« Je suis le Covid »: en France, des psychiatres face aux « pathologies du confinement »

Par Epoch Times avec AFP
1 mai 2020 14:15 Mis à jour: 2 mai 2023 20:23

« Je suis le Covid » : depuis le confinement en France mi-mars, des psychiatres de Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, voient arriver à l’hôpital des jeunes sans antécédents atteints de « bouffées délirantes aiguës », des profils auxquels ces soignants « ne s’attendaient pas du tout ». 

Il y a ceux qui clament « avoir trouvé le traitement contre le coronavirus », ceux qui pensent que « tout est de leur faute », ceux qui « partent dans des délires messianiques ». Et ceux qui affirment « carrément être le virus ».

« En psychiatrie, on appelle cela un +coup de tonnerre dans un ciel bleu+: il s’agit de gens qui fonctionnaient très bien et décompensent tout d’un coup. Leurs proches expliquent ne plus les reconnaître », décrit Marie-Christine Beaucousin, chef d’un des 18 pôles de l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, qui couvre 80% de la Seine-Saint-Denis, département de la région parisienne au nombre des plus touchés par l’épidémie.

Fin mars, l’hôpital s’est totalement réorganisé pour éviter la propagation du virus. Le pôle d’Aubervilliers, dirigé par le Docteur Beaucousin, est devenu une unité « sas » où sont accueillis des patients pendant 5 à 7 jours, le temps de s’assurer qu’il ne sont pas contaminés. Pendant cette période, ils sont en chambre, sans droit de sortie.

-Un patient se promène dans la cour de l’hôpital psychiatrique du Clos Benard à Aubervilliers, en banlieue nord de Paris, le 12 février 2020. Photo par Christophe ARCHAMBAULT / AFP via Getty Images.

Pour les soignants, c’est un poste d’observation inédit qui s’est ainsi créé, apportant son lot de « surprises ».

Venu prêter main forte aux équipes, Antoine Zuber, psychiatre en ville à Paris, a dans un premier temps connu une « période très calme ». « Le confinement a joué un effet contenant. Mais, pendant ce temps, ça a chauffé sous la cocotte », dit-il.

Jeunes patients dans un contexte d’urgence

« On s’attendait à une vague d’admissions de patients fragiles en rupture de traitement, et de décompensations de patients déjà suivis. La surprise, ça a été de voir apparaître tout d’un coup beaucoup de premiers épisodes, chez de jeunes patients qui arrivent dans un contexte d’urgence », explique le médecin.

Pour confirmer ces impressions, Marie-Christine Beaucousin, en poste depuis 20 ans, a ouvert son tableur Excel et comparé les données actuelles avec celles d’une semaine témoin en mars 2019.

L’année dernière, les premiers épisodes concernaient 17% des hospitalisations, en majorité des hommes, moyenne d’âge 40 ans. Cette année, 27% des admis à Aubervilliers n’avaient jamais présenté de troubles. L’âge moyen est descendu à 34 ans et les femmes sont aussi concernées que les hommes.

Bouffées délirantes aiguës

Enfermés chez eux depuis plusieurs semaines en raison du confinement, ces patients présentent « des angoisses majeures qui peuvent se traduire, à leur acmé, en bouffées délirantes aiguës ». « Ces bouffées délirantes peuvent avoir pour origine des dépressions » mais aussi la consommation ou l’arrêt brutal de drogues, précise Antoine Zuber.

Ces troubles, souvent mégalomaniaques, prennent parfois des allures de délires de persécution « qui traduisent une angoisse massive pour soi et pour son entourage ». Les soignants ont ainsi dû appeler la police pour un jeune homme qui s’était barricadé dans sa chambre, persuadé qu’il y avait un contrat sur sa tête.

Tentative de suicide

Psychiatres comme infirmiers soulignent le caractère aigu et violent de ces crises. « En très peu de temps, on a eu une tentative d’immolation par le feu, une tentative de suicide par égorgement et de défenestration devant l’entourage familial », relate Xavier Faye, cadre de santé à Ville-Evrard.

Le tableau clinique en psychiatrie « est toujours très imprégné par la réalité », explique le docteur Beaucousin, déjà confrontée à ce type de « bouffées délirantes » lors des attentats jihadistes meurtriers de 2015 dans le pays.

Afin d’avoir une analyse scientifique de ce phénomène qui semble toucher principalement les 18-35 ans, l’hôpital de Ville-Evrard a lancé une étude d’« évaluation clinique du confinement », pilotée par le docteur Dominique Januel.

« Une hausse des bouffées délirantes aiguës, ce n’est pas forcément surprenant, tout est possible en psychiatrie! Mais pourquoi chez les jeunes? », s’interroge le médecin. La bonne nouvelle, dit-elle, « c’est que cela semble se résoudre assez vite ».

A Aubervilliers, les psychiatres pensent déjà à la « clinique de la deuxième vague », celle du dé-confinement et de la crise économique qui vient. Une inquiétude partagée par les professionnels de la santé mentale dans l’ensemble des pays touchés par la pandémie, où les études montrent une hausse de l’anxiété et de la dépression.

 

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