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Le nouveau « bouclier pour la démocratie » de l’UE suscite des inquiétudes sur la liberté d’expression

Bruxelles affirme que ce dispositif doit défendre la démocratie contre la désinformation, mais ses détracteurs redoutent une centralisation du contrôle du récit public et la tentation de considérer toute « dissidence comme un risque réglementaire ».

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Henna Virkkunen, vice présidente exécutive de la Commission européenne chargée de la Souveraineté technologique, de la Sécurité et de la Démocratie, s’adresse à la presse pour présenter le paquet sur la simplification numérique au siège de l’UE, à Bruxelles, le 19 novembre 2025.

Photo: NICOLAS TUCAT/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 14 Min.

Le nouveau « bouclier européen pour la démocratie » de la Commission européenne entend « contrer la manipulation de l’information et la désinformation » et renforcer la résilience démocratique grâce à une « approche de l’ensemble de la société ».
Mais des voix s’élèvent pour avertir qu’en centralisant le contrôle du récit à Bruxelles, l’UE risque de sous‑traiter la liberté de la presse à des structures financées par les pouvoirs publics et de transformer le débat démocratique en un système d’information piloté.
Présenté le 11 novembre, le dispositif a été introduit comme « une série de mesures concrètes destinées à renforcer, protéger et promouvoir des démocraties fortes et résilientes » dans les vingt‑sept États membres du bloc.
Ses partisans affirment que ce « bouclier pour la démocratie » constitue un rempart indispensable contre les ingérences malveillantes étrangères, une réponse attendue de longue date à la Russie et à d’autres régimes autoritaires.

Le « Bouclier »

L’UE soutient que « les régimes autoritaires cherchent à exploiter les divisions, à semer la défiance et à restreindre les acteurs démocratiques que sont les médias libres et la société civile ».
Le « bouclier » doit permettre de « démonétiser la désinformation, en supprimant les revenus publicitaires qui récompensent les contenus mensongers », a déclaré Henna Virkkunen, vice‑présidente exécutive de la Commission européenne pour la Souveraineté technologique, la Sécurité et la Démocratie.
Elle a ajouté qu’« un réseau paneuropéen et indépendant d’analyse » est crucial pour défendre l’intégrité de l’information.
La transformation numérique a ouvert de nouveaux canaux d’expression, mais également « de nouvelles vulnérabilités », a souligné Michael McGrath, commissaire européen à la Démocratie, à la Justice, à l’État de droit et à la Protection des consommateurs.
« La désinformation, la manipulation algorithmique, les pressions financières sur les médias et les outils d’IA menacent désormais notre manière démocratique de vivre », a‑t‑il poursuivi.
Le « bouclier » élargit aussi la capacité de l’UE à faire pression sur les plateformes en ligne, via le Digital Services Act (DSA), déjà en vigueur, afin de les amener à retirer les contenus qui entrent dans ces catégories.
Le plan renforce par ailleurs le rôle de l’UE dans la surveillance des élections et des médias et instaure un mécanisme coordonné de réponse aux crises pour préserver « l’intégrité de l’espace informationnel ».
Pour soutenir ce dispositif, un nouveau réseau européen de vérificateurs de faits doit intervenir dans toutes les langues de l’UE, tandis que l’Observatoire européen des médias numériques verra son action élargie à l’analyse des récits électoraux et des tendances médiatiques.

« Quelle presse peut rester indépendante après avoir touché des millions ? »

Le moteur politique du « bouclier pour la démocratie » est « la peur », estime Antonio Tanger Correa, vice‑président du groupe Patriots for Europe et coordinateur de ce groupe au sein de la commission EDS, interrogé par Epoch Times.
Patriots for Europe est une alliance conservatrice et le troisième groupe en importance au Parlement européen.
M. Correa reconnaît qu’il existe « de la désinformation » et des « fake news sur les réseaux sociaux », mais il voit à Bruxelles une inquiétude croissante de perdre le contrôle du récit face à des médias qu’elle ne subventionne pas.
« Enfin, quelle presse peut rester indépendante après avoir touché des millions ? », lance‑t‑il.
« Bien sûr, nous savons ce qu’ils cherchent à faire, mais ils perdent du terrain », ajoute‑t‑il.
Certains médias continuent de gagner du terrain parce « qu’ils ne trompent pas le public. (…) Ce sont des gens vraiment honnêtes, et c’est cela qui les effraie », poursuit M. Correa, également vice‑président de Chega, deuxième parti politique du Portugal.

