Gloire et décadence du centre commercial

Par Jeffrey A. Tucker
2 octobre 2023 01:59 Mis à jour: 2 octobre 2023 01:59

En tant qu’enfant de la guerre froide, j’ai grandi dans un monde qui a développé des idées, des expériences et des institutions qui m’apparaissaient à l’époque comme autant de signes de progrès permanent, parmi celles-ci il y avait le centre commercial. En fait, j’ai un souvenir précis de l’époque où les boutiques ont cessé d’être en extérieur et sont regroupées en centres commerciaux d’intérieur.

Ces structures semblaient glorieuses à l’époque : animées, climatisées, remplies de thèmes et de spectacles saisonniers, avec des restaurants et des magasins à profusion. Lorsque mon père cherchait un lieu pour se produire avec son orchestre de quartier, le centre commercial lui a volontiers ouvert ses portes. Jeune, je jouais du trombone dans cet orchestre et il y avait des centaines de personnes dans le public. C’était merveilleux.

Les enfants se rassemblaient là parce que c’était un endroit dans lequel ils se sentaient en sécurité et les parents aimaient le centre commercial pour cette raison.

Après des années de petits boulots, lorsque le moment est venu pour moi de m’engager réellement dans une profession, si tant est que cela soit possible à 17 ans, je suis allé directement au centre commercial, et plus particulièrement dans le magasin de vêtements pour hommes. Je m’y suis senti à l’aise et j’ai perfectionné mes compétences de vendeur et de conseiller en matière de mode.

C’était un endroit merveilleux parce qu’il attirait une foule de clients qui n’étaient là que pour flâner et pas nécessairement pour acheter. C’était différent d’un magasin ordinaire, où les gens qui franchisse la porte vienne pour acheter quelque chose. Le centre commercial invitait tout le monde à entrer, simplement pour satisfaire sa curiosité, et peut-être y aurait-il là une opportunité de vente.

J’ai appris très tôt à ne jamais juger les clients en fonction des apparences. Les personnes les mieux habillées font rarement des achats importants. Et parfois, les tickets de caisse les plus importants provenaient de personnes qui entraient dans le magasin en jeans et en bottes de travail pleines de boue. Cela m’a donné une leçon importante sur les classes sociales, la discrimination et la vie elle-même.

J’ai fini par travailler dans plusieurs magasins du même centre commercial. Les employés formaient une sorte de communauté d’amitié, les équipes d’entretien interagissaient avec les cuisiniers qui étaient amis avec les vendeurs, et les étudiants qui travaillaient l’été appréciaient la tutelle bienveillante de professionnels aguerris. Avec le recul, tout cela semble presque utopique.

Mais il y a une image terrifiante qui ne quittera jamais mon esprit. C’était en juin 2020, en plein confinement, lorsque j’ai rendu visite à ma mère. J’avais envie de voir à quoi ressemblait le centre commercial de la ville, qui était un centre de vie de longue date pour la communauté. Comme dans de nombreux centres commerciaux du pays, des groupes de personnes âgées s’y réunissent quotidiennement pour sociabiliser.

Ce que j’ai vu m’a aterré, et même horrifié. Le cinéma était fermé. Tous les grands magasins étaient également fermés. Le parking était vide, et j’étais le seul à y être garé. Les portes n’étaient pas fermées pourtant, donc apparemment le centre était ouvert, mais à l’intérieur, tout était sombre et sans vie. Rien n’était ouvert. Il y avait une poignée de marchands avec des stands qui essayaient encore de s’en sortir, même dans cet environnement, mais il n’y avait aucun client. Les quelques égarés étaient lourdement masqués et habillés comme des pénitents médiévaux.

Il n’y avait pas de musique, mais s’il y en avait eu une, elle aurait été tirée d’un film d’horreur. Ces images continuent à ce jour d’accabler mon esprit. Je savais avec certitude que ce virus terrifiant était destiné à balayer l’ensemble de la population, mais je savais aussi que seules les personnes âgées ou gravement malades auraient à subir des effets médicaux significatifs. En d’autres termes, n’avaient à s’inquiéter que les personnes qui, dans des conditions pareilles, ne se rendraient sûrement pas au centre commercial. Et pourtant, les contrôles sanitaires et la folie du public ont eu raison de ce noyau autrefois vivant de la vie communautaire.

Le centre commercial a fini par rouvrir (j’y suis retourné un an plus tard), mais beaucoup de ces magasins n’ont jamais repris leurs activités. Les pertes financières avaient été trop importantes, et les aides du gouvernement n’avaient pas suffi à compenser la perte d’activité. Ce centre commercial est toujours ouvert, ce qui est déjà incroyable, et c’est probablement dû au fait que la concurrence est limitée dans les villes adjacentes. Mais d’autres mettent la clé sous la porte.

Dans les années 1980, rien qu’aux États-Unis, il y avait 2.500 centres commerciaux en intérieur. Ces centres ferment aujourd’hui. Les derniers chiffres montrent que seuls quelques 700 centres commerciaux ont survécu, et les prévisions indiquent que dans 10 ans, il n’en restera que 150.

S’il s’agissait des conséquences et du fonctionnement normal de ce que l’on appelle le « marché libre », il n’y aurait aucune raison de s’alarmer. C’est ainsi, les choses vont et viennent. Le marché est caractérisé par sa capacité à détruire et à créer. La disparition d’un type de lieu et d’expérience de consommation n’est pas regrettable en soi, mais est-ce vraiment le marché qui est à l’œuvre ici?

C’est là le cœur de la question. Pendant une grande partie des années 2020 et 2021, les centres commerciaux ont été fermés de force, à la demande des autorités qui y voyaient une méthode efficace de lutte contre la maladie. Lorsqu’ils ont finalement rouvert, il était obligatoire de porter des masques. Et puis ils ont tenté d’imposer les vaccins à tous les employés.

C’est seulement depuis le début de l’année que ces endroits redécouvrent la possibilité d’être compétitifs sur le marché. Mais cela représente quand même près de trois ans d’étranglement obligatoire, et il n’est donc pas étonnant que les centres commerciaux soient aujourd’hui en grande difficulté. Pourtant c’est bel et bien le gouvernement qui les a tué, et non le marché. Pendant ce temps, les sites d’achat en ligne ont prospéré, tout comme les grandes surfaces, car considérés comme essentielles.

Lorsque les pouvoirs publics jugent que votre modèle d’entreprise n’est pas essentiel, il n’est pas étonnant que celui-ci finisse par se retrouver en difficulté. Et d’ailleurs, les attaques du gouvernement ont également ciblé les petites entreprises. Un véritable transfert de richesses a été opéré. Était-ce intentionnel ou accidentel ?

Pour couronner le tout, la récession de la période de blocage ne nous a jamais vraiment quittés. Les taux de croissance sont bas, et tout indique aujourd’hui que cela va durer. Notre dynamisme commercial s’est considérablement affaibli.

La disparition des centres commerciaux n’est pas le signe d’un nouveau départ. C’est une indication supplémentaire de problèmes profonds et systémiques. Alors oui, j’ai une nostalgie romantique pour le centre commercial, une puissante réalisation du luxe capitaliste avec une belle éthique : tout le monde est invité à participer à la grandeur de la culture commerciale. Quelque chose dans le nombre croissant de fermetures me fait penser que c’est un mauvais présage pour l’avenir.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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