La culture pachtoune, clé de l’insurrection afghane

25 novembre 2011 10:53 Mis à jour: 5 décembre 2015 16:37

Anciens rois d’Afghanistan, les Pachtounes constituent presque l’ensemble des rangs des Talibans, tout en conservant la majorité des sièges au gouvernement. La guerre en Afghanistan n’est pas une guerre simplement de religion. Pour les Pachtounes, c’est une guerre ethnique basée sur la vengeance d’une des invasions étrangères menées par des tribus guerrières. La dynamique ethnique est complexe en Afghanistan et a un impact dans la tournure des évènements, et encore plus avec le retrait des troupes américaines.

Il existe une croyance persistante chez les Pachtounes, qui suspectent des groupes ethniques rivaux de s’être alliés aux forces américaines dans le but de les écraser. L’auteur Jere Van Dyk affirme avoir eu écho de cela auprès des Pachtounes eux-même, du plus bas échelon au plus haut rang du gouvernement.

« Les Pachtounes se sentent attaqués », précise Van Dyk dans un entretien téléphonique.

Van Dyk a vécu au côté des combattants musulmans, appelés « moudjahidines », dans les années 1980 et a gardé contact jusqu’à présent avec des représentants haut-placés d’Afghanistan. En 2008, il a tenté de se fondre complètement dans la culture pachtoune en vue d’infiltrer les Talibans. Il a cependant été capturé et relate son expérience dans un livre intitulé En captivité : mon temps comme prisonnier des talibans.

Avec 42% de la population du pays, les Pachtounes représentent le plus grand groupe ethnique d’Afghanistan.

Hormis les forces de la coalition, les trois acteurs du conflit afghan sont les Tadjiks (dans le nord de l’Afghanistan), les Pendjabis (au Pakistan) et les Pachtounes, établis surtout dans le sud et jusqu’à 130 km vers l’est, sur le territoire pakistanais.

Alors que quasiment tous les insurgés talibans sont pachtounes, le noyau de l’armée compte surtout des officiers tadjiks. Quant à l’armée pakistanaise, elle compte environ 80% de Pendjabis.

C’est donc impossible de considérer l’Afghanistan comme isolé du Pakistan. « Sur plusieurs points, c’est une guerre ethnique, entre les Pendjabis qui contrôlent l’armée et l’administration du Pakistan, et les Pachtounes des régions du Pakistan et d’Afghanistan », affirme Van Dyk.

« Le Pakistan essaiera de contrôler ce conflit jusqu’au bout », poursuit-il.

« Si vous discutez avec les Pachtounes, quel que soit le côté de la frontière, ils vous diront tous que le Pakistan tente de créer le chaos ou l’image d’un chaos, dans le but d’obtenir de l’argent de la part des États-Unis », précise Van Dyk.

Ce dernier explique qu’au tout début, les Tadjiks s’étaient alignés, avec succès, sur les États-Unis et l’Alliance du Nord – une coalition de groupes ethniques non pachtounes, unis contre les Talibans.

Les États-Unis ont également commis une erreur dans leurs opérations de la région sud-afghane, majoritairement pachtoune. Les noms de leurs opérations étaient communiqués en dari, un dialecte persan parlé par les Tadjiks.

« Cela a fait croire à tous les Pachtounes que les États-Unis s’étaient alliés aux Tadjiks », raconte Van Dyk. Les Pachtounes croient avoir été pris au piège dans un conflit destiné à les éliminer.

Un cercle de vengeance
Dans la culture pachtoune, la vengeance n’est pas un simple acte produit sous le coup de l’émotion. Badal (vengeance) est une des responsabilités qui fait partie du pashtunwali, un ensemble de lois transmises oralement qui définissent les relations sociales au sein du peuple pachtoune. Ce concept est d’ailleurs l’un des moteurs de l’insurrection afghane.

Une enquête de l’IISS (International Institute for Strategic Studies) a relevé que « l’insurrection, qui implique presque que des Pachtounes, est plus présente dans les régions sud et sud-est du pays qui sont dominées par les Pachtounes », tandis qu’à travers le reste de l’Afghanistan, les insurgés se manifestent par endroits dans une faible mesure.

« De nombreux Talibans ‘à la botte des soldats’ sont des jeunes hommes engagés à temps partiel. Ils ne se battent pas par idéologie mais sont davantage poussés par le désir de venger des amis ou de la famille morts au combat », stipule le rapport.

