Finlande: une nouvelle ère ?

Par Cyrille Bret, Sciences Po
15 avril 2023 18:47 Mis à jour: 15 avril 2023 18:47

L’année qui vient de s’écouler a propulsé la Finlande à une place qu’elle évite d’ordinaire : l’avant-scène de la politique européenne.

En quelques jours, du 2 au 4 avril 2023, la République nordique est sortie de sa discrétion coutumière : lors des élections législatives, elle a changé de majorité au Parlement et remplacé au poste de premier ministre la sociale-démocrate Sanna Marin, au pouvoir depuis fin 2019 à la tête d’une coalition de centre gauche, par le conservateur Petteri Orpo, chef du parti de droite Coalition nationale.

Le surlendemain, la Finlande a officiellement rejoint l’OTAN, devenant ainsi le 31e membre de l’Alliance et aussi celui qui possède, de loin, la plus longue frontière commune avec la Russie (1340 km), ce qui, dans le contexte actuel constitue un enjeu majeur pour la protection des frontières externes de l’UE et de l’Alliance : la zone de contact OTAN-Russie double en longueur, passant de 6% à 12% des frontières de la Russie.

La double décision de tourner la page du gouvernement Sanna Marin, très visible en Europe depuis le début de l’invasion de l’Ukraine et, surtout, de rompre avec 75 ans de neutralité a placé ce pays de 5,2 millions d’habitants au centre de l’attention internationale.

Après une année 2022 très intense, 2023 sera-t-elle celle d’un tournant historique, qui fera d’Helsinki un centre de gravité politique et stratégique pour l’UE et l’OTAN ? La Finlande cherchera-t-elle à peser davantage en Europe ou bien reviendra-t-elle à une politique nationale plus introvertie ?

L’entrée dans l’OTAN, une rupture géopolitique majeure

La primature de la trentenaire Sanna Marin a connu une dernière phase très active et très médiatisée en Europe.

Dès l’hiver 2021, elle a adopté une posture extrêmement ferme à l’égard de la Russie, se plaçant à l’avant-garde stratégique de l’UE aux côtés des États baltes (en particulier l’Estonie de Kaja Kallas) et de la Pologne de Mateusz Moraviecki.

La position du gouvernement Marin n’a pas manqué de panache : le pays, on l’a dit, partage une très longue frontière terrestre avec son puissant voisin ; il est confronté depuis une décennie à des incursions russes dans ses espaces aérien, terrestre, maritime et cyber ; ses eaux territoriales se trouvent à proximité immédiate de la Flotte de la mer Baltique, basée à Kronstadt et Saint-Pétersbourg ; et, surtout, en entrant dans l’OTAN, la Finlande sort de sept décennies et demie marquées par la « finlandisation » (horresco referens à Helsinki), cette politique de neutralité que lui avait imposée l’URSS en 1948, quatre ans après sa défaite dans la Guerre de continuation qui l’avait privée d’une de ses régions historiques, la Carélie, annexée par l’URSS et appartenant aujourd’hui à la Russie.

La Finlande devient le 31ᵉ membre de l’OTAN • France 24, 7 avril 2023.

L’adhésion à l’OTAN constitue une rupture majeure pour le pays : le voici désormais protégé par l’Article 5, dit d’assistance mutuelle, du Traité de l’Atlantique nord, et engagé dans un processus de remilitarisation significatif.

Il entend se séparer physiquement de la Russie par un mur dans la partie la plus vulnérable de sa frontière. Ce mur a une portée politique et symbolique tout autant que militaire. En effet, la Finlande redoute de subir une instrumentalisation des migrants semblable à celle mise en œuvre en 2021 par la Biélorussie pour faire pression sur la Pologne. Elle entend également marquer aux yeux de Moscou l’inviolabilité physique de cette frontière pour éviter les « grignotages territoriaux » que l’on constate en Géorgie depuis 2008. L’intérêt strictement militaire du mur est plus limité : la progression de troupes russes serait ralentie mais pas stoppée.

En quatre ans, une évolution rapide sous l’effet de la guerre en Ukraine

La rupture extérieure s’appuie sur une évolution politique intérieure.

Qu’on mesure le contraste entre la Finlande de 2019 et celle de 2023 : la campagne électorale des législatives du 14 avril 2019 avait été centrée sur des problématiques internes, comme la réforme du système de santé, la lutte contre le chômage et les controverses sur le multiculturalisme nourries par le nationaliste Parti des Finlandais. Et la présidence finlandaise de l’UE (second semestre 2019) avait placé au premier plan la transparence des institutions européennes et la protection du climat, sous l’égide du très consensuel slogan « Europe durable – avenir durable ».

