La « blessure morale » chez les anciens combattants

29 septembre 2015 12:39 Mis à jour: 2 mai 2023 20:27

 

Bien que l’on connaisse mieux qu’auparavant les horreurs du trouble de stress post-traumatique (TSPT), des experts avancent que certains anciens combattants sont mal diagnostiqués et qu’ils souffrent plutôt d’une blessure spirituelle complexe.

C’est un état qui affecte l’humanité depuis l’aube de la civilisation, mais ce n’est que récemment qu’on lui attribue un nom : la blessure morale.

La blessure morale est la crise de conscience qui se développe quand des gens font quelque chose, ne réussissent pas à faire quelque chose ou sont simplement témoins d’un geste qui est contraire à leurs croyances et mœurs profondes. Ce concept a été présenté par Jonathan Shay, un médecin et psychiatre clinique américain, qui a établi que le thème de la blessure morale remonte à la mythologie grecque.

L’ancien combattant Michael Yandell avait 19 ans lorsqu’il s’est enrôlé dans l’armée américaine en 2002. Il croyait que devenir un soldat était la meilleure chose qu’il pouvait faire pour répondre aux attaques terroristes du 11 septembre. Il a été déployé en Iraq pour six mois en 2004.

Ce n’était pas un événement particulier qui l’avait rendu insomniaque, déprimé et alcoolique lorsqu’il est revenu à la maison. Et ce n’était pas le TSPT. C’était le conflit entre ce qu’il avait fait et vu durant son service – les enfants qui grandissent dans les zones de guerre, les actes d’une moralité douteuse commis pour « le bien du plus grand nombre » et le fait de faire partie d’une institution violente – et ses valeurs de paix, de beauté et d’appréciation de la valeur de chaque vie humaine.

« Ce qui me blesse moralement, c’est le paradoxe d’avoir la guerre comme une expérience tellement formatrice dans ma vie adulte et mon refus de reconnaître que la guerre peut faire partie de ma vie », a témoigné Michael Yandell en octobre 2014, lors d’une conférence sur la blessure morale.

« Je ne peux échapper à mon expérience, mais la personne que je suis rejette ce que représente la guerre et ce que j’étais durant la guerre. C’est ce qui génère l’expérience la plus surréelle d’être mal dans ma peau. »

La révérende Dre Rita Nakashima Brock connaît très bien ce genre unique de souffrance existentielle. Son père était médecin durant la Seconde Guerre mondiale et a par la suite participé à la guerre du Vietnam. De retour à la maison, c’était un homme différent, la Dre Brock a eu du mal à comprendre jusqu’à ce que, après la mort de son père, elle en apprenne plus sur ses expériences de guerre.

Elle dévoue maintenant sa carrière à panser les plaies spirituelles des anciens combattants dans son rôle de professeure de théologie et de culture au Texas. Elle a cofondé une association qui se dédie à la recherche et à la sensibilisation concernant la guérison des blessures morales.

Dans son livre Soul Repair : Recovering from Moral Injury after War (Réparation de l’âme : se remettre d’une blessure morale après la guerre), elle décrit cet état en ces termes :

« La blessure morale survient lorsque les soldats violent leurs croyances morales fondamentales et, en évaluant leur comportement négativement, ressentent qu’ils ne vivent plus dans un monde fiable et ne peuvent plus se considérer comme des êtres humains décents. »

 

Un soldat canadien patrouille le district de Kandahar en avril 2006. (John D. McHugh/AFP/Getty Images)
Un soldat canadien patrouille le district de Kandahar en avril 2006. (John D. McHugh/AFP/Getty Images)

La blessure morale et le TSPT

La recherche sur la blessure morale n’en est qu’à ses débuts, mais la Dre Brock affirme que ceux qui s’occupent d’aider les soldats à réintégrer la société – les aumôniers, les cliniciens et les thérapeutes – commencent à comprendre le concept et à le différencier du TSPT. Dès 2009, certains médecins américains œuvrant auprès des anciens combattants ont demandé à ce que la blessure morale soit différenciée du TSPT, observant que les émotions à caractère moral telles que la culpabilité, la honte, le chagrin et les remords jouaient un rôle plus important dans la souffrance des anciens combattants.

Tandis que le TSPT est un trouble anxieux en réponse à un traumatisme spécifique pouvant être diagnostiqué, la blessure morale n’est pas une maladie mentale. C’est réaliser que son système de valeur ne correspond plus à ses expériences et c’est vivre le processus douloureux et dépaysant d’en établir un nouveau.

Par exemple, la violence sur le champ de bataille est courageuse et encouragée. Toutefois, dans la société, la violence est condamnée et punie. Comment réconcilier les deux ? Si vous vous percevez comme un monstre répugnant qui a enlevé la vie, comment pouvez-vous avoir une relation intime, conserver un emploi ou servir de modèle à vos enfants ?