Van Dyk raconte son propre témoignage : « De mes expériences, il m’a été rapporté, et j’ai aussi observé, que de nombreux jeunes avaient rejoint l’armée des Talibans non pas pour l’argent mais parce que la guerre avait fait une victime dans leur famille. C’est une question de badal (revanche) – à cause de ce que tu nous as fait, j’ai l’obligation de te le rendre. »

L’insurrection en Afghanistan a conduit les États-Unis à adopter une stratégie contre-insurrectionnelle en gagnant « les cœurs et les esprits » à travers le pays. Il s’agit pour eux de déblayer de combattants ennemis les zones ciblées, avant d’y installer un gouvernement et d’y construire des infrastructures.

Les lois pachtounes reposent sur des concepts qui se trouvent à mille lieux des gouvernements occidentaux : il existe dans les régions pachtounes un code de l’honneur, transmis oralement, qui tire ses origines dans une culture d’au moins 5000 ans d’histoire.

Dans cette culture où l’honneur d’un homme détermine sa place dans la société, garder la face et maintenir le code de l’honneur a une grande importance. La nécessité de faire appliquer badal a maintenu les Pachtounes dans des conflits récurrents à travers l’histoire. La population pachtoune est constituée de nombreux clans et tribus ; leur gouvernement s’appuie sur les jirgas – des conseils réunissant les différents clans et tribus qui doivent obtenir l’accord unanime pour toute volonté de changement.

Un rapport du Tribal Analysis Center avait averti en octobre 2009 que l’absence de consensus lors des jirgas peut conduire à des guerres tribales sans fin, en raison du concept badal de maintien de l’honneur.

« Pour qu’il y ait des gagnants, il faut des perdants. Les perdants et leurs fidèles soutiens vont certainement prendre les armes pour regagner l’honneur perdu de ceux qui ont gagné au conseil », mentionne le rapport.

Étant donné l’effet boomerang de la vengeance, les guerres basées sur la perte de l’honneur peuvent « devenir des guerres sans fin au nom du pashtunwali, sorte de code de chevalerie, qui requiert badal, ou la vengeance », poursuit le rapport.

Alors que de nombreux combattants ont rejoint les rangs des Talibans pour se conformer au badal, la retraite des troupes d’Afghanistan pourraient faire diminuer l’insurrection, analyse Van Dyk. Cependant, ce que les Américains laisseraient derrière eux, un gouvernement démocratique centralisé, pourrait devenir une cible.

Sous l’ancien régime taliban, la religion et l’État n’étaient pas séparés, ce qui laisse perplexe devant l’importation de la démocratie chez les Pachtounes. « Les Talibans qualifieront la démocratie de religion occidentale », commente Van Dyk.

Être légitime pour gouverner
Les Pachtounes partagent le sentiment intrinsèque que c’est à eux de gouverner le pays. Leur vision est que « l’Afghanistan c’est eux », rapporte Van Dyk.

Si l’on reprend un rapport du Congressional Research Service (CRS), en date du 2 mars 2011, le sentiment des Pachtounes d’avoir la « légitimité de gouverner » tient du fait qu’ils représentent la plus grande ethnie en Afghanistan. Cela tient aussi du fait qu’ils ont toujours gouverné le pays, depuis sa création, à quelques exceptions près.

Cette dynamique se reflète dans l’actuel gouvernement afghan, dirigé par le président Hamid Karzai. « Karzai est un pachtoune issu du clan dourani. Son cabinet et son cercle de conseillers tendent à être progressivement dominés par les Pachtounes et à exclure les membres d’autres communautés », alerte le rapport du CRS.

Toutefois, il existe aussi des rivalités entre les différents clans pachtounes, en quête de pouvoir, tous voulant diriger le pays, précise Van Dyk.

La complexité ethnique de cette guerre met les États-Unis dans une situation difficile alors qu’il est prévu le retrait progressif des troupes jusqu’en 2017.

S’appuyant sur la mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan, les sénateurs afghans avaient averti en mars 2011 que le retrait des troupes pourraient plonger le pays dans une guerre civile.

Van Dyk acquiesce et croit sans aucun doute que « s’ils se retiraient maintenant, il y aurait une guerre civile ».

Version anglaise : Pashtun Culture is Key to Afghan Insurgency

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