« J’ai épousé une femme anti-Shakespeare » : déboires d’un Anglais romantique

6 décembre 2018 23:27 Mis à jour: 5 avril 2019 19:47

Si vous êtes marié ou engagé dans une relation à long terme, vous avez peut-être vécu un de ces moments horribles où votre conjoint ou un être cher dit ou fait quelque chose qui vous souffle et vous fait dire : « Je croyais te connaître. »

Il peut s’agir de quelque chose de banal, comme le fait de prononcer un mot différemment, ou quelque chose d’important, comme la politique.

Dans mon cas, la question est culturelle. Pas du genre « ligue américaine » contre « ligue nationale » ou « les protestants » contre « les catholiques », ou « Aquafresh contre Colgate », – ça, ce sont d’autres genres de conflits. Je parle de la haute ou de la basse culture.

Quand on sortait ensemble, ma femme et moi avons exploré nos intérêts mutuels. Je l’ai emmenée au ballet, qu’elle adore, et elle m’a accompagné dans des clubs de jazz. Nous ne partagions peut-être pas toutes les mêmes passions, mais l’un comprenait celles de l’autre et vice-versa. Ou du moins, c’est ce que nous croyions.

Le serpent de notre jardin d’Eden m’a mordu le soir où j’ai suggéré qu’on aille voir une pièce. « Bien sûr », a dit ma femme. « Que voudrais-tu voir ? »

« Shakespeare », ai-je répondu.

Elle a réagi comme si j’avais proposé que nous passions la soirée à regarder un derby de démolition ou du catch.

« Tu te fous de moi ! », a-t-elle dit, et il était évident qu’elle ne plaisantait pas.

« Mais, dis-je, tu aimes la symphonie, les galeries d’art et le ballet. J’ai cru que… »

« Peu importe ce que tu as cru », dit-elle, me coupant la parole telle un sergent policier me donnant la pire des contraventions. « Je n’irai jamais voir Shakespeare. » Elle était en furie.

Ne vous méprenez pas. J’étais normal dans ma jeunesse – enfin, relativement normal. Je jouais au baseball, je faisais du vélo, j’avais un pistolet à air comprimé. Je n’ai pas passé mes samedis sous les couvertures à lire des livres du genre Le Jardin des versets, de Robert Louis Stevenson. La première fois que j’ai lu un Shakespeare, c’était Jules César en deuxième, et je n’ai pas été emballé. Ce qui m’a moins plu, c’était des passages comme : « amis, Romains, compatriotes », que j’avais l’impression d’avoir déjà entendu dans un dessin animé de Bugs Bunny.

Ce n’est qu’en dernière année de lycée, quand j’ai lu Macbeth, que le poète m’a conquis. Ce n’était pas la violence sanglante de la pièce, que j’aurais pu retrouver auprès des Friday Night Fights de Gillette. C’est plutôt la façon dont la prophétie des trois sorcières – que Macbeth régnerait « jusqu’à l’arrivée du Grand Birnam des bois au sommet de la colline de Dunsinane » – lui donne une fausse confiance qui est anéantie à la fin de la pièce lorsque (attention, je vais révéler l’intrigue de l’histoire) ses ennemis se cachent derrière les branches des arbres, camouflés, et se rapprochent de son château. Cela m’a frappé à l’époque, et c’est toujours le cas, car je trouve cela plus créatif que In-a-Gadda-da-Vida, ma vision du grand art lorsque j’étais adolescent.

Pendant la cour, les amants veulent naturellement se présenter l’un à l’autre comme étant un peu meilleurs qu’ils ne le sont vraiment, avec des goûts et des manières plus raffinés qu’ils ne le seront après de nombreuses années de mariage. Ce sont dans les moments où nous laissons tomber nos gardes pour révéler notre petitesse intérieure que les liens les plus forts de sympathie se forment.

J’ai assisté à un spectacle de danse moderne que je trouvais particulièrement inintelligible, et j’ai fait semblant de l’apprécier durant les trois premiers numéros. Mon ronflement au commencement de l’entracte m’a trahi – je n’aime pas le ballet moderne.

Avant son moment Shakespeare, ma femme m’avait donné une indication de sa vraie nature le soir de la représentation annuelle de Noël de Messie de Handel, une tradition de la ville de Boston. Alors que nous nous dirigions vers le Symphony Hall, elle a commencé à siffler, non pas sur le refrain d’Alléluia, mais de Hot Blooded de Foreigner – qui est aussi une super chanson, ne vous méprenez pas, mais si le couple de personnes âgées qui marchait devant nous n’avait pas perdu leur capacité à entendre les notes aiguës, ils auraient été horrifiés.

Ma femme n’est pas en ville ce week-end, et j’aurais pu passer la journée d’hier à regarder les Patriots, ce avec quoi elle a appris à vivre, et en fumant un cigare, qu’elle interdit. Mais au lieu de cela, comme nous voulons toujours ce que nous ne pouvons pas avoir, j’ai regardé, comme je l’ai fait plusieurs fois auparavant, la version de Kenneth Branagh du Henry V, de Shakespeare.

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