«Incorruptible»: l’homme qui se tient entre Pékin et une des plus grandes mines de cuivre au monde

Par Daniel Y. Teng
30 juillet 2022 20:29 Mis à jour: 31 juillet 2022 11:37

Au cœur de l’île Bougainville se trouve Panguna, qui abrite une des plus grandes mines de cuivre au monde.

Le président Ishmael Toroama sait qu’il dispose d’une fenêtre limitée pour relancer la mine et, avec elle, les espoirs de la plus jeune nation du monde.

Mais ce sont des eaux dangereuses qui l’attendent.

Des millions de dollars d’investissement sont nécessaires, la corruption est une constante dans cette démocratie naissante et personne n’ignore l’intérêt du Parti communiste chinois (PCC) pour cette région stratégique.

Qu’est-ce qui rend Bougainville si spéciale ?

La mine de Panguna est restée en sommeil pendant près de vingt ans, suite à une guerre civile sanglante en 1988. Le conflit a obligé Rio Tinto à fermer l’exploitation autrefois importante alimentant l’économie de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, juste au nord de l’Australie.

Panguna était si précieuse qu’à son apogée, elle représentait 12% du PIB national de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et près de la moitié de ses exportations.

On estime que la mine contient environ un milliard de tonnes de cuivre et 12 millions de tonnes d’or, pour une valeur d’environ 100 milliards de dollars, ce qui rivalise avec certaines des plus grandes mines de cuivre en exploitation aujourd’hui.

Habitants surplombant le site de la mine de Panguna à Bougainville. (Avec l’aimable autorisation de John D Kuhns).

Mais les ressources de Bougainville ne sont pas les seules à être si précieuses.

La ville d’Arawa, située juste au nord de la mine, abrite un important port en eau profonde construit par Mitubishi et Bechtel à l’époque de l’exploitation minière. Elle permettait d’expédier le minerai outre-mer et pourrait vraisemblablement servir de base à des navires de guerre.

Par ailleurs, la situation géographique de l’île est essentielle. Calée entre la Papouasie-Nouvelle-Guinée à l’ouest et les îles Salomon à l’est, la région insulaire forme une chaîne avec les autres îles du Pacifique, au nord de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.

Faire renaître Panguna de son passé sanglant

Les chefs tribaux savent que remettre à flot la ville de Panguna est la clé de l’avenir de Bougainville, qui vise à devenir indépendante d’ici 2027.

Le président Ishmael Toroama, anciennement chef de la défense de l’armée révolutionnaire de Bougainville, est à l’origine de cette initiative.

« Bougainville a été bénie par un miracle », selon l’Américain John D. Kuhns, investisseur à Panguna, qui passe une grande partie de son temps dans la région à rencontrer les chefs tribaux et le président.

« Ishmael Toroama est non seulement très intelligent, mais il est absolument incorruptible », explique-t-il à Epoch Times. « Il est le fils de parents missionnaires chrétiens et très cultivé, bien qu’il ait dû sacrifier ses études universitaires pour partir à la guerre afin de protéger Bougainville. »

L’armée révolutionnaire de Bougainville a combattu le gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée indignée par la façon dont Panguna était exploitée et par la manière dont les bénéfices étaient répartis.

La guerre sanglante a duré plus d’une dizaine d’années, de 1988 à 2001, elle a fait des dizaines de milliers de morts. Elle s’est terminée par la signature de l’accord de paix de Bougainville, qui a donné à la région son autonomie et le droit à ses citoyens de voter pour ses dirigeants.

Stabiliser une région trouble

Selon M. Kuhns, Toroama est rapidement devenu le « Texas ranger » de la région.

« Dans l’accord de paix de Bougainville, la Papouasie-Nouvelle-Guinée a conservé le contrôle des forces de police. Les forces de police ne valent rien, elles sont là pour se faire corrompre. Ishmael est le vrai Texas ranger, le vrai flic qui s’est occupé des problèmes sérieux. »

Certains médias dépeignent Toroama comme un « chef de gang », explique M. Kuhns, mais c’est tout simplement le méconnaître et le diffamer.

M. Kuhns s’est lié d’amitié et travaille avec le président pour développer l’économie de Bougainville via Numa Numa Resources.

Numa Numa a déjà réalisé de grands travaux d’infrastructure, notamment la construction d’une route importante, d’un barrage hydroélectrique, le montage d’une usine de calcaire pour créer des exportations, et la relance de l’industrie de l’orpaillage.

Ishmael Toroama, président de Bougainville (à g.)  avec l’investisseur de la mine Panguna, John D Kuhns, directeur de Numa Numa Resources. (Avec l’aimable autorisation de John D. Kuhns).

M. Kuhns a gagné la confiance de Toroama et des chefs de tribu. Il vit dans la région depuis l’époque où les partis véreux s’imposaient.

Le spectre de Pékin plane sur Bougainville

En 2013, le président de l’époque, John Momis, a fortement pris à partie l’Association des propriétaires terriens affectés par la mine de Panguna. L’association tentait de rallier un maximum de personnes pour conclure un accord avec Beijing Aerospace Great Wall Mineral Investment Ltd.

Le protocole d’accord signé prévoyait la participation de l’entreprise chinoise à la relance de la mine.

« Il n’a aucun effet juridique. Il est nul et non avenu en ce qui nous concerne. Nous allons certainement le jeter », annonçait Momis à l’Australian Broadcasting Corporation le 14 août 2013. Auparavant, il avait été l’ambassadeur de Papouasie-Nouvelle-Guinée en Chine de 2007 à 2010.

