Laurent Mucchielli : « Le totalitarisme est bien plus qu’un régime politique, c’est un projet de domination totale sur le corps et l’esprit »

Par Henri-Michel Thalamy
18 mars 2023 09:53 Mis à jour: 14 janvier 2024 16:14

Laurent Mucchielli est sociologue, directeur de recherche au CNRS et enseignant à l’université. En 2022, il a publié La Doxa du Covid (tomes 1 et 2) aux éditions éoliennes et s’apprête à publier un nouveau livre intitulé Défendre la démocratie : une sociologie engagée. Il publie aussi régulièrement des articles sur son blog

Epoch Times : Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre La Doxa du Covid ? En quoi la gestion de la crise sanitaire intéresse-t-elle la sociologie ?

Laurent Mucchielli : Laissez-moi commencer par vous remercier pour l’invitation. Je suis censuré dans tous les médias traditionnels, je saisis donc avec d’autant plus de plaisir l’occasion que vous me donnez de parler de mon travail.

Les deux tomes de mon livre sont le résultat d’une enquête que j’ai commencée dès le départ, quelque part vers la fin du mois de février 2020. Et j’ai lancé cette enquête pour deux raisons. La première est que, ayant de la mémoire et des archives, je me souvenais de la crise H1N1 survenue 10 ans plus tôt, et du rapport de la commission d’enquête du Sénat à l’époque. Il est y établi que l’OMS avait dramatisé indûment l’importance de la menace, que les industries pharmaceutiques s’étaient empressées d’essayer de refourguer leurs stocks d’antiviraux puis de prétendre mettre au point très rapidement un vaccin, et enfin que les gouvernements avaient paniqué à tort, dépensant des sommes d’argent public énormes pour provisionner ces médicaments qui ne servirent pas et seront finalement détruits en bonne partie. L’histoire semblait donc se répéter.

La deuxième raison est que je ne comprenais pas les décisions du gouvernement face à l’épidémie, que je les trouvais non seulement inappropriées mais de surcroît dangereuses pour la population. Deux choses en particulier me semblaient aberrantes. La première était de prétendre qu’il n’existait aucune parade pharmaceutique à l’épidémie et donc de donner comme consigne sanitaire globale aux médecins et à la population le fameux « rester chez vous, prenez du paracétamol en cas de fièvre et appelez le SAMU si ça dégénère ».

Or de nombreux médecins ont dit rapidement qu’ils avaient des parades efficaces, à condition de traiter de façon précoce les personnes infectées. Cette consigne de ne rien faire m’a donc semblé aussi stupide que mortifère. La seconde chose qui me semblait aberrante était l’empressement à vouloir imiter une dictature (la Chine) en prétendant qu’il était impératif d’imposer un confinement général à la totalité de la population. Du jamais vu dans l’histoire de la république.

Enfin, vous me demandez ce que la sociologie vient faire là. La réponse est simple : évaluer une politique publique est typiquement un objet de science sociale. Je l’avais fait par exemple quelques années plus tôt en évaluant la vidéosurveillance et sa promesse de révolutionner la lutte contre la délinquance (voir mon livre de 2018). Et en montrant que la promesse n’était pas tenue dans les faits, n’en déplaise au marketing des industries de sécurité et aux discours des politiciens. Que le sujet soit une question de sécurité ou une question de santé (et de nombreux autres sujets encore) ne change rien à l’affaire. L’argument qui m’a été opposé (je serais « sorti de mon domaine de recherche ») était purement rhétorique, c’était juste pour éviter d’avoir à discuter sérieusement ce que je disais.

En quoi peut-on parler de doxa concernant la crise du Covid ? Quels sont les principaux piliers sur lesquels elle s’appuie ?

La doxa est un vieux concept philosophique qui a été importé en sociologie par le célèbre sociologue français Pierre Bourdieu. Il désigne le discours des élites dominant la société, la façon dont elles écrivent l’histoire à leur avantage et imposent leur narration comme une vérité indiscutable. Dans le cas qui nous occupe, je montre que le récit officiel s’articule autour de 4 affirmations centrales : 1) un nouveau virus a surgi et il constitue « une menace mortelle pour l’humanité entière » (selon l’expression du directeur général de l’OMS), 2) il n’existe pas de parade médicale, 3) la seule chose à faire est donc de confiner la totalité de la population en attendant que, 4) l’industrie pharmaceutique va fabriquer un vaccin qui va tous nous sauver.