La Dre Brock mentionne que les gouvernements et les décideurs politiques ignorent pour la plupart cet état compliqué. Ils ne financent donc pas son traitement qui diffère d’un individu à l’autre et comporte de nombreuses facettes. Il sera probablement difficile de faire reconnaître la blessure morale alors que les gouvernements et les entreprises ont intérêt à minimiser les conséquences traumatiques de la guerre.

Selon elle, il est beaucoup plus facile pour la société de classer les anciens combattants dans les catégories « héros » ou « détraqué », sans avoir la moindre idée d’où mettre les autres. 

La blessure morale dans la société

La Dre Brock perçoit la blessure morale comme une « réponse humaine normale » à un état anormal ou extrême, une anxiété de l’âme qui peut affecter n’importe qui ayant une conscience lorsqu’il est victime de circonstances douloureuses. Elle a rencontré cet état très souvent, pas seulement chez les anciens combattants.

Il y a ce cadre d’entreprise très occupé qui pendant des années a négligé de passer du temps avec sa mère, il a réalisé l’ampleur de la perte seulement après sa mort. Ou bien l’agent de police qui a été supplié par la victime d’un accident de l’achever par pitié, mais qui a plutôt regardé la victime mourir brûlée. Ou la mère monoparentale qui vit dans la pauvreté et doit choisir entre nourrir ses enfants ou chauffer la maison. Tous souffrent d’une blessure morale parce qu’ils ont été témoins de scènes de souffrance sans pouvoir réagir. Inévitablement, ils doivent endurer seuls les conséquences.

« En ayant fait partie de quelque chose comme la guerre, qui me dépasse largement, mais me sentant responsable de ses conséquences longtemps après m’être distancié de la guerre, c’est un sentiment intense de trahison. La personne qui trahit et se fait trahir est la même : c’est moi », raconte Michael Yandell, faisant écho à cette situation de solitude.

La blessure morale peut aussi être déclenchée par les félicitations et la trame du héros de guerre, explique la Dre Brock. Prenez par exemple un soldat qui reçoit une médaille de bravoure, mais qui à l’intérieur de lui-même est horrifié d’avoir pris une vie humaine. Les félicitations deviennent alors un rappel constant de cette tourmente interne.

Plusieurs des occupations dans la société moderne qui touchent à des questions de vie ou de mort – le personnel médical, la police, les pompiers – peuvent aussi souffrir d’une forme de blessure morale, estime la Dre Brock. Il en résulte que les plaies émotives sont réprimées et non résolues autant pour la victime que pour le témoin du drame.

« Ce qui se passe dans les forces armées a ses propres caractéristiques », affirme-t-elle, « mais je pense qu’un civil pourrait avoir des blessures morales assez graves pour s’enlever la vie, abandonner sa profession ou être déprimé pour le restant de ses jours, tout comme ce qui arrive aux anciens combattants. »

 

Des soldats américains prennent une pause dans une maison de Samarra, Irak, en 2004. (Ashley Gilbertson/VII Network)
Des soldats américains prennent une pause dans une maison de Samarra, Irak, en 2004. (Ashley Gilbertson/VII Network)

Plus de sensibilisation

Malgré le peu de recherches sur la blessure morale, l’existence même du terme est déjà un grand pas en avant. Ce mois-ci, une conférence nationale de trois jours sur la question aura lieu à Kansas City, jusqu’à maintenant la plus grande en son genre. Elle vise à informer les fournisseurs de services, les aidants, les dirigeants communautaires et religieux et les anciens combattants ainsi que leurs familles des défis à la réintégration dans la société civile.

Dans un autre exemple de sensibilisation grandissante, une campagne de collecte de fonds a été lancée cette année pour produire un documentaire sur la blessure morale et pour partager les histoires de guérison des soldats.

Cependant, la guérison ou le traitement de la blessure morale ne vient pas dans une pilule et ils sont aussi individuels que l’âme qui est touchée. Pour M. Yandell, la guérison s’est faite par un processus d’introspection par l’étude de la théologie, en aidant les autres en parlant de la blessure morale et en redécouvrant l’amour de la musique.

« En ce qui concerne l’espoir et la guérison, c’est juste être en mesure d’affirmer quelque chose dans le monde, même son propre monde, quelque chose de beau et qui vaut la peine qu’on le suive, qui vaut la peine de bien faire. C’est ce qui m’a aidé le plus. » Selon lui, cela voulait aussi dire rejeter l’idée d’être « cassé ».

« Je ne me sens pas nécessairement comme une personne diminuée ou comme une personne brisée à tout moment, mais je pense que j’ai été profondément changé et il n’y a pas de retour en arrière. »

La Dre Brock affirme que la participation des familles et des communautés est essentielle dans le traitement des soldats, pour se poser des questions sur leurs sentiments de honte, de douleur et d’isolation.

« La moralité est en lien avec les relations sociales. Vous n’êtes pas devenu une personne morale par vous-même, alors vous avez besoin d’autres personnes qui vous respectent, qui se soucient de vous et qui sont prêtes à vous accompagner dans ce long périple. »

 

Version originale : Beyond PTSD: Some Vets Tormented by ‘Moral Injury’

 

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