en place d’une révolution totale imposée par le régime de Pol Pot et ses sbires. Près de cinq années d’une barbarie absolue qui conduira à la «disparition silencieuse» de près de la moitié de la population. Difficile pourtant de croire que Phnom Penh était une ville fantôme il y a près de 40 ans quand on découvre aujourd’hui le boom immobilier et le réaménagement des berges et des artères. On comprend surtout que la population brisée par tant de souffrances est soulagée de ne plus connaître de conflits. Quant à la jeunesse qui découvre le monde via internet, nul ne sait comment elle appréciera le régime actuel qui tient de la «démocrature» comme il en va sur d’autres terres.

Du Cambodge au Vietnam

Si le passage de la frontière vers le Vietnam est anodin il se remarque cependant à la largeur du fleuve envahi par des barges et d’autres embarcations. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Aucune frontière ne semble marquer le passage vers le Vietnam quand on choisit la formule d’une croisière sur le Mékong. Il est même anodin : un petit bateau à moteur surgit en vrombissant pour ramener le sac à dos diplomatique contenant tous les passeports des passagers et autres papiers de bord tamponnés par les administrations. Et pourtant tout a changé déjà. Le fleuve s’est élargi, parsemé d’îlots de rizières d’un vert tendre et de bateaux dragueurs de sable des fonds du fleuve dont les barges sont chargées à ras des flots. Ce va et vient de montagnes de sable ne cessera de nous accompagner jusque Hô-Chí-Minh Ville, un trafic qui rend la navigation difficile quand on emprunte l’étroit canal Cho Gao.

Le canal Cho Gao a tout d’une nationale où se croisent des embarcations de tailles et au tirant d’eau très variables de l’une à l’autre. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Très rapidement on réalise que le cours du Mékong jusque-là plutôt ample et clair devient dédale aquatique, multipliant des bras qui eux-mêmes se perdent en canaux tous exploités par des entreprises piscicoles (il y en aurait près de 3000 !) ou agricoles. On croise sur ce réseau capillaire toute une batellerie composée de péniches chargées d’écorces de riz, de vedettes rapides, de navettes scolaires, de pirogues et aussi de bacs transbordeurs qui sans discontinuer embarquent piétons, vélomoteurs, voitures, camions chargés de victuailles. A notre tour de glisser dans ce trafic incessant dans nos chaloupes qui accostent plus aisément sur les berges du fleuve.

Quelques rares pêcheurs se faufilent entre les chalands et notre bateau qui crée des mouvements de vagues qui les font tanguer dangereusement. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Les jardins du Mékong

C’est que le delta en plus d’être un vivier géant est un luxuriant jardin horticole, entre rizières mais aussi plants de maïs, de cannes à sucre, de piments, de haricots, de patates douces sans oublier la luxuriance des vergers d’ananas, de manguiers, de cocotiers, de pamplemoussiers, de caramboliers, de jaquiers, etc… La promenade sur les chemins de l’île Binh Hoa Phuoc permet de découvrir des micro-villages où se succèdent des maisons traditionnelles en bois sur pilotis et de nouvelles villas cossues en pierre.

Le pittoresque marché de Sa Dec : une cacophonie de discussions et de rires rythmée par les klaxons des scooters.

Incontournable aussi, le marché de Sa Dec, cette ville bien connue pour y avoir abrité les amours de Marguerite Duras et de l’Amant. D’un côté, à l’abri dans un vaste hangar, des hommes s’affairent, grossistes en fruits et légumes ; de l’autre, des paysannes sont accroupies à même le sol, à côté de leurs palanches chargées des produits de leurs fermes. Quand on se penche vers les étals, on s’étonne de ces pratiques quelque peu barbares qui assurent pourtant la fraîcheur de l’animal abattu sur place, nettoyé et découpé à la demande. Mais c’est l’ambiance qui nous emporte, très colorée et bavarde, bien loin des petites boutiques cambodgiennes ouvertes devant la maison de leurs propriétaires souvent vêtues de couleurs sombres. Ici, dans ces passages étroits bondés de paniers chargés de légumes variés et de fruits mûrs, on assiste au ballet des chapeaux coniques retenus sous le menton par un ruban coloré qui virevoltent au rythme des conversations ou de la déambulation des acheteuses vêtues de pantalons légers et de blouses plus fleuries les unes que les autres.