Ce discours nous a été imposé au nom de la Science et présenté comme ne souffrant aucune contradiction (d’où l’ostracisation de toutes les voix critiques comme la mienne et beaucoup d’autres). Or, du point de vue scientifique (et c’est mon métier depuis 25 ans), ces affirmations doivent par principe être considérées comme discutables et potentiellement réfutables. Sinon, c’est que nous ne sommes pas sur le registre scientifique (qui est celui du doute, de la libre discussion contradictoire et de la vérification empirique) mais sur le registre du dogme.

Or le dogme n’a rien à voir avec la science, c’est même son ennemi mortel je dirais. Mais sous prétexte de « guerre » et d’« état d’urgence », le gouvernement et toutes les personnes qui se sont mises à son service (à commencer par les agences sanitaires comme la Haute Autorité de Santé, le Haut Conseil de Santé publique, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament ou encore le « Conseil scientifique Covid-19 » créé ad hoc pour donner une illusion de scientificité aux décisions politiques) ont piétiné les règles les plus élémentaires de la science. Ils ont « outragé la science » comme dit mon collègue bordelais Jean-Paul Bourdineaud dans son récent livre.

Quel regard portez-vous sur la façon dont les médias ont couvert la crise sanitaire ? Participent-ils d’une forme de fabrique du consentement, selon vous ? La crise que nous traversons est-elle aussi une crise de l’information ?

Oui, et c’est une crise majeure dont le journalisme ne sortira pas indemne. J’y consacre un gros chapitre dans le tome 2 de la Doxa, et un autre également très détaillé et illustré dans mon prochain livre. La crise du Covid n’a rien inventé mais elle a accéléré l’histoire sur de nombreux plans, dont celui-ci.

Parlons clair : il n’y a quasiment plus de journalisme. Ce dernier reposait en effet sur l’enquête et l’investigation qui permettent de produire réellement de l’information et de nous apprendre quelque chose, mais qui prennent aussi beaucoup de temps et coûtent donc de l’argent. Pour plus de 99% des personnes qui ont une carte de presse, cela ne correspond pas au métier qu’elles exercent. En toute rigueur, ce métier ne devrait d’ailleurs plus s’appeler « journalisme » mais « communication ».

Puisqu’ils ne font plus d’enquête, les journalistes ne produisent plus d’informations, ils ne font que commenter de l’information produite par d’autres. Ce sont donc des commentateurs et des communicants. Et pour peu que l’on connaisse une crise (qu’il s’agisse d’une crise sécuritaire comme avec les attentats, d’une crise sanitaire comme avec le Covid ou d’une crise internationale comme la guerre en Ukraine), n’ayant aucun recul et aucune capacité à enquêter sur le terrain, ils reprennent sans réel examen critique la communication des puissants de ce monde, devenant ainsi des propagandistes, que cela soit conscient ou non.

Voyez par exemple la façon dont l’ancien journal « de référence », Le Monde, a couvert la crise du Covid. C’est une caricature de soupe servie au pouvoir politique. Qu’il s’agisse de la titraille, des arguments employés, des chiffres mis en avant ou encore des « experts » interviewés, la quasi-totalité de « l’information » délivrée par ce journal n’aura été en réalité que le prolongement direct de la communication gouvernementale. Je peux moi-même en témoigner : en trois ans de crise, alors que j’ai publié deux livres, des dizaines d’articles de scientifiques et de médecins dont les journalistes connaissent pertinemment l’existence, que j’ai animé des tribunes ayant recueilli plusieurs milliers de signatures de chercheurs, d’universitaires, de juristes et de médecins, il n’est jamais venu à l’idée de la rédaction de ce journal de nous poser ne serait-ce que 2 ou 3 questions pour comprendre ce que nous racontions. La seule fois où j’ai reçu une demande d’entretien de la part d’un journaliste du Monde, c’était parce que sa rédaction voulait faire une « galerie de portraits de complotistes » pour mieux se moquer d’eux. Et j’ai pris en exemple le quotidien français le plus connu, mais la même chose s’est produite dans la quasi-totalité des autres médias.

