Quand une culture perd le contact avec ses mythes – Partie 1

Mythes versus logos

Par James Sale
6 août 2023 13:45 Mis à jour: 21 août 2023 22:07

Dans son merveilleux livre « Le combat pour Dieu », Karen Armstrong, s’appuyant sur le travail d’autres éminents universitaires, nous présente une raison centrale pour laquelle il y a eu une résurgence du fondamentalisme religieux dans le judaïsme, le christianisme et l’islam dans le monde moderne. En effet, son livre souligne des parallèles intrigants et perspicaces entre les trois religions. Mais peut-être que le concept vraiment central qu’elle esquisse se trouve dans l’introduction du livre : c’est la distinction entre mythos et logos.

Cette distinction est, à mes yeux, essentielle pour chercher à comprendre pourquoi l’Occident est en déclin.

Que sont les mythes et les logos ?

« Allégorie des sciences, Minerve et Chronos protégeant les sciences contre l’envie et l’ignorance », 1614-1616, par Jacob Jordaens. Huile sur toile. Collection privée. (Domaine public)

En termes simples, le monde antique, y compris le monde médiéval, fonctionnait sur la base des deux compréhensions : les gens comprenaient que le mythe et le logos étaient deux manières différentes d’interpréter le monde, mais que les deux étaient nécessaires et que chacun avait son propre domaine ou aire d’applicabilité.

Appliquez la mauvaise approche à une situation donnée et vous en tireriez un résultat, une interprétation ou une conclusion erronée. Bien sûr, les gens du monde antique faisaient souvent exactement cela. Comme le note Dorothy L. Sayers dans son livre « Opinions impopulaires » :

« L’erreur du Moyen Age, dans l’ensemble, a été d’utiliser des techniques analogiques, métaphoriques, poétiques pour l’investigation de questions scientifiques. Mais progressivement, depuis le dix-septième siècle, nous avons eu tendance à faire l’erreur inverse, celle d’utiliser les méthodes quantitatives de la science pour l’investiguer la vérité poétique. »

Mais au moins à l’époque médiévale, les gens savaient qu’il y avait ces deux approches ou méthodes pour interpréter la réalité. Nous, en Occident, semblons maintenant n’avoir qu’une seule méthodologie, et de ce fait nous sommes affaiblis.

Selon Karen Armstrong : « Le mythe était considéré comme primordial ; il concernait ce que l’on croyait intemporel et constant dans notre existence. Le mythe revient sur les origines de la vie, sur les fondements de la culture et sur les niveaux les plus profonds de l’esprit humain ».

Elle poursuit en disant : « Le mythe ne concerne pas les questions pratiques, mais le sens ». Le logos, en revanche, « était la pensée rationnelle, pragmatique et scientifique qui permettait aux hommes et aux femmes de bien fonctionner dans le monde… contrairement au mythe, le logos doit se rapporter exactement aux faits et correspondre aux réalités extérieures pour être efficace. » Karen Armstrong nous avertit qu’il est « dangereux de confondre discours mythique et rationnel ».

Une compréhension superficielle de la réalité

« Sciences physiques et naturelles », 1917, par Veloso Salgado. Huile sur toile. Université de Porto, Portugal. (Domaine public)

Dangereux dans quel sens ? Comment est-ce dangereux ? Je voudrais suggérer pour l’instant qu’il existe trois manières révélatrices par lesquelles il est dangereux de confondre ces méthodologies de compréhension de la réalité. Le premier danger est bien exprimé dans un dicton chinois qui substitue les mots mystique-science à mythos-logos ; le sens et le parallèle, cependant, en est très clair :

« Les mystiques comprennent les racines du Tao mais pas ses branches ; les scientifiques comprennent ses branches mais pas ses racines. La science n’a pas besoin de mysticisme et le mysticisme n’a pas besoin de science ; mais l’homme a besoin des deux. »

L’équilibre entre « mythos » et « logos » avec la science et la foi harmonieusement présidé par la personnification de « Lumière, Amour et Vie ». Panneau central de « Education », 1890, par Louis Comfort Tiffany. Vitrail de Linsly-Chittenden Hall, Université de Yale. (Domaine public)

Il y a quelque chose de dramatiquement incomplet dans notre connaissance, et donc dans nos vies, lorsque nous ignorons une modalité fondamentale de notre être et que nous accordons trop d’importance à l’autre. Même les athées, comme le philosophe américain Thomas Nagel, peuvent voir le danger précisément là :

« Certaines personnes quittent toutes les formes religieuses culturelles dans le dégoût, le désespoir ou la désolation, et entrent dans les royaumes stériles de l’athéisme et du matérialisme, dans lesquels aucune expression transcendante ne sera trouvée. Je trouve la confiance parmi l’establishment scientifique que l’ensemble du scénario cédera à une explication purement chimique difficile à comprendre, sauf en tant que manifestation d’un engagement axiomatique envers le matérialisme réducteur ».

Ainsi, confondre mythos et logos est dangereux car cela interprète mal la réalité. Nous nous retrouvons avec la science-logos prétendant qu’elle peut expliquer le sens de la vie, ce qu’elle ne peut pas.

Mais dans l’expression « matérialisme réducteur », Thomas Nagel nous conduit vers un deuxième danger observé par Allan Bloom il y a une trentaine d’années : « Les hommes et les sociétés ont besoin de mythes, pas de science, pour vivre ». Alors que nous assistons tout autour de nous en Occident à la désintégration de la société, des communautés, des valeurs, nous réalisons de plus en plus pourquoi il est important d’avoir des mythes pour vivre.

