La Russie envoie des troupes dans le Sahel, les États-Unis en alerte

Moscou renforce sa présence militaire dans le Sahel, région d'Afrique en proie à des troubles, alors que les États-Unis subissent des pressions pour retirer leurs troupes.

Par Darren Taylor
23 avril 2024 15:59 Mis à jour: 23 avril 2024 15:59

JOHANNESBURG – Des instructeurs militaires du Corps Russe pour l’Afrique (Russia’s Africa Corps), successeur du Groupe Wagner, sont arrivés au Niger, pays d’Afrique de l’Ouest, avec un système complet de défense aérienne et d’autres armes, ont fait savoir des analystes de la sécurité à Epoch Times.

Ce sont les dernières troupes à entrer dans l’un des champs de bataille les plus dangereux d’Afrique, la région désertique du Sahel, où les djihadistes combattent les forces gouvernementales de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, dont le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

Des officiers supérieurs de l’armée ont organisé des coups d’État dans ces pays, expulsant les forces françaises qui luttaient contre plusieurs organisations terroristes, plus particulièrement Al-Qaïda et « l’État islamique » (Daech).

« L’Occident devrait être très inquiet de ce qui se passe au Sahel », a déclaré Dean Wingrin, analyste militaire chez DefenceWeb, un portail qui analyse les développements en matière de sécurité et de défense en Afrique, basé à Johannesburg.

Il a confié à Epoch Times que « la Russie renforce son emprise sur l’une des régions les plus importantes du point de vue stratégique, une région que Moscou pourrait utiliser pour lancer des actions dans d’autres régions d’Afrique et au-delà. Les États-Unis sont les grands perdants de ce scénario, car il y a fort à parier que la Chine suivra de près son partenaire pour gagner en influence sur le continent africain ».

Dans une note récente, l’Organisation des Nations unies (ONU) qualifie la région du Sahel de « l’une des plus riches au monde en termes de ressources naturelles, notamment le pétrole, l’or et l’uranium ».

Selon le ministère américain de l’énergie, l’uranium enrichi peut être utilisé comme combustible dans les centrales nucléaires et les réacteurs nucléaires qui font fonctionner les navires et les sous-marins. Il peut également être utilisé dans les armes nucléaires.

Selon les Nations unies, le Sahel est également l’une des régions les plus jeunes du monde, avec près de 65% de la population âgée de moins de 25 ans.

« Par conséquent, les investissements dans l’éducation et la formation professionnelle pourraient produire d’énormes dividendes démographiques. Le Sahel est également doté d’un énorme potentiel en matière d’énergies renouvelables ; sa capacité de production d’énergie solaire est supérieure à celle d’autres régions du monde », peut-on lire dans une partie du document de l’ONU.

Le Corps Russe pour l’Afrique contrôle déjà de nombreux champs pétroliers en Libye, ainsi que des mines d’or et de diamants en Afrique centrale.

L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale sont également le théâtre de plusieurs conflits et rébellions djihadistes.

« L’entrée de la Russie dans le Sahel est tout droit sortie du manuel de Wagner », a souligné M. Wingrin.

« Le Kremlin envoie ses mercenaires dans les zones de conflit, soutient des dictateurs et des juntes militaires qui risquent toujours de perdre le pouvoir, et en échange, la Russie accède à d’immenses quantités de richesses minérales. »

Moscou a envoyé 100 soldats du Corps Russe pour l’Afrique au Burkina Faso à la fin du mois de janvier.

Un soldat de la mission française Barkhane se tient à côté d’enfants alors qu’il patrouille à In-Tillit au Mali, le 1er novembre 2017. (Daphne Benoit/AFP via Getty Images)

Le Corps Russe pour l’Afrique a écrit sur l’application de messagerie Telegram que les « militaires » s’étaient rendus au Burkina Faso pour « assurer la sécurité du dirigeant du pays, Ibrahim Traore, et du peuple burkinabé ».

Deux cents autres seront déployés dans un avenir proche.

African Initiative, une agence de presse russe pro-Moscou, a précisé que les troupes russes formeraient les soldats burkinabés et « aideraient à patrouiller dans les zones dangereuses ».

Le 18 avril, la chaîne Tele Sahel du Niger a montré un avion de transport russe arrivant à l’aéroport de Niamey.

Selon elle, « les derniers équipements militaires et les instructeurs militaires du ministère russe de la Défense » sont arrivés, ajoutant que la Russie « installera un système de défense aérienne (…) pour assurer le contrôle total de notre espace aérien ».

La chaîne a cité un instructeur russe : « Nous sommes ici pour former l’armée nigérienne et l’aider à utiliser le matériel qui vient d’arriver. Ces équipements sont destinés à différentes spécialités militaires. »

L’arrivée du Corps Russe pour l’Afrique au Niger fait suite à une conversation téléphonique entre le chef du gouvernement militaire nigérien, le général Abdourahamane Tiani, et le président russe, Vladimir Poutine, à la fin du mois de mars.

À l’époque, les médias locaux avaient rapporté que les deux dirigeants avaient discuté de la « coopération en matière de sécurité » et de « coopération stratégique mondiale » contre les « menaces actuelles ».

Après avoir expulsé 1500 soldats français en 2023, la junte militaire a récemment annoncé qu’elle mettait fin à un accord conclu en 2012 avec les États-Unis, selon The Guardian.

Dans le cadre de cet accord, les États-Unis ont construit plusieurs installations, dont une base de drones dans le désert pour un coût de 110 millions de dollars, dans le nord du Niger et comptent 1000 soldats dans le pays.

« Les soldats américains sont toujours présents au Niger, mais ils ont cessé leurs opérations militaires en juillet dernier, après le coup d’État », a rappelé le professeur Deon Visser, analyste militaire à l’université de Stellenbosch, en Afrique du Sud.