Comment comprendre ce désastre ? Il y a évidemment plusieurs facteurs en jeu mais le plus important est probablement le fait que les journalistes ont perdu toute indépendance sur le plan financier. Ils sont désormais totalement pris dans une triple dépendance envers non seulement 1) les milliardaires qui rachètent les titres de presse les uns après les autres, mais aussi 2) les gouvernements qui les subventionnent (en France, c’est le ministère de la Culture qui gère l’important budget des « aides à la presse ») et 3) les géants du numérique (Google et Facebook en tête) qui investissent de plus en plus dans les médias, ce qui a des conséquences sur le fond (et pas seulement sur la question économique du partage des recettes publicitaires). Cette arrivée du numérique avait suscité il y a 25 ans de grands espoirs de renouvellement du métier et de développement d’un journalisme collaboratif impliquant les citoyens, les lanceurs d’alerte, etc. Las, ces illusions ont fait long feu.

La principale conséquence de ces partenariats qui fleurissent un peu partout dans le monde des médias, c’est le développement de la presse en ligne et la place rédactionnelle croissante que prennent les rubriques dites de « fact-checking » un peu partout (jusqu’en radio et en télévision). Le comble est que certains applaudissent benoitement ce qui est pourtant une catastrophe pour la profession, car le « fact-checking » est en réalité un genre de journalisme low cost, une caricature de journalisme en chambre dans lequel des hommes et des femmes sans qualification particulière et qui ne sortent jamais de leur bureau prétendent trier le vrai du faux sur n’importe quelle question en 24 heures. Quelle supercherie ! Donc oui, nous vivons une très grave crise de l’information et il serait urgent de la poser sur la table pour en discuter sérieusement car c’est un enjeu pour la démocratie.

Il y a quelques mois, la secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté annonçait la tenue d’assises des dérives sectaires et du complotisme en 2023. De quoi le complotisme est-il le nom ? Que dit son usage de plus en plus fréquent de l’évolution du débat public ? Faut-il s’inquiéter de l’avenir de la liberté d’expression ?

Soyons clair là aussi : même si les leaders politiques sont depuis toujours obsédés par l’idée du complot ourdi par leurs rivaux pour les renverser, la notion de « complotisme » est une invention relativement récente. Elle sert fondamentalement aux gouvernements et à leurs principales agences pour essayer de discréditer les critiques envers leur action. Un de ces usages modernes est typiquement la communication de la CIA aux Etats-Unis au sujet de l’assassinat du président Kennedy en 1963 à Dallas. L’accusation de « complotisme » est donc dès le départ une arme de communication politique permettant aux pouvoirs en place de balayer d’un revers de la main certaines des critiques les plus fortes envers leur action. Et le fait que les journalistes l’aient totalement repris à leur compte durant la crise du Covid confirme le diagnostic posé précédemment : beaucoup de journalistes sont devenus nolens volens des propagandistes puisqu’ils reprennent directement à leur compte le fond et la forme de la rhétorique du pouvoir en place.

Dans la réalité, il existe bien entendu des idées conspirationnistes laïques ou religieuses sur de très nombreux sujets, mais qui concernent toutefois très peu de personnes et ne posent pas de problème social particulier. Cela relève des croyances et des opinions que chacun doit par principe être libre d’avoir dans une démocratie. Mais présenter le « développement du complotisme » comme un nouveau problème socio-politique et l’assimiler à un « phénomène sectaire » relève du délire, ou plutôt de la manipulation politique. Intellectuellement c’est risible, mais politiquement cela présente une certaine efficience.

Au fond, autrefois le pouvoir pouvait se débarrasser physiquement de ses opposants. De nos jours, l’assassinat politique ou l’emprisonnement arbitraire d’un opposant est quasi impossible dans nos pays européens. Mais il existe d’autres moyens de faire taire les opposants. Sous le quinquennat de monsieur Macron (qui prolonge ici directement celui de monsieur Sarkozy), je dirais que ces deux principaux moyens sont d’une part la violence policière pour ce qui concerne la contestation « dans la rue » (comme les habitants des quartiers dits « sensibles », les Gilets jaunes et désormais potentiellement n’importe quel manifestant l’ont bien compris), d’autre part le verrouillage de la communication pour ce qui concerne la contestation « sur le papier » (le débat public).

Le premier moyen est classique mais il est aussi risqué pour le pouvoir politique : la violence policière est difficile à cacher, ça laisse des traces. Le second est en plein essor, avec la complicité de nombreux journalistes ainsi que celle des GAFAM qui sont désormais des « partenaires » officiels pour des gouvernements comme celui de la France. 

Au final, vous avez raison, c’est bien la liberté d’expression qui est en jeu, soit une des plus importantes libertés publiques et un des éléments centraux de l’idéal démocratique. Et c’est bien pourquoi mon travail questionne in fine le fonctionnement des démocraties représentatives.

Avec l’aimable autorisation de Laurent Mucchielli.

