La France a-t-elle perdu la guerre des talents ?

Par Philbert Carbon
24 avril 2023 09:54 Mis à jour: 24 avril 2023 09:54

Le projet de loi sur l’immigration, préparé par le ministre de l’Intérieur, qui devait être examiné au Sénat à partir du 28 mars 2023, a été reporté sine die. Victime collatérale de la crise liée à la réforme des retraites, le texte comportait notamment des dispositions visant à faire face à la pénurie de main-d’œuvre que connaissent certains métiers. Celles-ci étaient-elles en mesure de nous faire gagner la guerre mondiale des talents ?

Le climat social actuel aura eu raison du projet de loi « Immigration et intégration » de Gérald Darmanin. Le président de la République a tranché : l’examen du texte, prévu fin mars au Sénat, est reporté à une date ultérieure. Ce projet de loi contenait de nombreuses dispositions, traitant des OQTF (obligations de quitter le territoire français), du placement en CRA (centre de rétention administrative), des demandes d’asile, des compétences minimales en langue française demandées aux étrangers désirant une carte de séjour, etc.

Mais les mesures qui ont été le plus mises en avant ces dernières semaines sont relatives au travail des immigrés, et plus particulièrement des « sans papiers ».

Régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers en tension

Pour faire vite, il s’agit de délivrer une carte de séjour « travail dans des métiers en tension », d’une durée d’un an, aux clandestins qui en feront la demande. Cette carte leur permettra ensuite, sous certaines conditions, d’être dûment régularisés. Par « métiers en tension », on entend notamment ceux du bâtiment, de la restauration, de l’aide à domicile, de l’entretien.

Par ailleurs, pour répondre aux besoins de recrutement dans les hôpitaux et les établissements médico-sociaux, le projet de loi prévoit la création d’une nouvelle carte de séjour pluriannuelle « talents-professions médicales et de la pharmacie ».

Beaucoup ont critiqué ce projet, affirmant qu’il revenait tout bonnement à régulariser tous les clandestins. Le monde économique y a vu, au contraire, une opportunité, la pénurie de main-d’œuvre entravant le développement de nombreuses entreprises. D’ailleurs, les patrons, par la bouche du président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, se sont dits « prêts à embaucher des gens, puisqu’on a des problèmes de recrutement », mais ont ajouté que ce n’était pas eux de « décider de la politique migratoire ». Il est vrai que le sujet est délicat : certes la main d’œuvre manque dans certains métiers, mais le projet de loi ne risque-t-il pas de créer un appel d’air alors que l’immigration illégale est déjà un problème ?

En réalité, le véritable problème est que l’immigration en France est trop peu qualifiée. Or, ce n’est pas avec les mesures contenues dans le projet de loi suspendu que cela risque de changer. Nos voisins, contrairement à nous, déploient beaucoup d’efforts pour attirer les talents à même de booster leur économie.

L’Allemagne ouvre des centres de recrutement à l’étranger

Le ministre du travail allemand, Hubertus Heil, a fait adopter, fin mars, en Conseil des ministres, un projet de loi qui facilite l’arrivée de travailleurs qualifiés extra-européens. Il est prévu de ne plus demander aux candidats de présenter un contrat de travail pour franchir la frontière allemande. En s’inspirant du modèle canadien, l’Allemagne veut mettre en place une « Chancenkarte », une carte à points qui évaluera le potentiel d’intégration du candidat à un permis de travail. La qualification, l’expérience professionnelle, l’âge, le niveau d’allemand (ou d’anglais) seront pris en compte. Le candidat qui obtiendra au moins six points aura le droit de rechercher un emploi pendant un an.

Parallèlement, le gouvernement allemand va allouer 150 millions d’euros pour créer des « guichets-conseils » dans neuf pays, comme le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, le Ghana ou l’Indonésie. Accompagnés d’une campagne de communication présentant l’Allemagne comme un pays « moderne et accueillant », ces centres conseilleront les candidats à l’immigration.

Il est vrai que deux millions de postes sont actuellement vacants en Allemagne et que sept millions de « baby-boomers » vont partir à la retraite d’ici 2035. Par ailleurs, environ 180 000 Allemands s’installent dans un autre pays chaque année. Les entreprises déploient parfois des moyens considérables pour trouver la main d’œuvre qui leur fait défaut. Le Figaro donnait ainsi l’exemple de l’hôpital de la Charité à Berlin qui recherche 450 à 500 nouveaux infirmiers chaque année : il dispose d’un service spécialisé (qui va passer de 4 à 11 personnes) pour recruter directement à l’étranger. Il s’occupe aussi des démarches administratives, finance les cours d’allemand, paye le voyage jusqu’à Berlin, aide les arrivants à trouver un logement et à s’intégrer.

L’Espagne attire les entrepreneurs

En Espagne, la toute nouvelle loi sur les startups prévoit la création d’un « visa de nomade numérique » pour des personnes ne résidant pas dans l’Union européenne. Il leur offrira la possibilité de vivre et travailler en Espagne pendant cinq ans (un an renouvelable quatre fois), après quoi elles pourront demander un titre de résident permanent si elles le souhaitent.

