ARTS ET CULTURE

Les 12 travaux d’Hercule, ou le mythe de l’indestructible virilité

décembre 8, 2021 8:53, Last Updated: juin 27, 2022 21:13
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La virilité mise à mal

Cela ne fait aucun doute, certaines tranches de la société s’attaquent au rôle traditionnel des hommes. À travers certaines publicités, la virilité est dépréciée, tandis que des magazines masculins populaires se plaisent à rendre les hommes toujours plus efféminés. Le discrédit de la virilité progresse sans cesse. Existe-t-il un modèle, un héros pour racheter l’archétype masculin, tenu pour oppressif, tyrannique ou néfaste ?

Un personnage répond à l’appel : Héraclès, le demi-dieu. Selon la légende grecque, en allant au-devant de sa part d’obscurité, Héraclès trouve la rédemption.

(karamysh/Shutterstock)

Bien souvent, le questionnement des soldats de la Grèce antique s’avère toujours d’actualité. Ainsi, les mythes grecs offrent des réponses aux hommes d’aujourd’hui, selon le professeur Lawrence Alison, spécialiste du stress post-traumatique d’anciens militaires ou agents des forces de l’ordre.

« L’idée était qu’à travers les récits, les mythes, les légendes, etc., nous pouvions aborder les sujets difficiles et les analyser », explique-t-il en présentant son récit des Travaux d’Héraclès. Ces mythes peuvent nous permettre de « mieux comprendre les systèmes de valeurs, croyances et fonctionnements de la pensée ».

Les soldats (hommes et femmes) qu’aide le spécialiste, ont vu les champs de bataille, ont été confrontés à différents types de criminels, connaissent de première main les effets d’un environnement délétère. La guerre elle-même n’est-elle pas un euphémisme illustrant la malignité intrinsèque de l’homme ? À l’instar des Grecs, M. Alison utilise le mythe comme thérapie cathartique.

Tout en offrant de l’espoir aux anciens combattants qui font face au stress post-traumatique, Héraclès pourrait-il racheter la virilité elle-même ?

La clé se trouve dans l’« expiation ».

Pourquoi Héraclès cherche-t-il l’expiation ?

Né mi-mortel, mi-dieu, Héraclès est le fils illégitime de Zeus, le roi des dieux. Enfant, il est victime de la colère d’Héra, l’épouse de Zeus, qui le maudit en utilisant ses pouvoirs pour le faire entrer dans une folie meurtrière. Et le voilà tuant sa propre femme et ses enfants qu’il prend pour des bêtes sauvages. Il devra expier désormais cet acte de violence.

« Héraclès a tout perdu », écrit M. Alison. « Dans son deuil, sa honte, sa culpabilité, son dégoût de soi et sa volonté de rechercher sa propre mort, il est au plus bas. » Notre héros, à ce moment-là symbole de la « virilité néfaste », doit dépasser la damnation. Rongé par le remords, en quête de sagesse et de rédemption, il se rend au temple d’Apollon pour consulter la pythie de Delphes qui l’oriente sur la voie des douze travaux.

(Hoika Mikhail/Shutterstock)

Le lion de Némée et autres bêtes

Les bêtes qu’Héraclès affronte, à commencer par le lion de Némée lors de son premier travail, sont un thème récurrent du mythe – s’ensuivent l’hydre, le sanglier d’Érymanthe et le taureau de Crète. Héraclès les maîtrise tous grâce à sa « puissance et sa taille surhumaines ».

Toutefois, la « force brute » d’Héraclès se révèle bientôt insuffisante à mesure que les travaux deviennent plus complexes. Le recours à la force seule devient préjudiciable, et le manque d’esprit et d’altruisme peut entraîner de lourdes conséquences.

Le soutien des divinités

L’obtention d’une aide divine est un autre thème récurrent.

Pour sa troisième épreuve, Héraclès doit capturer la biche de Cérynie. Il s’agit de la biche sacrée de la déesse Artémis, c’est pourquoi après avoir mis un an pour réussir à l’attraper sans la blesser, Héraclès « s’agenouille devant la déesse » pour lui demander la permission de l’emmener. Celle-ci accepte, à condition qu’elle lui soit retournée.