« Des frontières guidées par l’État »

Une telle « extension du pouvoir institutionnel suscite de sérieuses inquiétudes quant aux dérives de l’appareil et à l’érosion du pluralisme », alerte Adina Portaru, conseillère juridique principale pour l’Europe au sein d’ADF International, une organisation de défense des libertés de conscience basée aux États‑Unis et présente à Bruxelles.
Selon elle, la proposition de la Commission étend considérablement la capacité de l’UE à « façonner, superviser et encadrer les récits publics et les flux d’information en ligne, le tout au nom de la défense de la démocratie ».
Sous cette bannière, ajoute Mme Portaru, la Commission « se dote en pratique d’instruments très larges pour influer sur la parole publique, réguler les écosystèmes technologiques et orienter le débat démocratique ».
« Ces dispositifs imbriqués finiront par rogner les libertés fondamentales en normalisant des frontières, guidées par l’État, autour de l’expression politique et en traitant la dissidence comme un risque réglementaire plutôt que comme une nécessité démocratique », juge‑t‑elle.

Pressions venues des États‑Unis

L’avocat américain Preston Byrne explique à Epoch Times qu’à ses yeux, les lois européennes musellent la liberté d’expression.
« Le bouclier pour la démocratie de l’UE violera les droits garantis par le premier amendement aux citoyens et aux entreprises américaines en ligne », estime‑t‑il dans un courriel.
M. Byrne travaille avec des entreprises américaines qui ont reçu des courriers d’Ofcom, le régulateur britannique chargé de l’application de l’Online Safety Act (OSA).
L’OSA a déjà conféré aux régulateurs des pouvoirs étendus pour contraindre les plateformes à supprimer des contenus jugés nuisibles, tandis que l’UE poursuit un modèle similaire, à l’échelle continentale, avec le DSA.
L’administration Trump a laissé entendre que l’approche bruxelloise du contrôle de la parole en ligne est « incompatible » avec la tradition américaine en matière de liberté d’expression.
« Je suis convaincu qu’ils vont y injecter des centaines de millions de dollars, tout comme Ofcom a dépensé des centaines de millions pour mettre sur pied l’appareil de mise en œuvre de l’Online Safety Act », estime M. Byrne.
Selon lui, il est possible de stopper le « bouclier pour la démocratie à la frontière américaine pour un coût de 0 dollar ».
L’avocat indique avoir soumis aux législateurs du New Hampshire un projet de loi qui pourrait servir de « modèle à une contre‑offensive américaine contre la censure globale, s’il était adapté au niveau fédéral ».
« Si la loi GRANITE, que nous déployons actuellement au niveau des États, est reprise et adoptée au niveau fédéral, nous pourrons infliger des sanctions financières lourdes aux gouvernements européens s’ils tentent d’étendre le champ d’application du “bouclier” jusqu’aux États‑Unis. Rien n’indique pour l’instant qu’une action fédérale soit imminente, mais je suis optimiste : une mobilisation des États pourrait l’y pousser », avance‑t‑il.

Financement

Une grande partie de l’expertise mobilisée pour façonner ce « bouclier » provient d’ONG largement tributaires des subsides européens.
Ainsi, le consortium Media Freedom Rapid Response a salué le fait que le dispositif mette l’accent sur la liberté et l’indépendance des médias, la lutte contre la désinformation et la promotion d’« écosystèmes informationnels plus sains » pour protéger les valeurs et la sécurité européennes. Ce consortium est cofinancé par l’UE.
En avril, Transparency International EU a pressé les institutions européennes d’utiliser le « bouclier » pour protéger le continent de « la Russie de Poutine, de l’administration Trump — ainsi que des forces internes qui cherchent à démanteler les principes démocratiques ». L’organisation est elle‑même financée par l’UE.
La Democracy for Transition Coalition, une coalition d’organisations actives sur les questions démocratiques et environnementales, et co‑coordonnée par le Bureau européen de l’environnement (EEB), a estimé en mai que le « bouclier » devait s’accompagner de garanties solides, tout en assurant que « la protection ne suffit pas à elle seule ». L’EEB indique pour sa part être « financé par l’Union européenne ».