Pour obtenir le visa, il faut gagner au moins deux fois le salaire minimum espagnol (c’est-à-dire 2100 euros par mois) mais seuls 20% sont autorisés à provenir d’Espagne. L’essentiel, 80%, doit être versé par des clients (pour les indépendants) ou des employeurs (pour les salariés) établis à l’étranger. Les candidats doivent aussi apporter la preuve qu’ils ont travaillé à distance pendant au moins un an et qu’ils sont donc habitués à ce mode de travail. En retour, ces télétravailleurs bénéficieront de l’avantage Beckham (du nom du footballeur anglais qui jouait au Real Madrid et qui avait obtenu un taux d’imposition à 15% au lieu du taux de base normal espagnol de 25%).

La loi – « Startup Act » – crée également un « visa d’entrepreneur » afin de faire venir en Espagne des créateurs d’entreprise étrangers. Pour cela, il convient de présenter un business plan « réaliste et conforme au bien-être du pays » montrant, par exemple, que l’entreprise va être créatrice d’emplois pour les Espagnols ou utilisera des technologies de pointe. La loi prévoit des avantages fiscaux pour ces nouvelles entreprises (déduction de l’impôt sur les sociétés de 15 à 25 % sur 4 ans, report de la dette fiscale pendant 2 ans…), ainsi qu’une simplification des formalités bureaucratiques.

L’Italie offre des avantages fiscaux aux cerveaux étrangers

L’Italie a également pris, au printemps de l’année dernière, des dispositions (similaires à celles de l’Espagne, mais aussi de Malte, du Portugal, de la Croatie, de la Grèce, entre autres) pour faire venir des nomades numériques non-européens. Il s’agit d’attirer ceux « qui exercent des activités professionnelles hautement qualifiées grâce à l’utilisation d’outils technologiques qui leur permettent de travailler à distance, de manière autonome ou pour une entreprise qui ne réside pas sur le territoire de l’État italien ».

Notre voisin transalpin ne s’intéresse pas qu’aux travailleurs nomades. En 2021, il a modifié le statut fiscal des impatriés dans le but d’attirer davantage de chercheurs et de cerveaux étrangers et de faire revenir les Italiens qui avaient quitté le pays. Toutes les personnes domiciliées fiscalement en dehors de l’Italie au cours des deux années fiscales précédant leur installation en Italie peuvent en bénéficier. Ce régime est assorti d’un avantage important : 70% des revenus de source italienne dérivant de l’activité professionnelle sont exonérés d’impôt sur le revenu, et ce pour une période de cinq ans. Le chiffre monte même à 90% si la résidence est établie dans le sud (Abruzzes, Basilicate, Calabre, Campanie, Molise, Pouilles, Sicile et Sardaigne).
La France privilégie les non-qualifiés

Nos voisins cherchent donc, par tous les moyens, à attirer à eux les professionnels de haut niveau et les entrepreneurs du monde entier. On peut, bien sûr, critiquer le fait que des avantages fiscaux soient accordés à des étrangers alors que les indigènes pâtissent parfois de taux d’imposition élevés. En tout cas, il semble que l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, pour ne citer qu’eux, aient pris pleinement conscience de la guerre mondiale des talents qui fait rage.

En France, le gouvernement préfère attirer les non-qualifiés. Nous l’avons vu, les métiers en tension, pour lesquels on souhaite régulariser les clandestins, ne demandent, pour la plupart aucune qualification particulière (hormis les professions médicales). Cette politique est dans la droite ligne de celles qui ont été menées depuis 1993 (gouvernement Balladur), consistant à baisser les charges sur les bas salaires. Ainsi le taux des prélèvements effectifs dont s’acquittent les employeurs au niveau du Smic est-il passé de 46% du salaire brut en 1988 à 7% en 2020 pour les entreprises de plus de 20 salariés. En revanche, pour les rémunérations supérieures à deux fois le Smic, c’est-à-dire pour les métiers moyennement ou très qualifiés, les cotisations sociales patronales augmentent fortement et peuvent tutoyer les 45% du salaire brut.

Aucun pays de l’OCDE ne pratique une telle politique d’incitation en faveur des bas salaires. La France favorise donc indéniablement les business models intenses en travail peu qualifié, d’où, sans doute, le projet gouvernemental.

Dans le même temps, les premiers de la classe nous quittent. La France serait le deuxième pays le plus touché au monde par la fuite de ses cerveaux. Le nombre de jeunes diplômés partant à l’étranger est estimé à 80.000 par an. Il a doublé au cours des dix dernières années, car les jeunes professionnels trouvent ailleurs des salaires meilleurs, des impôts moins élevés, une bureaucratie moins tatillonne…

Accueil des immigrés les moins qualifiés, incitation en faveur des bas salaires et fuite des cerveaux… un cocktail explosif qui explique en partie que notre pays se désindustrialise, n’exporte plus, n’innove plus et s’appauvrit.

Article écrit par Philbert Carbon. Publié avec l’aimable autorisation de l’IREF.

L’IREF est un « think tank » libéral et européen fondé en 2002 par des membres de la société civile issus de milieux académiques et professionnels dans le but de développer la recherche indépendante sur des sujets économiques et fiscaux. L’institut est indépendant de tout parti ou organisation politique. Il refuse le financement public.

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