Les drones des Caraïbes : un laboratoire de guerre hybride ?

Le président iranien Ebrahim Raisi (à g.) et le président vénézuélien Nicolás Maduro se saluent lors de la cérémonie d'accueil de M. Raisi au palais présidentiel de Miraflores, à Caracas, le 12 juin 2023.
Photo: Yuri CORTEZ/AFP via Getty Images
VENEZUELA — Dans les collines de Maracay, à 100 kilomètres de Caracas, le soleil se couche sur des hangars surveillés. À la base aérienne El Libertador, des ingénieurs vénézuéliens travaillent main dans la main avec des conseillers iraniens à l’assemblage de fuselages en composite. Les registres officiels présentent ces projets comme des « technologies souveraines », mais des sources militaires et des rapports de renseignement révèlent une autre réalité : le Venezuela est devenu le principal laboratoire latino-américain de drones d’attaque, soutenu par l’Iran, la Russie et la Chine.
« Le Venezuela n’aurait jamais pu y parvenir seul. Les Iraniens contrôlent l’accès aux hangars et décident qui peut y entrer et qui ne le peut pas », a révélé un technicien de la base au Miami Herald. Le modèle opérationnel rappelle les laboratoires militaires de Téhéran : isolement, formation intensive et contrôle absolu de l’information.
De Chávez à Maduro : la graine iranienne
Le programme vénézuélien de drones a débuté en 2006, lorsque Hugo Chávez a signé avec l’Iran des accords « civils » pour un montant de 28 millions de dollars (17,2 millions d’euros). Cependant, des documents analysés par Army Recognition montrent que cet accord cachait des transferts de technologie militaire. Téhéran a envoyé des kits du Mohajer-2, un drone de surveillance, et a formé des ingénieurs vénézuéliens.
En 2009, l’entreprise publique CAVIM a présenté l’Arpía-001, une copie locale du Mohajer. Bien que le projet ait été mis en veilleuse pendant la crise de 2014, l’attentat manqué contre M. Maduro à l’aide de drones explosifs en 2018 a relancé les priorités. En 2020, l’Empresa Aeronáutica Nacional (EANSA), une filiale de Conviasa, a été créée, renforçant ainsi la coopération avec Téhéran. Aujourd’hui, le Venezuela produit des modèles de reconnaissance, d’attaque et de kamikaze basés sur les conceptions iraniennes Shahed et Mohajer.
Technologie souveraine ou propagande de Kit ? Le scepticisme s’installe
Malgré le discours officiel sur le « développement technologique souverain », plusieurs analystes de la défense et sources militaires à la retraite avertissent que la portée réelle de ce programme pourrait être plus limitée que ne le suggère le discours pro-Kremlin et chaviste.
Des rapports sur la stratégie militaire affirment que la capacité du Venezuela était, au départ, celle d’un assemblage terminal. L’ensemble du projet dépendait de l’importation de kits, de composants clés et de conseils. Dès le début, le régime chaviste a utilisé ce projet principalement à des fins de propagande et de dissuasion régionale, plutôt que pour une capacité opérationnelle à grande échelle dans le cadre d’une guerre de type ukrainien.
Les responsables occidentaux des services de renseignement affirment en privé que la production massive de drones kamikazes nécessite une base industrielle et une chaîne d’approvisionnement dont le Venezuela ne dispose pas. Le message est clair : le bourdonnement des drones est puissant pour la projection de la puissance interne et régionale, mais leur dépendance critique vis-à-vis de Téhéran et de Moscou souligne les limites réelles de ce qui est assemblé à Maracay.
De l’Ukraine à l’Orénoque : l’expansion de l’axe autoritaire
Le cadre conceptuel qui explique cette expansion s’inscrit dans la « guerre infinie », un paradigme de domination qui utilise des conflits prolongés, asymétriques et technologiques pour affaiblir les démocraties.
Dans ce schéma, le Venezuela sert de plateforme hémisphérique à l’axe autoritaire composé de la Russie, de l’Iran, de la Chine et de la Corée du Nord. Le pays offre des ressources stratégiques (or, pétrole, logistique aérienne) et reçoit en échange une formation, une technologie militaire et un soutien politique.
David Kirichenko, dans son analyse pour The Strategist, a souligné que l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine a accéléré cette convergence technologique. « La Russie et la Chine ont créé un réseau de facilitation technologique pour leurs partenaires autoritaires », écrit-il.
Cette expérience de guerre se répète au Venezuela. Des sources militaires confirment l’arrivée de Mohajer-6 et de missiles Qaem depuis 2020, malgré l’embargo sur les armes imposé par l’ONU. Des analystes du CSIS et du Washington Institute affirment que la Russie a déjà fourni des unités de reconnaissance Orlan-10 et des systèmes de guidage par satellite Kometa-M. Les vols iraniens hebdomadaires détectés entre 2024 et 2025 transportent des pièces électroniques et des conseillers qui opèrent avec « les mêmes manuels et protocoles de production que l’Iran et la Russie utilisent pour les Shahed », selon un analyste de Grey Dynamics.
Les Caraïbes, nouveau front et transfert des enseignements de la guerre
La coopération ne concerne pas seulement la technologie, mais aussi la doctrine militaire et les essais stratégiques. La logique du transfert de connaissances est essentielle : la Corée du Nord apprend des tactiques de drones en Ukraine qu’elle applique ensuite à son armée. Cette même logique se répète au Venezuela.
En septembre 2025, le ministre de la Défense du régime vénézuélien, Vladimir Padrino López, a annoncé le déploiement de 15.000 soldats et de drones de précision près de la frontière avec la Colombie. Les analystes du CSIS interprètent cette action non pas comme une défense, mais comme une « projection » de puissance régionale. « Le message est que Caracas peut frapper sans être frappée », affirme Bill Cole, du Peace Through Strength Institute.
Ce qui se joue dans le ciel vénézuélien n’est pas seulement une course technologique, mais une nouvelle étape de la guerre infinie. Son objectif n’est pas de conquérir des territoires, mais de dominer les perceptions, d’éroder les institutions et de maintenir le conflit vivant. Le Venezuela, dont l’économie s’est effondrée, devient ainsi une expérience parfaite : une plateforme d’essai militaire et politique au service des puissances révisionnistes.
Le ciel bolivarien n’est plus un territoire de paix. Ce qui a commencé comme un programme de surveillance s’est transformé en une infrastructure de guerre transnationale. Le bourdonnement d’un drone au-dessus de Maracay n’annonce pas la défense : il annonce le pouvoir et la dépendance stratégique vis-à-vis des grandes puissances.

Maibort Petit est politologue et chercheuse spécialisée dans la criminalité transnationale organisée et le terrorisme en Amérique latine. Ses travaux portent sur la conception de cadres réglementaires communs renforçant la coopération régionale, le partage de renseignements et la coordination des réponses étatiques aux menaces à la sécurité nationale et continentale. Forte de plus de vingt ans d'expérience, elle a contribué à des forums internationaux sur la gouvernance pénale et la protection des victimes dans des contextes d'emprise institutionnelle.
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