Les Romains – et l’Empire romain – étaient très bons dans ce domaine (jusqu’à ce qu’ils deviennent complaisants, indulgents envers eux-mêmes et en perdent le fil). Ils ne cessaient de créer des mythes sur ce que signifiait être un « bon » Romain. Le plus célèbre de ces mythes se trouve dans l’une des plus grandes épopées du monde, « L’Énéide », écrite sous le règne du premier et plus grand empereur de Rome, Auguste.

« La fuite d’Enée depuis Troie », 1598, par Federico Barocci. Huile sur toile. Galerie Borghèse, Rome. (Domaine public)

Quelles sont les qualités qui ont rendu Énée si grandsi romain ? Piété, engagement envers la famille et constance. C’étaient trois des éléments essentiels de la mythologie romaine qu’ils racontaient d’eux-mêmes.

Enée les a toutes démontrées lors de sa première évasion de Troie. Il a été guidé par la déesse Vénus (faisant preuve de piété) ; il a sauvé son père, Anchise (engagement envers la famille), en le portant sur son dos ; et il a fait preuve d’une remarquable constance alors qu’un massacre se déroulait tout autour de lui. Le fait est qu’en étant cohérent avec ce mythe et ses valeurs, qui sont manifestement mises en scène dans l’histoire, il faisait de tout à chacun un bon et admirable Romain. Les Romains cherchaient à imiter Enée, à être comme lui. Il était ce que nous appellerions un bon modèle.

Il convient de noter qu’il s’agissait de valeurs civiques qui semblent complètement étrangères au monde d’aujourd’hui : La piété ? La famille ? La constance ? Ne serait-ce simplement la fermeté, par exemple, qui a maintenant été remplacée par la « vulnérabilité ». Démontrer qu’on a des problèmes de santé mentale semble être chic aujourd’hui !

« Vénus donnant les armes à Enée», 1704, par Jean Cornu. Sculpture en terre cuite et bois peint. Le Metropolitan Museum of Art, New York. (Domaine public)

L’autre aspect de la question est que, quelles que soient les valeurs civiques nobles et bonnes (et les mythes) dont nous jouissions autrefois (vous pourriez peut-être réfléchir à vos trois principales valeurs), elles sont aujourd’hui érodées en Occident, et le résultat est l’effondrement de la société.

A notre époque, le matérialisme réducteur a conduit à l’épuisement des mythes qui nous permettent de vivre, puisque le logos a pris le dessus et a démystifié la pensée mythique. Cette superficialité (ne regarder que les branches) a un effet délétère tant sur le plan personnel que social.

Cela semble être une généralisation presque trop excessive pour l’affirmer, mais toutes les civilisations dignes d’intérêt ont connu ce processus : dans la phase initiale, la croyance dans le(s) mythe(s) est forte et l’empire est établi. Après ce premier succès, il semble que les gens commencent à croire moins aux mythes, mais davantage à leur propre rôle dans la création du succès, de sorte que les mythes deviennent moins une croyance qu’un rituel. Finalement, peu y croient, les rituels s’étiolent et la discorde s’installe – fin du jeu.

La montée du fondamentalisme

« John Wycliffe lisant sa traduction de la Bible à Jean de Gaunt », 1847-1861, par Ford Madox Brown. Huile sur toile. Galeries d’art et musées de Bradford, Angleterre. (Domaine public)

Ainsi, nous arrivons à la troisième raison pour laquelle cet aspect est dangereux, et il constitue véritablement l’argument central du livre de Karen Armstrong. Il s’agit essentiellement du principe (un énoncé de logos) selon lequel toute action entraîne une réaction égale et opposée ; ou, pour le dire autrement, lorsque le yang s’emballe, il rebondit sur le yin, et vice versa.

La montée du fondamentalisme dans les trois grandes religions examinées par Karen Armstrong (bien que le fondamentalisme ne soit pas exclusif à ces religions ; toutes les religions ont cette tendance, y compris l’athéisme lui-même) est liée à l’atrophie de la pensée mythique. Parce qu’un nombre croissant de personnes ne peuvent plus « croire » aux mythes, la religion elle-même s’étiole. Mais à mesure que cela se produit, un noyau de croyants réagit contre cette évolution et s’attache à rendre les textes sacrés et les écritures plus littérales et plus fondamentalistes.

L’ironie de la chose, c’est qu’ils prétendent souvent revenir aux sources. C’est ce qu’a fait la Réforme protestante (qui coïncide avec les débuts de l’essor de la science telle que nous la connaissons aujourd’hui). Selon eux, l’Église catholique avait corrompu les enseignements de la Bible et des premiers Pères de l’Église.

Mais les protestants eux-mêmes se sont fracturés en divers sous-groupes dont la propre pratique, en particulier en ce qui concerne la façon de lire la Bible, aussi – dans son littéralisme – n’a pas toujours suivi les premiers Pères de l’Église. Il s’agissait d’un littéralisme d’interprétation inconnu de nombreux dirigeants de l’Église primitive, qui constituait une cible idéale pour le logos scientifique, qui a commencé au milieu du 19e siècle et se poursuit encore aujourd’hui.

J’aimerais donc, dans la deuxième partie de cet article, examiner un passage célèbre l’Ancien Testament de la Bible dans lequel une compréhension mythique – plutôt qu’une interprétation littérale ou scientifique – nous permet de glaner beaucoup plus de vérité – la vérité sur la création de Dieu – que le littéralisme ou le scientisme ne peuvent faire.

En effet, la lecture en tant que mythos signifie qu’il n’y a pas de conflit entre la science et la religion en termes de domaines de pertinence. N’est-ce pas le souhait de tous ?

« La bataille pour Dieu : Fondamentalisme dans le judaïsme, le christianisme et l’islam » de Karen Armstrong, publié en 2005.

James Sale poursuit cette discussion dans la 2ème partie

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