Pour sa sixième mission, Héraclès doit exterminer les oiseaux du lac de Stymphale, des oiseaux monstrueux, mangeurs de chair à becs d’airain, élevés par Arès, le dieu de la guerre. « Héraclès est aidé par Athéna, déesse de la sagesse. Elle voit tout ce qu’Héraclès a dû endurer pour mériter son expiation. » Celle-ci lui offre des cymbales qui lui permettront de disperser les oiseaux et de les abattre avec ses flèches empoisonnées. Dans une certaine mesure, cette épreuve symbolise l’apaisement des conflits intérieurs.

(Hoika Mikhail/Shutterstock)

La part obscure d’Héraclès

Le héros est régulièrement aidé dans ses tâches par des proches – qui en paient parfois le prix de leurs propres vies.

Lors du deuxième travail, le neveu d’Héraclès, Iolaos, l’aide à vaincre l’Hydre.

Pour le quatrième travail, le centaure Chiron souhaite également assister Héraclès, mais avant l’épreuve, un conflit éclate entre le fils de Zeus et les centaures. Pour se défendre Héraclès commence à décocher ses flèches, trempées dans le sang de l’Hydre (un poison mortel) qu’il a vaincu lors de sa deuxième épreuve. Chiron se rallie à sa cause, mais une des flèches d’Héraclès le touche au genou et provoque une douleur telle que le centaure choisit de céder son immortalité et s’éteint.

D’autres décès suivent et hantent Héraclès. Lors de sa dixième épreuve, il doit se rendre très loin de la Grèce pour affronter le monstre Géryon et lui voler son troupeau. « De nombreuses voix désincarnées l’accompagnent le long du chemin », écrit M. Alison, cherchant soit « à l’écraser, soit à le soutenir ».

Régulièrement, le héros est confronté aux répercussions mortelles de ses actes. Elles représentent les forces adverses latentes qu’il doit trouver en lui-même et éliminer.

La tournant d’Héraclès

Selon M. Alison, le cinquième travail d’Héraclès, le nettoyage des écuries d’Augias, était souvent considéré par les Grecs de l’Antiquité comme l’épreuve de la transformation, du tournant, et ce pour deux raisons :

D’abord, parce qu’Héraclès associe enfin l’esprit à la force. Il déplace deux énormes rochers pour détourner le Pénée et l’Alphée, deux rivières, qui, déviées de leur cours naturel, lui permettent de nettoyer les écuries d’Augias, dont le fumier n’a plus été retiré depuis 30 ans. Ainsi, c’est en ayant élaboré une stratégie qu’il parvient à purifier les écuries en un jour seulement, ainsi que l’exigent les termes de l’épreuve.

Deuxièmement, durant cette épreuve, il rend service à la population locale sans l’avoir vraiment recherché, ce qui indique que son énergie commence à se transmuer. « Non seulement les écuries sont propres, mais les agriculteurs sous [les écuries] voient 30 ans d’engrais arroser les collines », explique M. Alison. La force, conjuguée à l’intelligence et à l’altruisme, porte des fruits bénéfiques.

(Hoika Mikhail/Shutterstock)

Confiance excessive et présomption

Mais le héros ne peut se reposer sur ses lauriers. Les derniers travaux sont conçus pour donner à Héraclès un faux sentiment de confiance et le piéger. Son septième travail revient à la force brute : il doit dominer le taureau crétois. Il le prendra littéralement « par les cornes » avant de l’enchaîner.

Son neuvième travail paraît excessivement simple. Mais, conduit par le désir, Héraclès entraînera ses hommes vers la mort dans un piège tendu par Héra. Sa mission consiste à devoir ramener la ceinture d’Hippolyte, la reine des Amazones. Cette ceinture confère à la guerrière l’invulnérabilité au combat. Très vite, Héraclès et Hippolyte s’entendent parfaitement et l’Amazone lui offre de bon cœur l’artefact convoité. À peine lui offre-t-elle sa ceinture que se referme le piège tendu par Héra. En effet, tandis que le héros savoure les joies d’une nouvelle amitié, assuré de pouvoir remplir cette mission sans difficulté, Héra, déguisée en Amazone incite les autres guerrières à se soulever grâce à ses mensonges sur les intentions réelles d’Héraclès. Soudainement, les Amazones massacrent les compagnons d’Héraclès. Croyant à une ruse d’Hyppolite, Héraclès tue la reine dans sa colère, sans difficulté puisque celle-ci vient de lui offrir sa ceinture. Finalement, c’est désabusé et perplexe qu’Hercule remporte cette épreuve.

La perfidie

Durant son huitième travail, consistant à récupérer les juments de Diomède, la présomption démesurée d’Héraclès s’était déjà retournée contre lui.