Le poids du trafic d’influence et de la corruption organisés par les acteurs de l’industrie pharmaceutique est l’un des fils rouges de votre ouvrage. En quoi la crise du Covid illustre-t-elle le caractère systémique de cette corruption et quels sont ses principaux acteurs ?

La première chose à dire à mon avis est que la corruption d’origine industrielle est considérablement sous-estimée en Occident. A chaque fois qu’une affaire de corruption est révélée, elle est traitée comme un cas individuel, une « affaire » ou un « scandale » qui témoignerait d’une simple dérive individuelle. Le contraste est saisissant avec le traitement politico-médiatique des faits divers criminels « classiques » (meurtres, viols, etc.) dans lequel les commentateurs s’empressent au contraire de proférer des généralités oiseuses du style « l’insécurité ne cesse d’augmenter », « les délinquants sont de plus en plus jeunes et violents », « il n’y a plus de repères », etc. Il y a donc une sorte d’incapacité à questionner le comportement des élites, comme si ces dernières étaient vertueuses par principe, les manquements à la probité ne pouvant dès lors qu’être le fait d’individus déviants.

De même, il est saisissant de voir comment la corruption systémique est présentée en Occident comme une caractéristique des pays pauvres, africains notamment. C’est à mes yeux un préjugé post-colonial qui perpétue au fond la croyance dans une forme de supériorité morale et intellectuelle de l’homme blanc et de sa « civilisation ». La réalité ne correspond pas à ce vieux préjugé. Il existe dans de nombreux secteurs de la vie politique et économique des formes de corruption que l’on doit en effet qualifier de « systémiques » dans la mesure où elles sont la conséquence de fonctionnements sociaux ordinaires et non de dérives individuelles. On l’a vu par exemple dans le secteur automobile il y a quelques années à travers le « Diesel Gate », qui a révélé comment la plupart des industriels du secteur trichaient sur les tests anti-pollution pour continuer à vendre des moteurs fonctionnant au diesel, et comment cette tricherie était connue et assumée au sein des entreprises concernées.

Le secteur pharmaceutique connaît lui aussi des formes de corruption systémique qui sont à la hauteur des enjeux financiers colossaux dans ce qui constitue désormais un des secteurs les plus rentables de l’économie. Les industriels et leurs partenaires financiers (comme la fondation de Bill Gates dans le secteur vaccinal) trichent pour survaloriser l’efficacité des médicaments qu’ils fabriquent et dissimuler leurs effets indésirables. Les cibles prioritaires de leur trafic d’influence sont d’une part des organismes de pilotage des politiques publiques de santé à l’échelle internationale (donc l’OMS mais aussi l’Union Européenne comme l’a révélé au grand jour l’affaire Pfizer/von der Leyen), d’autre part les agences nationales de pilotage et de contrôle sanitaires (on essaye de corrompre le gendarme du secteur).

Par ailleurs, cette politique de corruption vise aussi à fidéliser des personnes influentes qu’il s’agisse d’élus nationaux ou de personnalités médiatiques. Enfin, elle s’exerce également au sein même de la recherche dans les sciences biomédicales par le biais du financement direct ou indirect des chercheurs et de leurs institutions, de leurs recherches, de leurs colloques ou encore de leurs revues. Nous en sommes arrivés à un point où l’on cherche désormais les personnes et les institutions qui ne travaillent pas avec les industriels, car ils deviennent l’exception qui confirme la règle.

Le résultat de cette corruption systémique, c’est ce à quoi nous avons assisté à l’occasion de la crise du Covid. D’abord une série de mensonges sur l’origine du virus (la fable de la chauve-souris et du pangolin pour dissimuler l’accident de laboratoire et la nature des manipulations génétiques qui y étaient réalisées depuis quelques années). Puis une série de mensonges sur l’efficacité des médicaments, d’un côté pour survaloriser les produits brevetés rapportant beaucoup d’argent (ici le Remdesivir dans un premier temps, puis évidemment les nouvelles thérapies géniques improprement appelées « vaccins »), de l’autre côté pour discréditer les médicaments génériques ne rapportant plus rien à l’industrie (comme l’hydroxychloroquine et l’ivermectine).

