Des années après l’arrêt de certains médicaments, l’intestin garde des séquelles

Photo: Troyan/Shutterstock
Près de neuf médicaments sur dix parmi les plus couramment prescrits laissent des modifications permanentes dans la composition bactérienne de l’intestin, y compris des traitements jusque-là jamais associés à des effets digestifs, selon cette étude. Cela ne concerne pas seulement les antibiotiques, mais aussi les médicaments destinés à traiter l’hypertension, l’anxiété ou l’hyperacidité gastrique.
« Nous sous-estimons probablement l’impact des médicaments courants sur la santé intestinale », explique à Epoch Times la nutritionniste Kara Siedman, qui n’a pas participé à la recherche.
Votre intestin se souvient
Les résultats vont bien au-delà des antibiotiques, déjà connus pour perturber la flore intestinale. L’étude montre que même des médicaments agissant directement sur les cellules humaines — comme les antidépresseurs, les bêtabloquants, les inhibiteurs de la pompe à protons (comme l’oméprazole), les benzodiazépines ou encore la metformine — modifient la composition microbienne du tube digestif.
« On pense souvent que les médicaments agissent uniquement sur les cellules humaines, mais ils interagissent aussi avec l’écosystème intestinal — les microbes, la barrière intestinale et le système immunitaire », souligne Kara Siedman.
L’étude a révélé que de nombreux médicaments laissaient des traces durables dans l’intestin, encore visibles plus de trois ans après l’arrêt du traitement. Pour vérifier que les médicaments eux-mêmes étaient bien responsables, les chercheurs ont suivi un sous-groupe de participants sur plusieurs années.
Dans ce groupe, le début d’un traitement entraînait des changements prévisibles du microbiote, et son arrêt les inversait souvent, confirmant un lien de cause à effet.
Les chercheurs ont observé que des médicaments courants produisaient des effets similaires à ceux des antibiotiques. Les benzodiazépines, souvent prescrites contre l’anxiété, modifiaient la flore intestinale autant que certains antibiotiques à large spectre, en réduisant la diversité microbienne. Les antidépresseurs laissaient eux aussi des empreintes comparables à celles observées après une cure d’antibiotiques.
Les microbes intestinaux touchés
Un type de bactéries couramment favorisé par la prise de médicaments, comme les antidépresseurs ou les bêtabloquants, appartient à la famille des Clostridium. Certaines de ces espèces bactériennes peuvent, dans de rares cas, provoquer des infections chez l’être humain.
Les benzodiazépines, quant à elles, sont associées à une augmentation des Dorea formicigenerans et Ruminococcus torques. Dorea formicigenerans a été liée à l’obésité et au syndrome métabolique dans certaines études humaines, bien qu’elle puisse aussi produire des métabolites bénéfiques. Ruminococcus torques dégrade le mucus protecteur de la paroi intestinale et, en excès, est associée à des troubles comme la maladie de Crohn, le syndrome de l’intestin irritable et diverses affections métaboliques.
Les médicaments destinés à traiter la même pathologie n’ont pas toujours les mêmes effets sur la flore intestinale. Par exemple, parmi les benzodiazépines, l’alprazolam (Xanax) entraîne une perte de diversité microbienne plus importante que le diazépam (Valium).
Les inhibiteurs de la pompe à protons sont, eux, associés à une augmentation des bactéries buccales comme Streptococcus parasanguinis et Veillonella parvula, toutes deux liées aux maladies des gencives et aux caries dentaires.
L’un des constats les plus frappants concerne le caractère cumulatif de ces effets. Les personnes ayant déjà pris des antibiotiques ne retrouvent jamais la même diversité intestinale que celles qui n’en ont jamais reçu, quel que soit le temps écoulé depuis la dernière prise. Les expositions répétées aggravent le phénomène : des doses plus élevées ou des traitements plus longs entraînent des altérations plus profondes et durables du microbiome. Ce schéma cumulatif a également été observé avec les benzodiazépines, les stéroïdes et les bêtabloquants.
Comment les médicaments affectent le microbiote intestinal
Les médicaments peuvent influencer les bactéries intestinales de plusieurs façons.
