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La centrale solaire du désert de Mojave, jadis saluée comme un prodige, fermera ses portes comme une relique lumineuse

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La centrale solaire Ivanpah, située dans le désert de Mojave (Californie), le 6 janvier 2025

Photo: John Fredricks/Epoch Times.

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Durée de lecture: 13 Min.

LOS ANGELES – C’est une scène familière pour les voyageurs empruntant l’Interstate 15, de la Californie du Sud vers Las Vegas : dans les derniers kilomètres du désert californien de Mojave, juste avant la frontière du Nevada, peu de choses viennent interrompre l’immensité martienne, hormis une ville-frontière quasi abandonnée et cette relique scintillante issue de l’essor des énergies renouvelables en Californie.
Il y a un peu plus d’une décennie, le système solaire thermique Ivanpah fut inauguré avec faste, bénéficiant d’une garantie de prêt de 1,6 milliard de dollars accordée par le département américain de l’Énergie (DOE), dans le cadre de l’initiative menée par l’administration Obama pour installer des infrastructures vertes sur les terres publiques, afin d’aider la Californie à atteindre ses objectifs ambitieux de décarbonation.
À l’époque, il s’agissait de la plus grande centrale solaire au monde : près de 1600 hectares recouverts de miroirs high-tech, organisés autour de trois tours de 137 mètres. Elle avait quasiment doublé la capacité solaire thermique alors produite aux États-Unis, selon le DOE.
Le projet affichait une durée de vie opérationnelle estimée à 50 ans, selon l’étude d’impact environnemental finale. Les deux acheteurs, Southern California Edison et Pacific Gas and Electric Company (PG&E), disposaient d’accords d’achat jusqu’en 2039.
Désormais, Edison s’est retiré de son contrat et Ivanpah va fermer. La technologie de concentration solaire thermique (CSP) de l’installation devra probablement céder la place à une installation photovoltaïque (PV), une technologie que les experts jugent plus performante en termes de coût, d’efficacité et de polyvalence.
« Afin d’économiser pour nos clients, Southern California Edison a décidé d’arrêter d’acheter de l’électricité à la centrale solaire Ivanpah », a indiqué Jeff Monford, porte-parole de l’entreprise, à Epoch Times. Cette décision, selon lui, résulte de « négociations en cours entre plusieurs parties, dont les propriétaires de la centrale et le département de l’Énergie ».
Les entreprises à but lucratif craignent la révolte des consommateurs face à la flambée des prix de l’électricité – la Californie affiche le deuxième tarif le plus élevé du pays, derrière Hawaii –, et des hausses de tarif sont accordées pour compenser les exigences de sécurité, le vieillissement des infrastructures et la pression sur le réseau.
PG&E a annoncé en janvier qu’il opterait pour le rachat de son contrat. Edison et PG&E ont invoqué des économies et la supériorité des systèmes PV pour justifier leur retrait.
« Ivanpah était une étape majeure de l’énergie renouvelable, mais le solaire à concentration ne peut concurrencer les systèmes photovoltaïques d’aujourd’hui », estime Tom Lackey, député républicain de Californie, qui représente la région.
« Malheureusement, la technologie finit par devenir obsolète, et même si la fermeture de la centrale est décevante, je soutiens les travailleurs et j’espère que le site sera modernisé en installation photovoltaïque, afin qu’il reste un atout pour notre région en matière d’énergie propre. »
Dans un courriel à Epoch Times, David Hochschild, président de la Commission de l’énergie de Californie, affirme que l’État reste sur la voie de ses objectifs de décarbonation à l’horizon 2045.
« L’année dernière, nous avons ajouté un record de 7000 mégawatts de nouvelles capacités de production d’énergie propre, dont le solaire représente la part la plus importante », précise M. Hochschild. « Le solaire PV est la ressource la moins chère du marché actuellement, ce qui explique sa croissance fulgurante dans le monde entier. Aux États-Unis, plus de 80 % des nouvelles capacités introduites l’an dernier provenaient du solaire. »
En 2010, au lancement de la construction de la centrale, la Californie venait seulement d’instaurer son programme Renewables Portfolio Standard, créé en 2002, qui imposait aux énergies renouvelables de fournir 20 % des ventes d’électricité de l’État d’ici 2017. À présent, ce taux doit atteindre 60 % en 2030 et une neutralité carbone totale en 2045.
À l’époque, investisseurs et entreprises multipliaient les démarches pour développer de nouvelles technologies et diversifier leurs investissements, dans l’espoir de trouver la meilleure option.
Le système CSP d’Ivanpah utilise des centaines de milliers de miroirs contrôlés par logiciel, qui suivent la trajectoire du soleil et réfléchissent les rayons vers des chaudières remplies d’eau, placées au sommet de trois tours de 137 mètres. La lumière solaire chauffe l’eau, produisant de la vapeur qui est ensuite dirigée vers des turbines conventionnelles pour créer de l’électricité.
La technologie, éprouvée à plus petite échelle en Europe, a connu au début des années 2000 un afflux d’investissements privés pour sa version à grande échelle aux États-Unis, explique PG&E dans son communiqué de janvier.
« Il n’est pas évident, dans les premières étapes, de savoir quelles technologies seront les plus efficaces et accessibles », constate Don Howerton, directeur principal des achats commerciaux chez PG&E.
La disparition d’Ivanpah, selon lui, illustre l’évolution naturelle et compétitive du secteur. Il note que le PV et le stockage d’énergie, autrefois inabordables à grande échelle, sont maintenant au cœur du portefeuille des entreprises d’énergie propre.
Mais certains estiment que l’échec était prévisible dès le départ.