Également une série de mensonges sur la nature de l’épidémie et sur sa gravité que l’on va exagérer le plus possible afin de créer la panique et d’amener les Etats à se précipiter dans les bras des industriels. Le tout en suscitant un maximum de publications dans les grandes revues médicales afin d’entretenir l’illusion que tout ceci est « validé par la Science ». Quelle plaisanterie ! Il faut lire les déclarations des directeurs ou anciens directeurs des plus célèbres revues médicales anglo- saxonnes (Richard Norton pour le Lancet, Marcia Angell pour le New England Journal of Medicine, Drummond Rennie pour le Journal of the American Medical Association) avouant eux-mêmes leur impuissance face à cette corruption organisée dégradant considérablement la qualité des publications dont ils avaient la charge, c’est édifiant.

Vous analysez aussi la gestion politique de la crise sanitaire et vous expliquez qu’elle a mis en lumière « une dérive autoritariste du pouvoir exécutif ». En quoi la gestion de la crise du Covid témoigne-t-elle d’une dérive autoritaire de l’État français ?

Dans mon nouveau livre, je discute en effet le malaise croissant de notre démocratie représentative. Il tient d’abord aux institutions de la Ve République qui hypertrophient la fonction présidentielle et, plus largement, déséquilibrent la séparation des pouvoirs au profit de l’exécutif. Ensuite, il tient à la façon de pratiquer ces institutions qu’adoptent les cliques successives qui s’emparent du pouvoir. Mais ce qui est en jeu ici n’est pas seulement le fait de s’approprier des institutions et des administrations comme si l’on en était propriétaire, ni la persistance de la corruption, ni la tentation autoritariste et autres dérives dans l’exercice du pouvoir qui occasionnent régulièrement des « scandales » médiatiques.

Le problème est plus profond encore, il réside dans ce que j’appelle depuis des années le Talon d’Achille des démocraties modernes. L’idée générale est la suivante. Primo, tandis qu’en temps ordinaires nous respectons tant bien que mal les principes d’organisation politique et juridique qui fondent l’Etat de droit et la démocratie représentative, dès que survient une crise grave nous paniquons et semblons prêts à renier ces mêmes principes. Secundo, durant ces crises nous prenons l’habitude de suspendre certains fonctionnements démocratiques, et ceci ne disparaît jamais totalement lorsque la crise se termine : de sorte que chaque (gestion politique de) crise nous amène à dégrader encore un peu plus la démocratie.

J’avais pris conscience de ce phénomène lorsque, durant les années 2000, l’obsession sécuritaire incarnée par Nicolas Sarkozy conduisait à empiler les unes sur les autres des lois restreignant toujours plus les droits et libertés fondamentaux, accroissant toujours plus les outils de contrôle et de surveillance générale de la population sous prétexte de « garantir votre sécurité ». Les années 2010 ont ensuite été dominées en France par la vague terroriste dit « islamiste » et, à nouveau, les états d’urgence et l’arsenal législatif votés précipitamment au nom de la « guerre contre le terrorisme » ont mis à mal nombre de principes généraux du droit. Peu à peu, s’est ainsi imposé un dangereux « paradigme de l’exception ». Or, force est de constater que les gouvernements en font un usage de plus en plus répété, intensif et extensif qui, au demeurant, ne règle jamais aucun des problèmes pris en prétexte pour imposer ces lois et dispositifs dits « exceptionnels ».

Le comble a été atteint entre 2020 et 2022 lorsque, sous prétexte d’une épidémie, nous avons vécu en état d’urgence quasi permanent, tous les pouvoirs étant remis entre les mains de l’exécutif et des mesures totalement inédites de restrictions des libertés fondamentales étant imposées par la contrainte. Si de tels reniements démocratiques sont désormais possibles à chaque série d’attentats ou à chaque épidémie, sans parler des autres « crises » à venir (notamment climatiques), faut-il s’attendre à la mort progressive de ce qui fut pourtant conquis de terrible lutte par les générations qui nous ont précédé ?

Les professionnels des établissements sanitaires et médico-sociaux ayant refusé de souscrire à l’obligation vaccinale sont suspendus depuis le 15 septembre 2021. Il y a quelques mois, le ministre de la Santé déclarait que leur réintégration posait « un problème de santé et un problème d’éthique professionnelle ». Qu’en pensez-vous ?

C’est simple, il s’agit d’un pur arbitraire politico-idéologique, un fait du Prince que je discute dans l’épilogue que j’ai donné au livre d’Elsa Ruillère sur les soignants suspendus. Cette persécution des victimes non-consentantes de l’obligation vaccinale n’est d’ailleurs qu’un des aspects d’un processus plus large d’ostracisation de toutes celles et tous ceux qui contestent tel ou tel aspect de la narration officielle de l’épidémie et de sa gestion politico-sanitaire, qu’il s’agisse de tous les médecins poursuivis par le Conseil de l’Ordre ou encore de tous les scientifiques insultés, diffamés et parfois administrativement sanctionnés. Sur quoi reposent de telles mises au ban de la société ?

