Haruhiko Kaneko, le dernier maître céramiste d’Ishigaki

12 décembre 2015 16:27 Mis à jour: 24 février 2016 19:30

Haruhiko Kaneko exposera au Salon National des Beaux-Arts, au Carrousel du Louvre, du 17 au 20 décembre 2015.

Bleu marine, turquoise, bleu foncé, émeraude transparent, nuances et reflets sont les couleurs de la mer, source de vie et d’inspiration du dernier maître céramiste d’Ishigaki, Haruhiko Kaneko.

Haruhiko Kaneko s’est donné pour mission de faire connaître un artisanat que seuls aujourd’hui maitrisent une dizaine de céramistes.

Une technique ancestrale

Le Yuteki Tenmoku, dit « la goutte d’huile », est une poterie constellée de petits motifs d’argent.

La technique est originaire de Chine, du mont Tenmoku réputé pour son grand monastère bouddhique zen, mais aussi pour sa production de thé vert de qualité. Les moines japonais y ayant séjourné rapportèrent avec eux des bols de Tenmoku la coutume de boire du thé vert.

Apparue en Chine à l’époque des Song, cette céramique n’est plus désormais fabriquée qu’au Japon.

Au XVIe siècle, ces bols délicats à la glaçure de couleur noire parsemée des petites étoiles argentées ont été appréciés par les shoguns qui les utilisaient pour la cérémonie du thé. Ces bols sont devenus de prestigieux objets de collection.

Mêlant techniques ancestrales et spiritualité, la céramique japonaise n’est plus considérée comme un métier mais comme un art à part entière, reflétant avec délicatesse l’essence de la pensée japonaise.

Haruhiko Kaneko a réussi à inventer une poterie Yuteki Tenmoku aux couleurs de la mer – la poterie d’Ishigaki.

Le maître céramiste a appris les bases de la céramique auprès de son père potier lui-même qui s’est installé sur l’île d’Ishigaki. Cette île riche en minerais est un vrai trésor pour l’art de la poterie et permet des expérimentations incorporant des minerais différents dans la glaçure. Poussé par son fils, le père réussit en 1964 à fusionner le verre et l’argile, mélange considéré jusqu’alors comme mythique.

Depuis, Haruhiko Kaneko a perfectionné la technique de son père, repoussant les limites jusqu’à incorporer des feuilles de mûrier mais aujourd’hui encore, pour obtenir l’effet recherché, plusieurs centaines d’essais sont parfois nécessaires.

Papillons de l'oasis.(Droits réservés)
Papillons de l’oasis.(Droits réservés)

Une rencontre avec le maître céramiste

 

Comment êtes-vous devenu maître céramiste ?

Mon père et ma sœur m’on appris les bases de la céramique en général et d’Ishigaki-yaki en particulier.

Je me suis ensuite perfectionné directement auprès de maîtres de Mashiko-yaki (connus à l’étranger grâce au céramiste anglais Bernard Leach) et de Tokoname-yaki, qui m’ont enseigné non seulement les techniques mais aussi la philosophie de leur art.

Suite à ma participation à plusieurs expositions au Japon et à l’étranger, et au fait que le couple impérial a acheté quelques unes de mes œuvres, la Fédération Industrielle d’Okinawa puis la préfecture d’Okinawa m’ont décerné le titre de meilleur artisan d’Okinawa et de maître céramiste.

Quelle différence y a-t-il avec la poterie occidentale ?

À la base, les céramiques japonaises et occidentales sont identiques. On utilise soit de l’argile seule, soit de l’argile avec une glaçure. Les fours sont alimentés avec du charbon, du bois, du gaz ou de l’essence. Puis on intervient soit sur le temps de cuisson soit sur la température du four, en la montant puis baissant d’un coup ou au contraire en la montant puis baissant tout doucement.

Selon moi, les glaçures occidentales sont souvent réalisées avec beaucoup de colorants artificiels.

Au Japon, les glaçures sont souvent ordinaires (à base de fer, de cuivre, etc.). Chaque artiste recherche un effet inattendu en jouant sur le mode de cuisson dans le four, et ainsi sur le processus d’oxydation et de réduction.

Pour ma part, j’utilise des glaçures à base d’oxyde de fer et des mélanges d’autres glaçures traditionnelles. J’essaie de créer des œuvres totalement innovantes, en utilisant des matériaux classiques mais en modifiant le procédé de la glaçure.

Comment est-ce que la céramique est liée à la cérémonie du thé et comment cela s’est-il manifesté dans l’histoire de la poterie et dans vos œuvres ?

Il existe depuis des siècles en Chine un type de bol pour boire le thé appelé Tenmoku. À partir de l’an 600, ces bols et leur base sont importés au Japon. À cette époque, ces bols, symboles de richesse et de prestige, étaient uniquement utilisés par la famille impériale et la grande noblesse pour boire du thé et orner leurs appartements.

À l’époque de Sen no Rikyū (à partir de 1522) et du seigneur Hideyoshi Toyotomi, les bols à thé commencent à être produits au Japon.

Certaines productions se démocratisent et la population effectue des sortes de classements des régions d’origine des poteries. Par exemple :

1- Raku (Kyoto), 2- Hagi (Yamaguchi), 3- Karatsu (Saga) ou 1- Ido, 2- Raku, 3- Karatsu.
La cérémonie du thé est appelée au Japon « wabi no cha ». Elle se déroule dans une petite pièce appelée « cha shitsu » où les invités boivent le thé.

La cérémonie du thé pratiquée par la famille impériale et les grands seigneurs du pays s’appelle quant à elle « Hare no cha ». Elle utilise des bols Tenmoku avec leur base, pour signifier l’importance des invités accueillis.