Terminus, Hô-Chí-Minh-Ville

Depuis le fleuve, Hô-Chí-Minh-Ville se découvre avec son skyline de grattes ciels à l’architecture très contemporaine, bien loin des paysages bucoliques du Delta, le jardin de la Cochinchine. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Poumon économique du pays, la ville apparaît d’emblée comme une cité frénétique et entreprenante d’autant que la circulation y est dantesque. 9 millions d’habitants et 6 millions de motos, soit une ronde infernale chaotique, un concert de klaxons incessant et une pollution avérée qui amènent les conducteurs à circuler avec un masque sur le visage. Si l’horizon est barré par des tours de verre, le cœur historique de la ville a conservé son magnétisme, entre boutiques de luxe qui bordent l’ancienne rue Catinat et quelques vestiges bien conservés de l’époque coloniale française. La cathédrale Notre-Dame, construite dans un style néo-roman, toute en briques rouges importées directement de Toulouse, dresse ses clochers de 40m de haut face à la poste centrale, une des perles de l’architecture coloniale française, avec sa charpente métallique imaginée par Eiffel qui lui donne l’allure d’une gare ferroviaire.

La silhouette de la cathédrale en briques toulousaines de Notre-Dame donne au cœur de ce quartier un petit air de «Paris de l’Extrême-Orient» d’autant qu’elle voisine le bâtiment colonial de la poste. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

A l’inverse, Cholon, cette ancienne enclave chinoise en terre vietnamienne, a conservé intacte son originalité. Des idéogrammes illisibles, de sombres boutiques envahissant les trottoirs pour y vendre d’insolites herbes, racines et écorces médicinales, un marché couvert grouillant et populaire qui expose un improbable bazar et de nombreuses gargotes pour manger sur le pouce. Cholon c’est aussi le lieu de toutes les congrégations où temples et pagodes pittoresques s’y multiplient. Dans le Temple Thien Hau dédié à la déesse de la mer, on reste impressionné par la quantité de bandelettes rouges qui font figure d’ex-votos et qui rappellent l’épopée des boat-people. Plus étrange encore, le temple kitch de Cao Dai, une nouvelle religion créée en 1925 qui se veut une réconciliation entre le bouddhisme, le taoïsme, le confucianisme et le christianisme, l’occasion de découvrir que les fidèles y honorent des personnalités insolites comme Victor Hugo, Jeanne d’Arc ou Churchill !

Derrière l’autel principal du temple bigarré se trouve un énorme globe avec «l’œil divin» Cao Dai, symbole du Caodaïsme. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

La dernière soirée sur l’Indochine II amarré non loin du pôle touristique nous offre un point de vue unique sur la ville qui s’illumine de mille feux. Même à quai, l’effervescence de la capitale nous accompagne avec le va et vient quelque peu assourdissant de bateaux-restaurants-bars aux formes insolites sous les lampions. Pas besoin de quitter notre bateau pour deviner que Hô-Chí-Minh-Ville ne dort guère…

Même la nuit l’ancienne Saigon s’offre en spectacle. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Nous avons voyagé avec le RV Indochine II, dernier né de la flotte de CroisiEurope sur le Mékong inauguré en septembre 2017 : 31 cabines spacieuses de 18 m2, toutes avec un balcon privatif, réparties sur 2 ponts, confort assuré, de quoi vivre une croisière de charme tout en multipliant des expériences inoubliables www.croisieurope.com

(Christiane Goor et Charles Mahaux)

Nous avons choisi l’accompagnement de Croisières d’Exception qui avait chartérisé le bateau, ce qui offre en sus du voyage rythmé par les excursions de CroisiEurope une série de conférences de haute qualité qui aident à décoder les réalités historiques, culturelles et géopolitiques du Cambodge www.croisieres-exception.fr
Prochain départ avec GEO du 20 mars 2020 au 1er avril 2020 ou encore du 26 janvier 2021 au 7 février2021.

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