Officiellement, la « vaccination anti-covid » est obligatoire pour certaines catégories de professionnels car ils ne doivent pas risquer de contaminer leurs collègues ou le public concerné. Le principe moral (« altruiste ») ainsi énoncé se comprend aisément, et nul ne le conteste. Encore faudrait-il toutefois qu’il corresponde à une réalité. Or, il est clair épidémiologiquement depuis l’été 2021 que lesdits « vaccins » ne protègent ni de l’infection par le virus, ni de sa transmission, les premiers pays à avoir vacciné toute leur population ayant connu exactement les mêmes poussées épidémiques que les autres (voir le tome 2 de La Doxa du Covid).

Le principal industriel concerné (Pfizer) a du reste fini par reconnaître (devant le Parlement européen, en octobre 2022) que son produit n’avait jamais été testé en ce sens. L’obligation vaccinale ne repose donc sur rien d’autre que l’arbitraire politique. Mieux encore : dans la vraie vie, une infirmière non-vaccinée faisant régulièrement des tests PCR pour vérifier qu’elle n’est pas infectée ne représentera pas un danger pour les malades de l’hôpital, tandis qu’un médecin vacciné se croyant à tort protégé de l’infection et de la contamination pourra être, lui, réellement dangereux pour ses patients.

Soyons clair : il n’y a derrière tout cela ni rationalité scientifique ni rationalité médicale. Les suspendus pour cause de non-vaccination ne sont que les boucs-émissaires ou les victimes expiatoires d’une idéologie vaccinale devenue une sorte de religion d’Etat au terme d’une collusion massive entre les élites politiques occidentales et les élites économiques et financières principalement étatsuniennes impliquées dans le nouveau grand business vaccinal. Enfin, cette idéologie s’impose grâce à une propagande d’autant plus efficace qu’elle peut s’appuyer sur la complicité souvent active de la quasi-totalité des médias.

Dans un chapitre intitulé « Le viol des foules par la propagande politique », vous étudiez les mécanismes employés pour obtenir l’adhésion et la participation des citoyens aux mesures prises par le pouvoir exécutif dans le cadre de la lutte contre l’épidémie. En quoi peut-on parler de « viol des foules » ? Quelles ont été les principales techniques utilisées pour sidérer les esprits et recueillir l’adhésion des citoyens à la politique sanitaire ?

Je reprends ici le titre d’un vieux livre de Serge Tchakhotine (Le viol des foules par la propagande politique) qui constitue un classique dans l’étude de la propagande. La crise du Covid a été en effet l’occasion d’observer la mise en œuvre et le déploiement à grande échelle de toutes les techniques de manipulation permettant le contrôle quasi total de l’information par les gouvernements. En particulier lorsque ceux-ci ont voulu faire accepter leurs campagnes de vaccination intégrale de la population.

La première technique est le recours aux « experts médicaux », des médecins triés sur le volet qui tournent en permanence dans les médias pour porter le « bonne parole », c’est-à-dire celle du gouvernement et des industriels pharmaceutiques. J’en donne une liste à la fin du tome 1 de La Doxa du Covid, en indiquant à chaque fois les positions institutionnelles des « experts » de plateaux-télé et les liens et conflits d’intérêt qu’ils ont depuis des années avec l’industrie pharmaceutique.

Je parle aussi de la technique de « la grenouille ébouillantée » qui a permis d’étendre peu à peu l’obligation vaccinale à la totalité de la population : en commençant par les « personnes à risque », puis en l’étendant progressivement à la totalité de la population, y compris les enfants et les adolescents qui pourtant ne risquent rien du Covid, et puis les femmes enceintes que d’ordinaire on ne vaccine jamais tellement les risques potentiels sont grands et les effets à court comme à moyen et long terme inconnus. Si ce programme quelque peu totalitaire avait été clairement énoncé dès le début, il aurait suscité probablement quelques levées de boucliers. Mais en procédant par étapes successives, la pilule est beaucoup plus facile à faire avaler.

