Dix ans après son indépendance, le Soudan du Sud est passé du rêve au désespoir
Du rêve au désespoir: dix ans après son indépendance, le Soudan du Sud est plus fragile que jamais, avec un Etat embryonnaire, constamment menacé par les luttes de pouvoir et incapable de juguler la violence endémique et la faim qui minent le pays.
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-Les habitants de Juba au Soudan du Sud célèbrent dans les rues la naissance de leur nouvelle nation le 9 juillet 2011. Photo
Roberto SCHMIDT / AFP via Getty Images.
Dix ans après son indépendance, le Soudan du Sud est plus fragile que jamais, avec un Etat embryonnaire, constamment menacé par les luttes de pouvoir et incapable de juguler la violence endémique et la faim qui minent le pays.
Le 9 juillet 2011, « c’était le plus beau souvenir de ma vie », se souvient Wani Stephen Elias.
Le jeune homme de 31 ans n’a pas oublié les rues de Juba résonnant de chants, de klaxons et de youyous. Sourires et larmes de joie irradiaient les visages marqués par des décennies de conflit pour s’émanciper du nord du Soudan, à dominante musulmane.
Une femme chrétienne soudanaise lève une croix en bois pendant le service dominical dans une église de Juba, la capitale du sud du Soudan, le 16 janvier 2011. Photo /Roberto SCHMIDT / AFP via Getty Images.
Majoritairement chrétien, le sud du Soudan devenait le Soudan du Sud, 193e Etat du monde.
« C’était un jour nouveau, comme un miracle qui se produisait », raonte Wani Stephen Elias, avant de redevenir grave: « J’ai vu les jours les plus beaux, mais aussi les plus sombres ».
Cinq ans de combats, de pillages, de massacres
L’unité qui avait prévalu pour l’indépendance a rapidement laissé place aux luttes de pouvoir entre les frères ennemis issus des deux principales ethnies du pays: Salva Kiir, le Dinka, et Riek Machar, le Nuer.
Le président de la République du Soudan du Sud Salva Kiir montre la nouvelle constitution signée lors d’une cérémonie dans la capitale Juba le 09 juillet 2011. Photo /Roberto SCHMIDT / AFP via Getty Images.
En décembre 2013, après des mois de tensions, le pays replonge dans une sanglante guerre civile. Cinq ans de combats, de pillages, de massacres. Le conflit fera plus de 380.000 morts et 4 millions de déplacés.
Elle prendra fin officiellement en septembre 2018 avec un accord de paix dit « revitalisé » – après l’échec d’un premier signé en 2015 – actant un principe de partage du pouvoir. En février 2020, un gouvernement d’union nationale est finalement formé, avec Kiir au poste de président et Machar à celui de vice-président.
« Un état pire qu’il y a dix ans »
Mais la plupart des mesures préconisées dans cet accord – « reconstitution » du parlement, réforme de la constitution, formation d’une armée unifiée – n’ont guère progressé, alors que le pays est en proie aux violences, à la faim et à une crise économique marquée par une inflation galopante.
« Le Soudan du Sud est dans un état pire qu’il y a dix ans », estime Alan Boswell, analyste à l’International Crisis Group (ICG), centre de réflexion sur la prévention des conflits.
Alors que le #Soudan du Sud fête ses 10 ans d’indépendance, les 2/3 des enfants ont besoin d’une aide humanitaire.
Les conditions climatiques extrêmes et la COVID19 aggravent la situation.
— UNICEF Belgique | ? (@UNICEFBELGIQUE) July 6, 2021
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Le Parlement a été « reconstitué » en mai, avec plus d’un an de retard, selon une composition qui avait été négociée entre les parties signataires. Ses membres prêteront serment vendredi, jour de l’indépendance.
« Mieux vaut tard que jamais, mais il ne faut pas que ça se limite à des personnes assises dans une assemblée », presse Jame David Kolok, directeur de la Fondation pour la démocratie et une gouvernance responsable: « Nous voulons voir un impact, la réduction de la corruption, un budget suivi, des services améliorés, la sécurité ».
Réforme constitutionnelle lancée
Une commission sur une réforme constitutionnelle a été lancée fin mai, avec pour tâche de discuter d’une éventuelle décentralisation du pouvoir et des modalités des élections, dont la perspective fait craindre le pire.
Ces élections prévues en 2022, qui devaient marquer la fin de la période de transition, ont été reportées à 2023.
« Si ce scrutin devient un bras de fer entre les deux principaux belligérants, c’est la recette pour un retour à la guerre civile », prévient Alan Boswell, préconisant un accord pré-électoral qui garantirait un rôle au perdant.
Fragilisé par une guerre civile de cinq ans, le Soudan du Sud se cherche encore politiquement dans un environnement économique gangrené par la corruption. @a_passillyhttps://t.co/RNS1JYAEjE
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Le chantier le moins avancé, et pourtant crucial, est celui d’une armée « unifiée », censée réunir les forces armées qui se sont combattues durant cinq années et assurer la sécurité à travers le pays.
« Il est clair que l’unification des forces est au point mort et que les conditions dans les sites de cantonnement et de formation se sont nettement détériorées », ne pouvait que constater fin juin le major général Charles Tai Gituai, président par intérim du RJMEC, qui surveille la mise en œuvre du processus du paix.
60% de la population, en insécurité alimentaire aiguë
Le plus jeune pays du monde traverse une des pires crises alimentaires actuellement sur la planète, avec des « niveaux d’insécurité alimentaire et de malnutrition les plus élevés depuis l’indépendance », selon l’ONU.
Aujourd’hui, plus de 7,2 millions de personnes, soit 60% de la population, sont en situation d’insécurité alimentaire aiguë et « 108.000 personnes littéralement menacées de famine », souligne à l’AFP Matthew Hollingworth, directeur du Programme alimentaire mondial dans le pays.
L’Éthiopie est un pays enclavé de la corne de l’Afrique. On le retrouve entre le Soudan, le Soudan du sud, la Somalie, l’Érythrée, Djibouti, et le Kenya. C’est le deuxième pays d’Afrique par sa population (108 386 391 habitants), et le neuvième par sa superficie (1 127 127km ²). pic.twitter.com/XLibWjbsb2
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La sécheresse, combinée à des inondations pour la deuxième année consécutive et une invasion de criquets pèlerins ont aggravé une situation déjà alarmante.
Et si le cessez-le-feu a mis fin aux affrontements au niveau national, les violences intercommunautaires locales ont explosé dans de nombreuses régions.
Selon l’ONU, plus de 80% des victimes civiles recensées en 2021 ont résulté de violences intercommunautaires et d’actes de milices communautaires.
Ces attaques sont menées pour des raisons politiques ou d’accaparement de terre et de bétail, mais visent également stocks d’aide et personnels humanitaires: sept travailleurs humanitaires ont été tués en 2021.
« Le dénominateur commun de toutes ces violences locales est qu’elles se déroulent dans un Etat défaillant », souligne Alan Boswell.