Le risque de voir le marché européen inondé de produits chinois

Par Germain de Lupiac
28 avril 2025 17:04 Mis à jour: 28 avril 2025 18:45

La redéfinition des tarifs douaniers des États-Unis pourrait engendrer des turbulences sur les flux de marchandises mondiaux, au risque, pour l’Europe, de voir son marché inondé de produits chinois.

En Europe, une question se pose : où seront écoulés les stocks de biens chinois jusqu’ici destinés au marché américain ? Alors que Donald Trump a modéré la mise en place des nouveaux tarifs douaniers envers tous les pays excepté la Chine, il engage un bras de fer commercial inédit contre le régime chinois, avec qui les États-Unis ont la balance commerciale la plus déficitaire. Désormais, Pékin voit ses produits surtaxés à hauteur de 145 % à l’entrée des États-Unis, ce qui pourrait la tenter d’écouler encore davantage ses produits à prix cassé en Europe.

Le gouvernement français prévoit de dévoiler le 29 avril des « mesures concrètes » et d’en appeler à la responsabilité des consommateurs pour répondre aux flux de colis en provenance de Chine et émanant notamment des plateformes de « fast fashion » Shein ou Temu.

La Commission européenne avait déjà indiqué précédemment qu’environ 4,6 milliards d’envois de faible valeur, à 91 % en provenance de Chine, sont entrés sur le marché européen en 2024 – soit plus de 145 chaque seconde – où ils bénéficient d’une exonération de taxe douanière. En France, ce sont 800 millions de colis d’une valeur inférieure à 150 euros qui ont été livrés l’an dernier sur un total de 1,5 milliard de colis, selon Bercy.

Dans un contexte de redéfinition des flux commerciaux qui fait craindre un « risque de déport des flux chinois vers des territoires européens, notamment la France », l’objectif de Bercy est de « mettre la focale sur la question de la régulation des plateformes », plutôt que sur la remise en question des exonérations de taxes sur les colis chinois.

Le risque de voir le marché européen inondé de produits industriels chinois

Confrontée aux nouveaux tarifs américains, la Chine pourrait tenter d’écouler son trop plein de marchandises en Europe, quitte à brader les prix, et donc menacer davantage l’appareil industriel européen, dont de nombreux secteurs sont déjà mis à mal notamment par une concurrence chinoise déloyale.

« Ce tournant pourrait engendrer de nouvelles routes commerciales et une chaîne d’approvisionnement plus complexe », affirme Daniela Sabin Hathorn, analyste chez Capital.com, qui estime que les entreprises pourraient « commencer à dérouter les biens chinois » pour contourner les droits de douane aux États-Unis.

Un risque pour l’industrie européenne relevé par Emmanuel Macron. Le président français a appelé à « prendre en compte évidemment les conséquences indirectes » des décisions de Donald Trump, « parce que les tarifs sont massifs sur la Chine ». Cela « va créer des risques de potentiel déport de certains de ces produits et biens qui va impacter très clairement nos économies et l’équilibre de certaines filières et de nos marchés », a-t-il averti. Le chef de l’État a également alerté sur la nécessité pour l’Union européenne de se protéger « des flux de pays tiers », en particulier la Chine.

« Il y aura aussi des effets de compensation », tempère Aurélien Saussay, professeur d’économie à la London School of Economics, qui souligne que les droits de douane décidés par Donald Trump « donnent un avantage à l’Union européenne vis-à-vis de la Chine pour exporter aux États-Unis ».

Reste que les droits de douane imposés à la Chine vont de facto « créer une pression concurrentielle accrue pour l’industrie européenne, en particulier dans les secteurs où les marges sont déjà serrées », explique Anaïs Voy-Gillis, géographe et spécialiste des questions industrielles.

En particulier, « la sidérurgie européenne, déjà en difficulté », pourrait être encore « fragilisée ». « Les panneaux solaires, où la Chine domine la production mondiale, […] l’acier et l’aluminium » seront exposés, ajoute-t-elle. Le ministre français de l’Industrie, Marc Ferracci, estime aussi que « la chimie de base » et « les pièces automobiles » seront touchées.

Industriels et patronat appellent, eux, l’Europe à agir pour rester compétitive, notamment « autour de la politique de l’offre » et de « la simplification de la réglementation », insistait Alexandre Saubot, président de France Industrie, à la sortie de la réunion organisée à l’Élysée, le 3 avril.