Il faudrait également évoquer la technique du « choix truqué » qui est aussi un classique de la propagande. Elle consiste à mettre les gens devant un dilemme impossible, un pseudo choix dans lequel un des deux termes est encore plus inacceptable que l’autre. Un des meilleurs exemples est la formule d’Oliver Véran, à la fin de l’été 2021, s’adressant aux Français : « Alors, vaccinés ou reconfinés ? » C’est de la manipulation mentale. A côté de l’instrumentalisation permanente des chiffres (qu’a bien montrée également mon collègue statisticien Pierre Chaillot dans son récent livre), ces techniques de propagande ont joué à plein régime pendant la crise. 

Avec l’aimable autorisation de Laurent Mucchielli.

Vous évoquez également les réflexions du philosophe Michel Foucault sur le biopouvoir et la biopolitique ainsi que celles de l’historien des sciences Dominique Pestre sur le gouvernement des technosciences. La gestion de l’épidémie consacre-t-elle l’avènement d’une forme de biocratie ?

Durant la deuxième moitié du mois de février 2020, lorsque tout le monde se mettait à parler du coronavirus, j’avais été frappé et agacé par la fréquence des références à La peste d’Albert Camus, que faisaient des journalistes, des écrivains mais aussi des collègues universitaires. Ce qui m’agaçait n’avait rien à voir avec la qualité et l’intérêt de ce classique de la littérature française, mais tenait d’abord à l’usage snob qui en était fait : pour beaucoup, il fallait alors relire Camus et placer une petite citation donnant l’air intelligent et cultivé.

Ensuite, sur le fond, constatant ce qui se passait en Chine et comprenant que nos pays dits démocratiques s’apprêtaient à l’imiter en réinventant des mesures de confinement général des populations disparues depuis plusieurs siècles, il me semblait que, s’il fallait relire un auteur classique, ce n’était pas Camus mais Foucault. Ce dernier a décrit ce qu’il appelle « le rêve politique de la peste », qui est un rêve de disciplinarisation absolue des corps et des esprits au nom de la Raison médicale (« la pénétration du règlement jusque dans les plus fins détails de l’existence et par l’intermédiaire d’une hiérarchie complète qui assure le fonctionnement capillaire du pouvoir », selon ses mots).

Un axe central de la pensée de Foucault tourne autour de cette constitution de l’Etat puis du capitalisme à travers la volonté de dominer et de discipliner non seulement les esprits mais aussi les corps. L’incroyable gestion politico-sanitaire d’un virus en réalité infiniment moins dangereux que la plupart des grandes maladies infectieuses du passé, aurait sans doute à la fois passionné et épouvanté Foucault.

Avec la crise mondiale du Covid, nous vivons une sorte d’aboutissement de ce « biopouvoir » que le philosophe-historien s’est attaché à mettre en évidence toute sa vie, et qui était pour lui une forme de totalitarisme à combattre. Hannah Arendt a également montré de longue date que le totalitarisme (dont l’étymologie est « totalité ») est bien plus qu’un régime politique, il est un projet de domination totale sur le corps et l’esprit des citoyens afin de les transformer en une « masse » indifférenciée, « un système dans lequel les hommes sont superflus ».

En ce sens, le totalitarisme abouti est la société imaginée par un autre grand penseur du XXe siècle : George Orwell. Pour simplifier, le propre du totalitarisme réside dans sa façon de concevoir et de gérer la société comme un ensemble monolithique, une masse indifférenciée, un troupeau, le bétail humain. De fait, ce à quoi nous avons assisté durant la crise du Covid est l’aboutissement provisoire d’un long processus d’industrialisation totale de la santé, au terme duquel l’humain disparaît.

Désormais, l’industrie et l’Etat diront au médecin ce qu’il doit prescrire, son individualité professionnelle n’existera plus, son savoir acquis par l’expérience ne vaudra plus rien, n’importe quel médecin devra prescrire la même chose dans les paramètres définis par le système politico-industriel. La relation entre le médecin et le patient disparaitra également, les patients étant devenus eux aussi interchangeables, ils n’auront pas d’histoire, ils n’auront pas d’individualité tout court (ainsi, on administre uniformément une thérapie génique à 100% d’une population). Nous sommes ici aux antipodes de l’humanisme.

Vous vous interrogez aussi sur l’avenir de la démocratie au regard des perspectives ouvertes par le développement des technologies numériques en matière de contrôle et de surveillance des populations. Faut-il craindre l’émergence d’une forme de crédit social en France et en Europe ?