Le contraste est saisissant quatre ans plus tard : la Finlande de 2023 s’est affirmée comme l’un des acteurs majeurs de la réponse européenne à l’agression russe contre l’Ukraine. Elle a transféré à cette dernière pour 760 M€ d’équipements militaires et a constamment milité pour l’adoption de sanctions plus dures contre la Russie. Ses entreprises, longtemps en symbiose avec le voisin russe, se désengagent. Alors que la candidature du pays à l’OTAN avait longtemps divisé les Finlandais, l’agression de l’Ukraine par la Russie a rallié une large majorité d’habitants à cette option. Si bien que, durant la campagne, les débats sur la Russie, l’Ukraine et l’OTAN ont eu un impact limité car un consensus transpartisan s’est instauré sur ces sujets. Même le Parti des Finlandais, hostile à une adhésion à l’OTAN depuis sa création, s’est rallié à l’atlantisme.

Sanna Marin et Volodymyr Zelensky
La première ministre finlandaise Sanna Marin s’était rendue à Kiev en mars dernier, pour assurer Volodymyr Zelensky du soutien. Sa défaite au législatives et son remplacement par Petteri Orpo ne devraient pas d’avoir d’impact sur l’appui de la Finlande à l’Ukraine.
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C’est dans ce contexte que les électeurs ont rétrogradé les Sociaux-Démocrates à la troisième place en sièges au Parlement (43 sièges) tout en leur confiant 3 sièges de plus que lors de l’élection législative de 2019, derrière les conservateurs (48 sièges, soit un gain de 10 sièges) et derrière le Parti des Finlandais (46 sièges, soit un gain de 7 sièges).

La défaite de Sanna Marin est à relativiser dans sa portée géopolitique : les Finlandais n’ont pas rejeté la ligne atlantiste de son gouvernement, partagée par son successeur Petteri Orpo, qui doit plutôt sa victoire au scepticisme de la population sur les ambitieux projets d’investissements publics du gouvernement sortant.

À l’issue d’une année de guerre en Ukraine et de campagne électorale, la Finlande n’est plus un nain politique condamné à la discrétion par sa position géographique. Elle a diffusé sa vision de la géopolitique européenne en affirmant que la neutralité avait cessé d’être une assurance-vie pour devenir une vulnérabilité. Est-ce à dire que l’Union doit désormais se préparer à l’émergence d’un nouveau poids lourd politique en son sein ? Pas nécessairement. En réalité, bien des signes laissent penser qu’un « retour à la normale » – c’est-à-dire à une posture plus discrète – s’annonce à Helsinki.

Vers un « retour à la normale » ?

Sur le plan international, après la procédure d’adhésion à l’OTAN, marquée par d’âpres négociations avec la Turquie, dernier pays de l’Alliance à donner son feu vert à l’adhésion d’Helsinki, la Finlande va tout faire pour montrer qu’elle reprend le fil de sa doctrine de sécurité nationale traditionnelle.

Adhérente depuis 1994 au Partenariat Pour la Paix lancé par l’OTAN, elle a participé chaque année depuis cette date à des exercices militaires avec les Alliés en Baltique (BALTOPS). Son effort de défense – c’est-à-dire le rapport entre son budget militaire et le PIB – va assurément croître ; mais la Finlande rappelle régulièrement qu’elle n’a jamais désarmé pour engranger les « dividendes de la paix » : même avant d’intégrer l’OTAN, elle avait conservé des effectifs consistants et effectué des acquisitions militaires ambitieuses, entretenant également une Base industrielle et technologique de défense (BITD) dotée de fleurons tels que Patria.

Autrement dit, par son entrée dans l’OTAN, elle rompt avec une « finlandisation » qu’elle a toujours récusée… mais elle adoptera, au sein de l’Alliance, un profil bas, soulignant la continuité entre le Partenariat pour la paix et l’adhésion pleine et entière à l’Alliance, de façon à ne pas attiser la réaction russe. Celle-ci ne s’est pas fait attendre : Moscou a déclaré qu’elle accentuerait son effort militaire dans la zone de contact avec la Finlande et souligné que la Finlande devait d’attendre à supporter les conséquences de son choix.

La ligne pro-ukrainienne de Sanna Marin ne sera pas remise en cause, mais Petteri Orpo se concentrera avant tout sur les questions intérieures. La formation du nouveau gouvernement s’annonce déjà ardue, si bien que le pays retournera dans les prochaines semaines à une politique partisane très classique, se montrant moins présent sur la scène politique internationale.

En somme, après une longue année d’extraversion contrainte, la Finlande semble tentée par un retour à sa discrétion politique coutumière et à ses préoccupations internes. La tentation du « pour vivre heureux, vivons cachés » est souvent forte à Helsinki. Les révolutions politiques y semblent immédiatement tempérées par une tendance à l’introversion… mais en renonçant à sa neutralité et en rejoignant l’Alliance atlantique au moment où celle-ci est aux prises avec son puissant et belliqueux voisin russe, la Finlande a franchi un Rubicon : même si Helsinki cherche désormais à adopter une posture plutôt apaisante envers la Russie, le « pays des mille lacs » sait que plus rien ne sera comme avant.The Conversation

Article écrit par Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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