Les petits colis de Shein et Temu risquent de déferler encore davantage sur l’Europe

Méfiants mais clients, les Français achètent massivement sur Temu et Shein, les géants asiatiques de l’e-commerce dont l’essor fulgurant est soutenu par une mesure douanière les favorisant, décriée par les commerçants européens et à laquelle Donald Trump vient de mettre un coup de rabot.

Aujourd’hui en France, les grandes plateformes asiatiques représentent 22 % des colis acheminés par La Poste, selon le patron du groupe public français, Philippe Wahl, alors qu’elles pesaient « moins de 5 % il y a cinq ans ».

Même tendance exponentielle en Europe où en 2024, environ 4,6 milliards d’envois de faible valeur (à 91 % en provenance de Chine) sont entrés sur le marché, un chiffre qui a doublé par rapport à 2023 et triplé par rapport à 2022, selon la Commission européenne.

Le nerf de la guerre réside dans ces quelques mots : « de faible valeur », soit moins de 150 euros, seuil en dessous duquel les paquets envoyés depuis un pays tiers dans l’Union européenne échappent aux taxes douanières.

Une exonération qui date de 2010, issue d’un texte visant la « fluidité douanière » et introduisant la notion de « valeur négligeable », soit 150 euros, selon Isabelle Feng, juriste et chercheuse à l’Université Libre de Bruxelles et Asia Centre. Mais pointant notamment des risques d’importation « de produits dangereux » et une empreinte environnementale non négligeable sur de tels volumes, la Commission européenne a appelé en février à supprimer cette franchise.

Le commerce international n’a effectivement « plus le même visage », abonde Mme Feng, notamment depuis que la Chine exporte ses produits « directement chez les consommateurs ».

La réponse immédiate des États-Unis

Le président américain Donald Trump a signé le 8 avril un décret multipliant par trois les droits de douane sur les petits colis envoyés de Chine.

Dans le cadre du relèvement très fort des droits de douanes imposés aux marchandises chinoises, le président américain a aussi relevé ces droits de douanes sur les petits colis qui doivent s’appliquer à partir du 2 mai.

Donald Trump a annulé l’exemption de droits de douane dont bénéficiaient ces colis d’une valeur maximale de 800 dollars. Les États-Unis augmenteront le taux de 30 à 90 % et le plancher de 25 à 75 dollars.

Une Europe trop lente à décider 

L’exonération de droits de douane sur les colis chinois est un avantage « injustifié » et « anachronique » qui crée une « concurrence totalement inéquitable », dénonce Marc Lolivier, délégué général de la Fédération de l’e-commerce (Fevad).

« On est surpris du peu de réaction des autorités françaises et européennes. On a l’impression que chacune se cache derrière l’autre. Résultat: il ne se passe rien », s’étonne de son côté Pierre Bosche, le président de la Confédération des commerçants de France, auprès de l’AFP.

« Si Trump peut prendre des décisions en trois jours, on imagine que la Commission européenne peut le faire en moins de trois ans », s’impatiente également Pierre-François Le Louët, co-président de l’Union Française des Industries Mode-Habillement.

L’Europe propose bien une révision du code douanier mais « ça va mettre dix ans », s’agace Yves Audo, président du Conseil du Commerce de France. Or, la situation est d’autant plus urgente que « le marché américain va devenir compliqué pour la Chine », estime Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du Commerce. Le spécialiste craint un report encore plus massif de colis chinois sur l’Europe.

Shein et Temu, « l’emblème de la mode qui détruit l’environnement et les droits humains »

Shein, application fondée en Chine en 2012, est considérée comme un emblème des dérives sociales et environnementales de la mode à petits prix. Temu est la filiale occidentale de Pinduoduo, l’une des plus grandes plateformes d’achat en ligne de Chine.

Selon un rapport du Congrès des États-Unis, intitulé « Fast Fashion et génocide des Ouïghours : Conclusions provisoires », publié en juin 2023, Temu et Shein sont accusées d’avoir exposé les consommateurs à des produits fabriqués en Chine dans des camps de travaux forcés, dans leurs chaînes d’approvisionnement en coton en Chine.

En novembre 2023, des députés français ont dénoncé les pratiques de l’entreprise chinoise de « fast fashion », qu’ils accusent d’être « l’emblème de la mode qui détruit l’environnement et les droits humains », après avoir engagé une procédure à son encontre.

« Chaque fois que l’on crée des objets jetables, on crée des êtres humains jetables », a déclaré le député PS Dominique Potier.

Temu « respecte strictement l’ensemble des lois et réglementations applicables sur les marchés où la plateforme est présente », a réagi la plateforme d’e-commerce.

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