Parmi les bols Tenmoku, le plus précieux est le bol Yuteki Tenmoku qui n’existe plus qu’à une dizaine d’exemplaires au Japon.

Je fabrique des bols à thé de haute qualité pour les souverains et nobles étrangers et aussi pour que les gens profitent du thé. Ma fabrication est empreinte de fierté et de respect.

Vous avez grandi sur une île. La mer et les paysages des îles sont une source d’inspiration pour vous, comment se manifestent-ils dans vos œuvres et que signifient ces paysages pour vous ?

En marchant sur la plage, sous un beau soleil, je sens le vent caresser ma peau. Sur la mer, on remarque des dizaines de nuances de vert et de bleu qui changent tous les jours. Ces couleurs scintillent comme des bijoux, ou comme la voie lactée qui se transformerait en un courant de bleu. Tout en gardant ces émotions, je crée mes œuvres qui se finalisent grâce à la force invisible des flammes du four. Je travaille tout en gardant remerciements et prières dans mon cœur, tout en « sentant » le son et les couleurs des flammes.

La mer me procure de l’énergie et de l’amour éternels.

Si jamais la mer n’était plus aussi jolie, mes œuvres ne seraient plus que le reflet de mon égoïsme, ou de l’égoïsme des hommes et deviendraient mauvaises.

La nature n’est pas figée et la mer change en permanence. Chaque jour est un moment très précieux pendant lequel je travaille de tout mon cœur.

Vous avez une grande réputation au Japon, vos œuvres figurent dans la collection de l’impératrice. À votre avis, à quoi est dû ce succès ?

Évidemment, il faut faire des efforts et travailler tous les jours. Évidemment, il faut aimer la poterie. L’empereur et l’impératrice soutiennent les arts ; comme ils ont vécu entourés d’objets artistiques de grande qualité, ils connaissent la valeur des choses, la valeur de l’art.

En tant que Japonais, c’est pour moi un grand honneur d’avoir des œuvres achetées par le couple impérial et de pouvoir discuter avec lui. Car personne ne peut lui donner des ordres et encore moins lui adresser la parole.

Lors de la venue de l’empereur et de l’impératrice sur l’île d’Ishigaki, nous avons exposé une œuvre Ishigaki-yaki (la mer d’Okinawa) dans leur suite. Le lendemain, ils sont passés de façon inattendue dans mon atelier et m’ont parlé. C’est un moment inoubliable.

Huit ans plus tard, ils ont acheté Ishigaki-yaki.

L’Impératrice a porté plusieurs fois le pendentif « Happy Blue » au cours de ses déplacements officiels. Le bleu est la couleur de l’espoir en France.

Je la remercie du fond de mon cœur car elle a porté ce pendentif bleu pour encourager les victimes du tsunami de 2011 et dans les autres pays étrangers. Je souhaite que ce pendentif diffuse partout l’espoir et le bonheur.

Sinon, je pense que mon succès est dû à la chance, au respect, les remerciements et l’espoir de revoir le couple impérial.

Vous aimez mêler différents matériaux quand vous travaillez, lesquels ? Quelles sont les difficultés rencontrées ? Poussez-vous, dans ce sens, les limites de la tradition ?

 J’utilise de l’argile et du verre. Contrairement à la porcelaine, la céramique se rétracte de plus de 13% à la cuisson alors que le verre se dilate jusqu’à 1 300 °C. De plus, quand la poterie refroidit, le verre se contracte provoquant l’apparition de fissures. C’est donc très difficile de réussir ce type d’œuvre. À l’époque de mon père, il y avait seulement 5% de réussite. Mais aujourd’hui, on arrive à atteindre les 30%.

Dans la tradition de la poterie comme dans le Tao, un maître choisit son disciple. Pourriez-vous nous dire quelles sont les exigences et selon quels critères prévoyez-vous de choisir un disciple ?

Il faudrait que cela soit quelqu’un d’honnête, sérieux, à l’écoute, aimant sa famille, capable de faire des efforts, assidu et travailleur.

Si cette personne a par ailleurs du talent, ce serait bien sûr un plus. Dans le cas contraire, si elle était studieuse et faisait des efforts, cela conviendrait tout de même.

Il faudrait aussi que cette personne n’abandonne jamais, puisse conserver ses rêves et l’espoir et ait un état d’esprit stable.

Enfin, avec tout ça, il faudrait qu’elle ait une bonne technique et de la créativité.

Pour obtenir un résultat vous devez parfois faire plusieurs centaines d’essais, ce qui exige une grande patience. Comment cultivez-vous cette patience ?

J’ai perdu mes parents et ma grande sœur à cause du cancer. Mon père qui fut un kamikaze survivant, eut toujours des regrets de n’avoir pu sauver les habitants d’Okinawa pendant la guerre. A sa mort il me demanda de travailler pour le développement d’Okinawa et de ses enfants, de faire en sorte que beaucoup de touristes y viennent.

Pour signer mes poteries, j’ai choisi d’utiliser le terme de « Ishigaki » au lieu de mon nom, avec l’espoir que mes œuvres seraient ainsi exposées dans les musées ou les collections privées du monde entier, et que plusieurs millénaires plus tard les gens de France, d’Europe et du monde entier continueraient à s’y intéresser et à visiter Okinawa.
J’ai donc décidé de ne jamais laisser tomber tant que la réussite ne serait pas au rendez-vous afin d’être toujours à la hauteur dans le futur.

Ce ne sont ni les efforts ni la fierté qui me guident, c’est ma ténacité.

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