La volonté de contrôle des populations n’est évidemment pas nouvelle, mais les outils numériques modernes lui donnent une puissance inédite qui questionne également la démocratie. À l’occasion de la crise du Covid, plusieurs pays ont mis en œuvre des dispositifs de contrôle et de surveillance de la population inédits et parfois illégaux. En France, nul ne sembla s’étonner qu’un opérateur de téléphonie comme Orange puisse géolocaliser les citoyens et indiquer au gouvernement où ils étaient partis se confiner en mars 2020. Nul ne sembla non plus être choqué par l’usage soudainement banalisé des drones par les forces de l’ordre, en toute illégalité, ni par l’installation dans le métro parisien d’un logiciel de détection du port du masque ou encore par la mise en place de caméras équipées de systèmes de mesure de la température des personnes dans des écoles, des aéroports et des bâtiments publics.

En avril, le gouvernement annonça le lancement d’une première application dénommée « Stop Covid » qui comportait d’évidents risques de rupture de l’anonymat et de surveillance générale des citoyens. Ajoutons-y un risque majeur de discrimination selon que les personnes auraient ou non un smartphone et auraient ou non téléchargé une application s’apparentant là encore à un pis-aller et une diversion technologique lors même que les outils les plus importants de dépistage (les tests) et de protection pour les personnes à risque les soignants (masques, gel, blouses, etc.) manquaient cruellement. Plus tard, le gouvernement confiera à une société privée (Francetest) le soin de collecter les résultats des tests de dépistage, sans se préoccuper de la confidentialité de ces données de santé comme l’a noté la CNIL.

Enfin, la facilité avec laquelle le gouvernement français a imposé un « passe sanitaire » incroyablement discriminant et dénué de tout fondement scientifique est confondante à la fois dans l’intention et dans l’absence de réaction de quasiment toutes les institutions censées protéger les libertés individuelles et collectives en France. Dans cette grande bérézina des libertés et des droits fondamentaux qu’a été la « crise du Covid », une seule institution (la Défenseure des Droits) a émis, tardivement, des critiques importantes. Dans un communiqué du 14 octobre 2021, elle a dit son inquiétude « que des mesures d’exception s’inscrivent dans la durée et rappelle que toute mesure portant atteinte aux libertés doit être adaptée, nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi », et elle nous a alertés sur des mesures (comme le déremboursement des tests) qui « s’apparentent à une obligation vaccinale déguisée ». Quelques semaines plus tard (30 novembre 2021), la CNIL rappelait de son côté que le gouvernement ne lui avait jamais fourni les preuves de l’efficacité de tous les systèmes de surveillance et de contrôle sanitaires mis en place depuis mars 2020. Et pour cause…

Il est également ainsi plus qu’inquiétant de voir nombre de politiciens occidentaux s’engager sans retenue dans la voie de l’identification numérique, à l’image de ces sénateurs français écrivant un rapport entier (Crises sanitaires et outils numériques : répondre avec efficacité pour retrouver nos libertés, Sénat, Rapport d’information n°673, juin 2021) pour expliquer que l’expérience de certains pays asiatiques montrerait que le numérique constitue l’« élément-clé de sortie de la crise sanitaire », en vantant des outils dont « l’efficacité est directement liée à leur intrusivité », tout en déconsidérant les critiques attribuées à un « conservatisme juridique » et « une sensibilité coûteuse et mal placée », reprenant ainsi tous les éléments de langage de la propagande politico-industrielle.

Or, qui ne comprend l’escroquerie intellectuelle (et l’oxymore) en quoi consiste l’idée selon laquelle il nous faudrait plus de surveillance et de contrôle numériques pour mieux garantir nos libertés ? Shoshana Zuboff a bien analysé ce nouveau capitalisme de surveillance et ses connivences croissantes avec les gouvernements néolibéraux des pays occidentaux (voir son livre). Je l’avais également montré dans mon enquête sur la vidéosurveillance, dont le succès est dû non pas du tout à son efficacité (qui est très faible), mais à l’alliance d’intérêts bien compris entre des industriels faisant de bonnes affaires et des élus faisant de la politique avec le thème de la sécurité.

Nous assistons ainsi depuis à un recul continu de la démocratie ainsi qu’à la mise en place de nouveaux outils administratifs et technologiques de surveillance et de contrôle des populations. Le sanitaire prolonge désormais le sécuritaire pour organiser un contrôle croissant des esprits et des corps dont le résultat est déjà visible en Chine avec le système du Crédit social. Et lorsque l’on constate que ce système séduit de plus en plus d’élus en Europe, avec déjà des expérimentations conduites certaines grandes villes en Italie, on ne peut hélas qu’être très inquiet pour l’avenir.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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