L’ancien président de Bougainville, John Momis (au c.), arrive dans un bureau de vote pour déposer son bulletin lors du vote d’indépendance historique à Buka, le 23 novembre 2019. (Ness Kerton/AFP via Getty Images)

« Les Chinois ont essayé pendant des années de comprendre comment prendre le contrôle de Bougainville, la mine de Panguna en particulier, et ils ne vont pas disparaître. Ils continueront à essayer aussi longtemps qu’ils le pourront », explique M. Kuhns.

À un moment, des acteurs chinois ont « acheté et payé » 10 permis d’exploitation minière – sans demande officielle – pour construire un camp de 50 personnes à Panguna. Cependant, cela a déclenché une réaction féroce de la part des habitants.

« Ce camp a ensuite été incendié par les propriétaires coutumiers des terres parce que les Chinois n’avaient pas cherché à établir de relations avec la population. »

Pourtant, sous le mandat de l’ancien président Momis, Pékin est resté un partenaire privilégié, le dirigeant a signé plusieurs protocoles d’accord et soutenu la création d’une zone économique spéciale avec la Chine en 2011.

Momis, ainsi que Fidelis Semosa, l’ancien ministre du Développement économique, ont également signé un accord dans lequel le gouvernement a acheté 500.000 actions de Bougainville Import and Export General Corporation Limited – en coentreprise avec une société chinoise.

Tous deux se sont présentés à l’élection présidentielle de 2020, ainsi que Sam Kauona, ancien général de l’armée révolutionnaire de Bougainville, qui a déclaré sans détours vouloir suivre la Chine au sujet de Taïwan.

Sam Kauona, ancien général de l’Armée révolutionnaire de Bougainville. (Capture d’écran de 60 Minutes)

« Je vois que la Chine est maintenant un pays émergent, elle va devenir puissante dans un avenir proche, pas Taïwan – Taïwan va s’écrouler », a-t-il déclaré à 60 Minutes en 2019. « Je vois que la Chine a une culture, ce sont des gens cultivés. Bougainville est un peuple cultivé, notre culture est quelque chose avec laquelle nous pouvons nous connecter. »

Un avenir incertain

Les dirigeants de Bougainville sont autorisés à servir deux mandats présidentiels de cinq ans, ce qui signifie que Toroama devra mettre Panguna en marche d’ici 2030, et également solidifier les institutions démocratiques avant et après le référendum sur l’indépendance en 2027.

« Si vous me demandiez : ‘Qui est le numéro deux d’Ishmael ? Y a-t-il un numéro deux vraiment fiable si quelque chose devait lui arriver ?’ Et la réponse est, malheureusement, non », affirme M. Kuhns.

« Tout le monde le sait, les gens à qui j’ai parlé en Australie, mais aussi aux États-Unis et dans les hautes sphères du gouvernement : ‘Que se passera-t-il quand Ishmael ne sera plus président ? Que se passera-t-il alors ?’ Et honnêtement, c’est la question que tout le monde se pose. Le même genre de chose qui est arrivé aux Salomon pourrait arriver ici. »

Le Premier ministre des îles Salomon, Manasseh Sogavare, a conclu un accord de sécurité secret avec le Parti communiste chinois en avril, en prenant de court les dirigeants démocratiques.

Cet accord a renforcé les liens entre Pékin et les îles Salomon, ouvrant la voie aux autorités chinoises pour stationner des troupes, des armes et des navires dans la région, ce qui pourrait entraîner une militarisation semblable à celle de la mer de Chine méridionale.

Ce ne sont pas seulement des engagements plus profonds qui inquiètent les experts du Pacifique Sud. L’implication de Pékin a permis à des dirigeants corrompus de piétiner l’État de droit et elle mine les institutions démocratiques du pays.

En réalité, M. Sogavare est confronté à d’immenses pressions au niveau national de la part de l’opposition, des dirigeants provinciaux et de la population – comme en témoignent les émeutes de novembre 2021 durant lesquelles le quartier chinois de la capitale Honiara a été rasé.

Pourtant, M. Sogavare a réussi à s’accrocher au pouvoir et à convaincre les dirigeants américains, australiens et néo-zélandais que Pékin ne militarisera pas la région. Il a même saisi l’occasion d’une récente réunion du Forum des îles du Pacifique pour prendre le premier ministre australien Anthony Albanese dans ses bras. Selon Mme Cleo Paskal, spécialiste du Pacifique Sud, cela a servi à montrer aux îles Salomon qui était vraiment le chef.

Le premier ministre australien Anthony Albanese (à g.) prend dans ses bras le premier ministre des Îles Salomon Manasseh Sogavare lors du  Forum des Îles du Pacifique (FIP) à Suva, Fidji, le 13 juillet 2022. (Joe Armao/POOL/AFP via Getty Images)

« On commence à avoir cette distorsion dans la société et cela génère une énorme colère sociale », explique-t-elle pour Epoch Times.

« Si on est issu d’un milieu démocratique, on pense que c’est une mauvaise chose. Mais si on accepte le principe de ‘guerre entropique’ alors que c’est exactement ce que veut Pékin, on va en fait vouloir créer des perturbations au sein de la société », poursuit la chercheuse principale de la Foundation for Defense of Democracies (FDD).

Mme Paskal considère que le Pacifique Sud a été une « boîte de Petri » pour l’utilisation continue par Pékin de la guerre entropique – il s’agissait de saboter les institutions d’une nation au point qu’elle ne puisse plus réagir ou faire face à l’ingérence étrangère.

« C’est un modèle qui est particulièrement facile à voir dans les petits pays du Pacifique parce que les mécanismes de gouvernance sont plus fins, les bureaucraties sont plus petites et les parlements sont plus petits », déclare-t-elle, ajoutant que Bougainville n’a pas fait exception.

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