Ils peuvent ralentir ou bloquer la croissance de certaines espèces tout en favorisant d’autres, modifiant ainsi l’équilibre du microbiote. Certains détruisent directement les microbes bénéfiques, tandis que d’autres altèrent l’acidité gastrique, modifient la réponse immunitaire ou fragilisent la barrière intestinale.
Les antidépresseurs, par exemple, peuvent perturber la manière dont les bactéries intestinales produisent et utilisent l’énergie, voire les tuer directement. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens peuvent irriter la paroi intestinale, la rendant plus perméable et plus inflammée, ce qui change la composition microbienne.
Les microbes bénéfiques produisent des acides gras à chaîne courte qui calment l’inflammation. Leur disparition favorise l’inflammation intestinale et la dégradation de la barrière intestinale, entraînant une baisse des niveaux de ces acides gras protecteurs. Ce déséquilibre peut contribuer à des troubles métaboliques comme la stéatose hépatique, la résistance à l’insuline ou un risque cardiovasculaire accru.
Après l’arrêt d’un médicament, certaines bactéries peuvent se reconstituer, surtout si le microbiote était diversifié au départ ou si l’alimentation soutient leur repousse. Mais certaines espèces peuvent disparaître complètement si elles ne sont pas réintroduites.
Une revue de 2024 a souligné que cette récupération n’était pas toujours complète. Même lorsque la diversité revient, la composition du microbiote reste parfois modifiée pendant des mois, certaines espèces ne réapparaissant jamais ou étant remplacées.
Les nourrissons sont particulièrement vulnérables à ces perturbations. Une étude menée en 2022 a montré que les bébés traités pendant plus de 400 jours avec des inhibiteurs de la pompe à protons présentaient un microbiote moins diversifié et moins équilibré — des altérations encore visibles un mois après l’arrêt du traitement. Les chercheurs ont conclu que les traitements prolongés perturbent davantage le microbiome que les cures courtes.
Une exposition précoce aux antibiotiques est également associée à un risque accru de troubles métaboliques et allergiques, ainsi qu’à une plus grande probabilité de développer de l’asthme ou des maladies métaboliques plus tard dans la vie.
Une récupération propre à chacun
Même si les médicaments influencent la flore intestinale de façon prévisible, l’ampleur des effets varie selon les individus.
« L’alimentation est le principal moteur de la santé et de la résilience du microbiote. Ce que nous mangeons détermine la diversité microbienne, la fermentation des fibres et la production d’acides biliaires, qui interagissent tous avec les médicaments », précise Kara Siedman.
Une alimentation riche en fibres aide à rétablir l’équilibre après la prise d’antibiotiques, tandis qu’une alimentation pauvre en fibres fragilise la barrière intestinale et favorise l’inflammation, ralentissant la récupération. L’inflammation intestinale peut aussi influencer la vitesse d’absorption des médicaments, et les variations des acides biliaires peuvent modifier la manière dont les médicaments liposolubles sont métabolisés.
La composition initiale du microbiote joue également un rôle clé.
« Deux personnes peuvent prendre le même médicament et observer des effets très différents sur leur flore intestinale et leurs délais de récupération, selon la diversité et la robustesse de leur microbiote au départ », ajoute Kara Siedman.
Comment protéger son microbiote
Pour les personnes nécessitant un traitement au long cours, Kara Siedman recommande plusieurs mesures pour renforcer la résilience et soutenir l’écosystème intestinal :
• Miser sur la diversité des fibres : consommer une grande variété de céréales complètes, de légumineuses, de fruits et de légumes pour favoriser la diversité microbienne et la récupération.
• Ajouter des aliments riches en polyphénols : consommer des baies, du thé vert ou du cacao pour nourrir les bonnes bactéries et réduire l’inflammation.
• Inclure des aliments fermentés : yaourt, kéfir, choucroute ou kimchi apportent des micro-organismes vivants et des composés qui nourrissent un microbiote équilibré.
• Utiliser des compléments ciblés : certains probiotiques aident à maintenir l’équilibre microbien ; les prébiotiques (fibres qui nourrissent les bonnes bactéries) et les postbiotiques (substances bénéfiques produites par les microbes) peuvent renforcer la barrière intestinale et moduler l’inflammation.
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