Les vérificateurs de faits

L’UE prévoit la création d’un « réseau européen indépendant de vérificateurs de faits », destiné à renforcer les capacités de fact‑checking dans toutes les langues officielles du bloc.
Les organisations qui composeront ou piloteront ce réseau n’ont toutefois pas encore été rendues publiques.
En 2022 et 2023, des structures de vérification des faits financées par l’UE ont rédigé le cadre de référence définissant ce qui relève d’un journalisme de vérification « indépendant », un standard appelé à s’imposer désormais à l’ensemble de la sphère informationnelle européenne.
Dans le cadre du European Fact‑Checking Standards Project, AFP Fact Check — considérée par AllSides comme orientée à gauche — a travaillé aux côtés de l’allemande Correctiv.org et de l’espagnole Maldita.es, qui avaient toutes deux présenté la thèse d’une fuite de laboratoire pour le Covid comme une « supercherie ».

Un « réseau d’influenceurs »

« Ce dispositif crée un système dans lequel l’UE influe sur la définition de ce qui est crédible et sur les informations jugées souhaitables », dénonce la députée européenne Christine Anderson, élue de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), formation conservatrice, dans un courriel adressé à Epoch Times.
« Les institutions européennes ne doivent pas agir ainsi, car une sphère publique contrôlée de cette manière est incompatible avec une société pluraliste. Je trouve tout à fait incompréhensible que la Commission ait même pu imaginer bâtir un réseau d’influenceurs chargé de diffuser ses propres récits », poursuit‑elle.
Selon elle, une société civile « qui vit de l’argent des responsables politiques ne peut plus exercer un véritable contre‑pouvoir ; cela évoque davantage la Chine qu’une démocratie libérale ».
« La démocratie n’a pas besoin de gardiens subventionnés, mais de citoyens informés. Ceux qui prétendent protéger la démocratie contre la critique et les récits dissidents la fragilisent », conclut Mme Anderson.

Techniques de manipulation en ligne

Epoch Times a interrogé la Commission européenne sur les garde‑fous démocratiques susceptibles d’empêcher le Centre de surveillance d’étendre son champ de compétences à une police générale du discours politique.
Le journal a également demandé comment, dans l’hypothèse où ces conseillers issus des ONG seraient financés par l’UE, la Commission entendrait garantir l’équilibre idéologique et l’inclusion de voix critiques au sein du dispositif.
Une porte‑parole de la Commission a répondu à Epoch Times par courriel que « renforcer l’intégrité de l’espace informationnel est un élément essentiel de la protection de droits tels que la liberté d’expression ».
Elle a affirmé que les citoyens « doivent pouvoir accéder à un espace d’information fiable et digne de confiance, et y participer, sans ingérences ».
« Les individus, les acteurs politiques, médiatiques ou autres ont le droit de s’exprimer librement, y compris d’une manière que certains peuvent juger choquante ou perturbatrice », a‑t‑elle ajouté.
Elle a toutefois relevé qu’on assiste, dans le même temps, à une « prolifération des techniques de manipulation en ligne », depuis l’usage « inauthentique » de robots ou de faux comptes jusqu’aux sites qui imitent des sources officielles, en passant par les deepfakes et l’amplification artificielle de certains contenus.
« C’est là que se concentre l’effort : sur les campagnes organisées, menées par des acteurs hostiles qui cherchent à manipuler l’information et à façonner l’opinion pour s’immiscer dans la vie démocratique et les processus électoraux de l’UE et de son voisinage », précise‑t‑elle.
Le consortium Media Freedom Rapid Response, Transparency International EU et le Bureau européen de l’environnement (EEB) n’ont pas répondu aux demandes de commentaires d’Epoch Times.
Owen Evans est un journaliste britannique qui couvre un large éventail de sujets nationaux, avec un intérêt particulier pour les libertés civiles et la liberté d'expression.

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