« Cela aurait dû être fait il y a 13 ou 14 ans », lâche Chris Clarke, directeur exécutif du Desert Advocacy Media Network, à propos de la fermeture de la centrale.
« Les observateurs avisés savaient dès le lancement du projet que le photovoltaïque serait plus économique. Le projet était condamné d’avance. »
Avant son poste actuel, M. Clarke a été rédacteur environnement chez KCET TV à Los Angeles de 2011 à 2017, où il a couvert Ivanpah en profondeur. Il évoque des entreprises européennes qui ont voulu miser sur différentes technologies solaires, mais ont fait faillite parce que le photovoltaïque était déjà moins cher lors du lancement d’Ivanpah.
« En tant qu’expérience, cela méritait sûrement d’être tenté quelque part, mais j’aurais choisi un autre site, car il s’agissait d’un habitat d’une diversité biologique exceptionnelle », estime M. Clarke.
Les tout premiers promoteurs vantaient cette « prouesse technique », parlant d’un avenir rayonnant pour les énergies propres et comparant le site au Hoover Dam du solaire. Mais, avant même sa mise en service, des défenseurs de la nature critiquaient déjà l’impact du projet sur les tortues menacées d’extinction, voyant en Ivanpah le symbole d’une implantation nuisible aux espaces naturels.
Le projet fut un repoussoir bipartisan, critiqué tant à droite qu’à gauche. Ses détracteurs lui ont collé l’étiquette de « monstruosité » et, lorsque PG&E a annoncé en janvier la fin des achats d’énergie, certains partisans du climat ont salué la disparition de « la plus laide centrale solaire du monde ».
Lors des phases de planification, on a accusé les concepteurs du projet d’avoir mené une opération « d’appât et d’échange », présentant la centrale comme source d’énergie propre alors qu’une part de sa production reposait sur une technologie hybride. Mais l’utilisation de gaz naturel pour compléter l’énergie solaire et chauffer les chaudières était prévue dans le plan initial, décrit dans la version finale de l’étude d’impact du Bureau of Land Management (Bureau de gestion des terres), publiée en juillet 2010.
La centrale est passée de plus de 46.000 tonnes de CO2 émises lors de sa première année à 68.676 tonnes en 2015, soit une augmentation de près de 50 %, bien supérieure au seuil des 25.000 tonnes qui impose aux centrales et aux usines californiennes d’intégrer le système de plafonnement et d’échange des émissions de l’État.
La menace pour les tortues en danger, la proximité du site avec une réserve naturelle, et les rapports affirmant que les miroirs tuaient des milliers d’oiseaux chaque année n’ont fait qu’alimenter la polémique.
« Le plus grand impact durable de la construction de cette centrale, même après sa désaffectation et le retrait du moindre morceau de ferraille, sera celui sur l’ancien habitat du désert de Mojave », ajoute M. Clarke.
Les victimes incluent des yuccas vieux de 900 ans, 60 ou 70 espèces de végétaux ligneux, des tortues, mais aussi des oiseaux, des serpents à sonnette et des insectes.
« Cet habitat ne repoussera pas naturellement, car le climat actuel n’est plus celui qui l’a façonné », explique M. Clarke. « Il avait une immense valeur écologique, que l’on a sacrifiée pour un projet dont la durée de vie, même si le succès avait été total, n’aurait pas dépassé 30 ans. Or, en réalité, nous n’en sommes même pas au tiers. »
Reste la question de la performance.
Selon une analyse publiée en janvier par le Free Enterprise Institute, un think tank conservateur, la centrale a produit en moyenne 702.322 mégawattheures (MWh) par an entre 2015 et 2023 – bien en deçà du million de MWh annoncé.
En 2024, les trois unités de la centrale ont généré au total 696.585 MWh, selon les données fédérales.
Selon certains observateurs du secteur, le point faible d’Ivanpah n’était pas sa technologie CSP elle-même, mais son recours à l’eau. Les versions plus récentes sont plus efficaces pour stocker ou transférer la chaleur. Selon le réseau industriel SolarPACES, Ivanpah fut la dernière centrale CSP sans système de stockage d’énergie ; sans cela, il était impossible d’assurer une distribution sur demande, ce qui l’a amenée à recourir aux combustibles fossiles.
Ivanpah est une relique à plus d’un titre. L’ère du développement des énergies renouvelables sur les terres fédérales est désormais révolue.
Le département de l’Intérieur vient d’annoncer la fin du traitement préférentiel pour les énergies éolienne et solaire jugées « non fiables et dépendantes des subventions », tous les dossiers devant désormais faire l’objet d’un « examen approfondi ». Ce changement s’inscrit dans la stratégie de domination énergétique du président Donald Trump et son décret du 7 juillet, visant à supprimer les subventions « faussant le marché » et les sources d’énergie « contrôlées par l’étranger ».
Le 24 septembre, l’administration Trump a annoncé le retour de plus de 13 milliards de dollars de fonds non engagés, initialement prévus pour faire avancer « l’agenda vert de la précédente administration ».
NRG Energy, l’un des plus grands investisseurs et opérateurs de la centrale Ivanpah, n’a pas répondu aux questions concernant le calendrier ou le coût du démantèlement du site.
Ni NRG ni le DOE n’ont précisé le montant du remboursement des prêts fédéraux, alors que les deux fournisseurs finalisent les négociations pour mettre un terme à leurs accords d’achat d’énergie.
Beige Luciano-Adams est une journaliste d'investigation qui couvre Los Angeles et les questions relatives à l'État de Californie. Elle a couvert la politique, les arts, la culture et les questions sociales pour divers médias, dont LA Weekly et les publications du MediaNews Group. Vous pouvez la joindre à l'adresse beige.luciano@epochtimesca.com et la suivre sur X : https://twitter.com/LucianoBeige

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