« À première vue, le Niger ne semble pas si important pour les États-Unis. Mais il faut se rappeler qu’il a été un tremplin crucial pour l’armée américaine dans la lutte contre le terrorisme en Afrique depuis 2013. Le fait que les États-Unis soient désormais rejetés et remplacés par la Russie leur porte un coup dur à plusieurs niveaux, notamment sur le plan psychologique et sur celui de la propagande. »

La junte militaire du Niger a déclaré « illégale » la présence des États-Unis dans le pays, après que de hauts fonctionnaires américains ont accusé la junte d’étudier secrètement un accord permettant à l’Iran d’accéder à ses mines d’uranium, selon le Wall Street Journal.

M. Visser a révélé à Epoch Times qu’il existe « de nombreuses preuves » que la Russie utilise les réseaux sociaux pour « attiser » les protestations au Niger exigeant le « départ définitif » des troupes américaines du pays.

« La perte des bases au Niger crée de réels problèmes pour les intérêts américains en Afrique, tout en donnant un formidable coup de pouce à la Russie et à la Chine », a ajouté M. Visser.

« Les drones américains lancés depuis le Niger ont connu un grand succès dans la surveillance et la collecte de renseignements sur Daech et Al-Qaïda, à travers le Sahel, mais aussi au Tchad, au Cameroun et au Nigeria. Je suis presque sûr que ces actions ont conduit à l’élimination de plus d’un ou deux chefs terroristes ces dix dernières années. »

Selon M. Visser, si les forces américaines se retiraient complètement du Niger, la Chine s’engouffrerait probablement dans la brèche.

« La Chine ne cache pas qu’elle cherche à renforcer sa présence militaire en Afrique, pour compléter la base solitaire qu’elle possède à Djibouti. La Chine est déjà l’un des principaux partenaires commerciaux du Niger, cette relation existe donc déjà. »

Les États-Unis ne représentent qu’une petite partie du commerce total du Niger.

Michael A. Allen, professeur de sciences politiques à l’université d’État de Boise, Carla Martinez Machain, professeur de sciences politiques à l’université de Buffalo, et Michael E. Flynn, professeur de sciences politiques à l’université d’État du Kansas, ont expliqué la semaine dernière dans Military.com que les États-Unis cherchaient désormais des solutions de remplacement à leurs bases de drones perdues au Niger.

Mais, ont-ils écrit, « il y a peu d’options dans la région qui offrent des alliés aux États-Unis et qui ne soient pas des gouvernements militaires ». Bien que les États-Unis aient historiquement travaillé et pu influencer des pays où l’armée dirigeait également le gouvernement, dans la période de l’après-guerre froide, les États-Unis s’alignent généralement sur les pays démocratiques ».

Ils ont ajouté : « À mesure que les rivaux des États-Unis, tels que la Chine et la Russie, gagnent en influence dans la région, il pourrait devenir plus coûteux pour les États-Unis d’installer de nouvelles bases militaires en Afrique. Des études montrent que lorsque les États hôtes ont le choix entre plusieurs grandes puissances avec lesquelles coopérer, il faut davantage recourir à des incitations économiques pour gagner leur faveur. Par conséquent, on ne sait pas exactement dans quelle mesure les États-Unis pourraient maintenir une présence en Afrique occidentale et centrale. »

M. Wingrin a souligné que le retrait « inévitable » des troupes américaines mettrait fin à tous les espoirs de l’Occident de maintenir des relations avec les pays du Sahel et donnerait l’occasion à la Russie et à la Chine d’entrer dans la région avec des forces significatives.

Mucahid Durmaz, analyste confirmé pour l’Afrique de l’Ouest chez Verisk Maplecroft, société internationale de renseignements sur les risques, a déclaré à Epoch Times : « La principale préoccupation de Washington était d’empêcher la Russie d’entrer militairement dans l’arène du Sahel. Le Corps Russe pour l’Afrique s’est déjà déployé au Mali et au Burkina Faso. »

Les gouvernements militaires du Sahel multiplient leurs actions anti-occidentales.

Le 18 avril, le Burkina Faso a expulsé trois diplomates français pour « activités subversives ».

Après avoir pris le pouvoir lors d’un coup d’État en septembre 2022, la junte a commencé à prendre ses distances avec la France, qui avait gouverné le pays jusqu’en 1960. Elle a annulé un accord militaire conclu en 1961 entre les deux pays et l’ambassadeur de France a été retiré après le coup d’État.

Le 1er décembre, quatre fonctionnaires français ont été arrêtés, inculpés et emprisonnés dans la capitale Ouagadougou, les autorités burkinabés les accusant d’être des « espions » des services de renseignement français.

Paris a insisté sur le fait qu’il s’agissait du personnel d’assistance informatique.

« C’est un euphémisme, mais les choses ne se présentent pas bien dans le voisinage pour l’Occident », a poursuivi M. Visser. « Les choses pourraient même empirer, car le chef militaire du Tchad s’est rendu au Kremlin auprès de Poutine à la fin du mois de janvier. »

Mahamat Deby a pris le pouvoir au Tchad à la suite d’un coup d’État en 2021.

À l’issue de leur rencontre, Poutine a félicité M. Deby pour avoir réussi à « stabiliser » le Tchad et a déclaré que la Russie suivait de près la situation sécuritaire du pays.

Cameron Hudson, ancien officier de la Central Intelligence Agency en Afrique et actuellement chargé de recherche au Centre d’études stratégiques et internationales de Washington, a réagi en tweetant : « Des rumeurs circulent depuis des mois sur un accord de sécurité imminent entre le Tchad et la Russie, similaire à celui que le Niger a signé. J’y serai [attentif]. »

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