L’agriculture française à la croisée des chemins : les « petits » ont-ils encore leur place ?

La ferme de l'éleveur Jérôme Caze et les champs environnants à Meilhan-sur-Garonne, dans le sud-ouest de la France, le 23 janvier 2025.
Photo: CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP via Getty
Jérôme Caze, 38 ans, maraîcher et éleveur en Lot-et-Garonne, incarne le visage d’une agriculture française en pleine mutation. Sur ses 40 hectares à Meilhan-sur-Garonne, ce père de famille « apolitique » et non syndiqué se bat quotidiennement pour maintenir à flot son exploitation familiale. Une lutte qui résonne avec celle de milliers d’agriculteurs confrontés à une réalité implacable : le modèle traditionnel s’effrite.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. De 1,5 million d’exploitants en 1970, la France n’en compte plus que 400 000 aujourd’hui. Dans une décennie, la moitié des paysans français auront atteint l’âge de la retraite, tandis que seulement 14 000 jeunes s’installent annuellement avec le soutien de l’État.
L’équation impossible des petites exploitations
« Quand tu te lances, tu investis autant que tu éternues », résume Jérôme Caze avec amertume. Ce fils d’agriculteur – profil de plus en plus rare puisque seuls un tiers des nouveaux exploitants sont issus du milieu – a investi plus de 300.000 euros pour démarrer son activité. Bâtiments d’élevage, terres, matériel : tout coûte cher.
Son regret ? Avoir été « petit bras » en renonçant à un emprunt plus conséquent. Résultat : avec 15 000 euros de bénéfice annuel brut, il a dû recourir au RSA pour boucler les fins de mois.
Vincent Chatellier, économiste à l’Inrae, confirme le dilemme : « Le seuil d’entrée reste élevé pour les petites exploitations car les volumes et les normes nécessitent des investissements lourds. » La solution ? Se spécialiser dans des créneaux moins exposés à la concurrence mondiale.
La reconversion salvatrice
Face à ces difficultés, Jérôme a opéré un virage stratégique. Abandonnant le maraîchage familial historique, il s’est lancé dans l’élevage de porcs Duroc, une race « rustique » et haut de gamme. Élevés au seau en plein air, ces 50 animaux autorisés par la réglementation représentent son pari sur l’avenir.
« En vendant quatre porcs par mois à 1 000 euros pièce, moins les charges, j’en tirerai un salaire », calcule-t-il. Un modèle qui exige de nouvelles compétences : « Commercial », « comptable », « phytothérapeute », le paysan moderne doit « cumuler les casquettes », souligne Luc Sonilhac, formateur au CFA agricole de La Réole.
L’externalisation, nouvelle donne agricole
L’agriculture se complexifie et se professionnalise. François Purseigle, sociologue et auteur d’« Une agriculture sans agriculteurs », observe une externalisation croissante des activités (+53% en 16 ans). « L’entreprise extérieure sème mon maïs pour moins cher que quand mon père le faisait avec la famille et les voisins », constate Jérôme.
Cette évolution transforme l’essence même du métier. « Le travail change, tu ne pourras plus garder cet esprit familial », prophétise-t-il avec nostalgie.
De nouvelles formes d’organisation émergent
Si les micros et petites exploitations représentent encore 55% des fermes françaises, elles ne produisent que 10% de la valeur totale. Face à cette réalité, de nouveaux modèles émergent. Les associations entre fermes sans lien familial explosent (+79% en 16 ans), créant des structures plus compétitives où « chacun amène sa spécialisation ».
Ces regroupements offrent des avantages indéniables : mutualisation des salariés, possibilité de vacances, rupture de l’isolement. Mais Jérôme reste prudent : « Travailler avec des associés, c’est comme un mariage. Quand ça se passe bien, c’est magnifique, mais quand le divorce arrive… »
L’avenir en couple d’exploitants
Pour redresser la barre, Jérôme mise sur un autre modèle : celui du couple d’exploitants. Sandra, son épouse ex-fonctionnaire territoriale, vient d’obtenir son brevet de responsable d’entreprise agricole et s’apprête à le rejoindre. Un choix à contre-courant : seule une femme de paysan sur cinq travaille aujourd’hui comme agricultrice, contre trois fois plus dans les années 1980.
Avec AFP

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