Le Danemark a annoncé ce mois-ci d’importants investissements militaires au Groenland, incluant de nouvelles infrastructures et le stationnement de troupes dans la capitale du territoire arctique, Nuuk.
Sur place, la promesse d’un surcroît de sécurité provoque une certaine anxiété chez une partie des Groenlandais.
Copenhague assure avoir élaboré ce plan en coordination avec le gouvernement du territoire. La maire de la commune de Nuuk figure parmi les responsables politiques groenlandais qui disent ne pas avoir été informés en amont de l’annonce du 1er octobre, intervenue alors que le président américain Donald Trump manifestait son intérêt pour l’acquisition du Groenland.
Si certains Groenlandais voient l’intérêt d’une protection renforcée, d’autres redoutent des bouleversements culturels dans leur capitale, qui compte moins de 21.000 habitants. Ces développements assombrissent aussi les aspirations à l’indépendance.
« Nous avons le sentiment d’être infiltrés par l’armée danoise », a déclaré à Epoch Times Kuno Fencker, député au Parlement du Groenland.
Membre du Naleraq, parti centriste favorable à l’indépendance, M. Fencker affirme n’avoir découvert ces projets qu’à leur parution dans les médias.
Jorgen Boassen, militant groenlandais qui plaide pour l’indépendance et un rapprochement avec les États-Unis, confie à Epoch Times que la population du Groenland « se sent désespérée et apeurée ».
Lui et M. Fencker soulignent que la présence militaire américaine au Groenland — actuellement cantonnée à la base spatiale de Pituffik, dans l’extrême nord — se trouve à des centaines de kilomètres glacés de Nuuk et des autres grands centres urbains.
« Pourquoi devrions-nous avoir une base militaire en pleine capitale ? », interroge M. Boassen.
Jørgen Boassen, militant groenlandais favorable à l’indépendance et à des liens plus étroits avec les États-Unis, à Washington, le 14 août 2025. (Nathan Worcester/Epoch Times)
Jonas Faber, artiste groenlandais parti s’installer au Canada pour renouer avec les terres ancestrales inuites, confie à Epoch Times redouter que ces changements n’érodent l’espoir d’une plus grande autonomie.
« Les Inuits groenlandais autochtones [sont] confrontés à une situation grave », écrit M. Faber dans un courriel adressé à Epoch Times.
Selon M. Fencker, l’expansion militaire danoise éloignera le Groenland « d’un pas supplémentaire de l’accession au statut d’État souverain ».
Des milliards pour la défense
Les nouveaux crédits de 4 milliards de dollars prévus par le ministère danois de la Défense pour l’Arctique incluent un nouveau quartier général du Commandement conjoint de l’Arctique à Nuuk, qui accueille déjà l’un des deux principaux sites de cette autorité civilo-militaire. Le Danemark entend y stationner une nouvelle unité militaire.
L’accord de défense du ministère prévoit également la construction d’un nouveau quai militaire dans le port de Nuuk.
Une fiche d’information du ministère précise que « le quai pourra également être utilisé par les alliés et profitera à la société civile lorsque les forces armées danoises n’occuperont pas l’espace ».
Ces investissements interviennent après un renforcement, en juin, de la présence militaire danoise au Groenland, avec le déploiement d’une frégate et de deux hélicoptères.
Ils font aussi suite aux déclarations de Trump évoquant l’annexion du territoire, l’intéressé n’ayant pas exclu de recourir à la force pour y parvenir.
En août, des médias danois, citant des sources du renseignement d’État, ont rapporté que des citoyens américains menaient des opérations d’influence clandestines au Groenland, visant à promouvoir la sécession.
Au titre du régime d’autonomie de 2009, le Groenland dispose de compétences étendues en matière de politiques intérieures, mais la loi confie toujours au Danemark les décisions relevant de la défense et des affaires étrangères.
La colonelle Susan Meyers (à g.), commandante du 821st Space Base Group, salue le vice‑président JD Vance et la seconde dame Usha Vance à la base spatiale de Pituffik, au Groenland, le 28 mars 2025. (Sgt Jaime Sanchez/U.S. Space Force)
Le territoire dispose bien d’un ministre des Affaires étrangères, en lien avec le ministre danois de la Défense.
Ce qui filtre jusqu’au Parlement groenlandais va rarement bien loin, estime M. Fencker.
La commission des Affaires étrangères et de la politique de sécurité peut « être en quelque sorte informée de ce qui se passe », dit-il, mais ses membres ont l’interdiction de tenir informés les autres élus de leurs partis.
« Nous comprenons parfaitement qu’il puisse y avoir des enjeux de sécurité et de défense », poursuit-il, citant la pêche illégale dans les eaux du territoire. « Mais cela doit toujours se faire avec le plein consentement éclairé du Parlement groenlandais. »
Un bâtiment de la Marine royale danoise se prépare à accoster à Nuuk, capitale du Groenland, le 4 mai 2025. (John Fredricks/Epoch Times)
Epoch Times a contacté la présidente de cette commission, Pipaluk Lynge, ainsi que la ministre groenlandaise des Affaires étrangères, Vivian Motzfeldt. Aucune n’avait répondu au moment de la publication.
Dans un communiqué publié le 13 octobre, Avaaraq Olsen, maire de la commune incluant Nuuk, indique n’avoir été alertée du projet d’extension du quai qu’après sa large médiatisation. Elle exprime des réserves sur l’impact potentiel de la présence militaire sur la culture de Nuuk.
Aleqa Hammond, présidente du parti de centre gauche Siumut, a déclaré à la radiotélévision groenlandaise que les Groenlandais n’avaient pas été suffisamment associés aux décisions relatives aux exercices militaires et autres initiatives de défense sur leur territoire.
Les armées européennes s’installent
D’autres armées européennes ont, elles aussi, marqué leur présence au Groenland.
En août, un navire ravitailleur de la marine allemande, le Berlin, a fait escale à Nuuk avant des manœuvres entre alliés de l’OTAN dans les eaux canadiennes.
Le Commandement de la défense danoise a indiqué qu’il s’agissait de « la première fois qu’un bâtiment militaire allemand de la taille du Berlin accostait à Nuuk ».
Un bâtiment de la Marine française, le BSAM Garonne, a fait escale à Nuuk dans des circonstances similaires peu après. En visite au Groenland en août, le ministre français des Affaires étrangères, Jean‑Noël Barrot, a visité le navire avant de déclarer à la presse que « le Groenland n’est pas à vendre ».
Des bâtiments de la marine allemande, dont la frégate « Baden‑Wurtemberg » (au premier plan), naviguent au crépuscule durant l’exercice militaire Andoya « Missile Firing Exercise 2025 » en mer du Nord, près de Harstad, en Norvège, le 13 octobre 2025. (Sean Gallup/Getty Images)
Les bâtiments allemand et français ont participé à une partie de l’Opération NANOOK, plus vaste et dirigée par le Canada. L’exercice complet impliquait les États‑Unis.
En septembre, le Danemark et l’OTAN ont dirigé le plus important exercice militaire mené au Groenland à l’époque contemporaine. Baptisé Arctic Light, il associait la France, l’Allemagne, la Suède et la Norvège. Aucune troupe américaine n’a été invitée à y prendre part.
Nathan Worcester est journaliste spécialiste de l'environnement pour Epoch Times.