Diomède règne sur les Bistoniens, en Thrace. Ses juments lancent des flammes par les naseaux et se nourrissent de chair humaine. Les voyageurs qui échouent par malheur sur les rivages de son royaume servent de repas à ses bestiaux. Héraclès se rend sur l’île accompagné du jeune Abdéros auquel il tient énormément. Une fois débarqués, le héros et son ami se rendent discrètement auprès des juments et tentent de les enlever. Mais les juments font un énorme tapage qui met le roi Diomède en alerte. Accompagné de ses soldats, il surprend alors Héraclès. Au héros de combattre le roi et son bataillon, laissant Abdéros garder les juments. Mais Abdéros, inconscient du danger, se rapproche des juments qu’il considère comme de simples chevaux et se fait dévorer. Bien qu’Héraclès arrive finalement à battre son adversaire, c’est au prix de la mort de son ami. Une autre leçon difficile pour lui.

(Hoika Mikhail/Shutterstock)

Le héros accompli

Dans son dixième travail, les amis défunts d’Héraclès viennent tourmenter son âme, mais leur disparition n’a pas été vaine : dans ses onzième et douzième travaux, notre personnage présente finalement les caractéristiques d’un héros accompli.

Dans le onzième travail, Héraclès doit récupérer les pommes d’or du jardin des Hespérides (les filles de Nyx, la nuit). Sur le conseil de Prométhée, il fait appel au Titan Atlas, qui soutient la voûte céleste. Ainsi vient-il proposer au Titan de soutenir le ciel à sa place, le temps que celui-ci aille recueillir les fruits divins pour lui. Atlas voit ici une occasion de lui laisser son lourd fardeau. Aussi accepte-t-il la proposition, part chercher les pommes, puis revient. À son retour cependant, il refuse catégoriquement de porter à nouveau la voûte céleste.  Bien qu’il se soit fait piéger et qu’il soit à bout de forces, Héraclès ne s’emporte pas. Le héros qui s’illustrait jusque-là par son tempérament colérique, reste calme, et tempéré. Il prétend accepter son nouveau fardeau, mais requiert avec douceur un dernier service. Ainsi demande-t-il à Atlas de soutenir le ciel pour un instant seulement, afin qu’il puisse arranger sa peau de lion sur ses épaules et reprendre la tâche plus commodément. Le Titan accepte. À peine reprend-il le ciel, qu’Héraclès l’abandonne en emportant les pommes d’or. Par la maîtrise de soi, il est parvenu à retourner le piège du Titan.

Le douzième et dernier travail d’Héraclès est le plus difficile. Le héros doit descendre jusque dans l’Érèbe pour récupérer Cerbère, le chien tricéphale qui garde l’entrée du royaume des morts. C’est « peut-être son moment le plus significatif dans la mesure où il boucle la boucle », écrit M. Alison. Non sans peine, parvient-il sous terre, obtient l’autorisation d’Hadès, le dieu des Enfers, de combattre l’animal à mains nues et de l’emmener provisoirement. Il y réussit au prix d’une grande détermination. Ce face à face avec un animal monstrueux n’est pas sans rappeler son premier travail, son combat avec le lion de Némée. « Il est intéressant d’apprécier le chemin parcouru en comparant ce [dernier] travail au premier. » Sans violence, Héraclès tient fermement la bête jusqu’à ce qu’elle se calme. Il supporte les blessures et finit par se lier d’amitié avec le chien en lui donnant une tape sur la tête.

Conclusion

Comme pour Héraclès, la tyrannie existe en chacun de nous. La question qui se pose aux hommes est la suivante : peuvent-ils faire face à leur « part obscure », à la « souffrance qu’il inflige aux autres », et révéler des traits de caractère à la fois virils et admirables ? Des traits de caractère guidés par la raison et l’altruisme ?

Les valeurs de la civilisation occidentale se transmettent à travers les mythes et légendes dont les racines remontent à la nuit des temps. Des philosophes grecs au code chevaleresque médiéval, la virilité a toujours été mise en relation avec une quête de l’« expiation », et par là avec la notion de dépassement de soi. La spiritualité et une recherche de nature sacrée étant souvent au cœur de cette démarche.

Les 12 travaux d’Héraclès symbolisent la victoire de l’archétype masculin, et invitent tous les hommes à accomplir leurs travaux, à affronter leur destin et à puiser dans leur virilité le meilleur d’eux-mêmes.


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