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Les gangs brésiliens deviennent trop puissants : il faut agir maintenant, préviennent des experts

« L’impact sur les États-Unis, je le qualifierais d’indirect, mais il est significatif », a indiqué un ancien enquêteur de la Sécurité intérieure américaine.

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Des habitants récupèrent des corps retrouvés dans les bois du quartier de Penha, au lendemain d’une vaste opération de police anti-gang menée au Complexo da Penha et dans les favelas d’Alemão, le 29 octobre 2025 à Rio de Janeiro, Brésil.

Photo: Wagner Meier/Getty Images

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Durée de lecture: 12 Min.

La police de Rio de Janeiro vient de réaliser une opération dans les quartiers d’Alemão et de Penha, deux favelas réputées être sous la coupe du Comando Vermelho (CV), un gang particulièrement influent.
La descente des forces de l’ordre a déclenché des combats violents avec le gang lourdement armé, causant la mort de 121 personnes, dont au moins quatre policiers.
Les favelas désignent des quartiers défavorisés, caractérisés par une population dense et des habitations précaires, bâtis pour l’essentiel à flanc de colline à Rio, deuxième plus grande ville du Brésil.
Le 28 août, la police et le fisc brésiliens ont saisi 1,2 milliard de réais (220 millions $) d’actifs présumés appartenir à un autre poids lourd du crime organisé : le Primeiro Comando da Capital (PCC), basé à São Paulo.
« Il s’agit certes d’une saisie conséquente, mais ce n’est qu’une fraction des recettes du PCC », précise Fergus Hodgson, éditorialiste à l’Impunity Observer et auteur de « The Latin America Red Pill ».
« C’est une organisation sophistiquée qui collabore avec certaines des entités terroristes les plus influentes au monde. »
Le CV et le PCC ont pris un essor inquiétant ces dernières années, étendant désormais leur influence jusqu’aux États-Unis.
« On assiste à du blanchiment d’argent aux États-Unis, et à des routes de la drogue qui ont un impact indirect mais majeur sur ce pays », juge Jim Weber, ex-enquêteur en stupéfiants au département de la Sécurité intérieure et fondateur du cabinet Streetwise Consulting à St. Louis.
« C’est notable, car les opérations brésiliennes pèsent sur les prix mondiaux des drogues. »

Des profits « énormes »

Edson Gomes, responsable de Submundo Criminal, média spécialisé dans le crime organisé, explique que les groupes criminels brésiliens élargissent leurs activités bien au-delà du simple trafic de drogue. M. Gomes utilise un pseudonyme pour préserver sa sécurité.
Selon lui, des gangs comme le CV et le PPC s’attribuent des secteurs autrefois réservés aux milicias — groupes de policiers ripoux — comme l’extorsion des commerçants ou des habitants des favelas, ainsi que l’exploitation de services d’eau, de gaz et d’internet.
Pedro de Souza Mesquita, cadre de l’agence de renseignement brésilienne, a expliqué devant une commission parlementaire, le 6 novembre, que le CV intervenait dans l’ensemble des conflits entre factions criminelles du pays.
« Ceci démontre que les groupes comme le CV grossissent, exploitent de nouvelles formes de délinquance et s’immiscent dans différents pans de la société », insiste M. Gomes.
Depuis 2008, les Unités de Police de Pacification (Unidades de Polícia Pacificadora) sont envoyées dans les favelas de Rio pour tenter d’en déloger les gangs.
Mais M. Mesquita a souligné que ces efforts ont eu pour effet inattendu de pousser les chefs du CV à migrer ailleurs, développant ainsi l’influence de leur groupe sur tout le territoire.
« Les organisations comme Comando Vermelho se montrent agressives, sophistiquées et particulièrement bien armées », constate M. Hodgson.
« Leur prospérité sur les marchés parallèles leur donne de solides motivations pour défendre leurs intérêts. »

Actifs dans la zone des trois frontières

M. Hodgson ajoute que des groupes comme le PCC multiplient les sources de profit, notamment via la contrebande dans la zone frontalière entre l’Argentine et le Paraguay.
Le Département d’État américain a fait savoir en mai dernier qu’il recherchait toute information susceptible de « perturber les mécanismes financiers » du Hezbollah, groupe terroriste soutenu par l’Iran, à l’œuvre dans cette zone des trois frontières.
Le PCC serait aussi responsable, selon l’ex-ministre paraguayen de l’Intérieur Lorenzo Lezcano, d’un spectaculaire braquage, en avril 2017 dans la ville de Ciudad del Este, où près de 80 malfaiteurs lourdement armés ont dérobé jusqu’à 40 millions $.
M. Weber estime que les gangs ne sont pas invincibles, mais qu’ils sont dans une dynamique ascendante.
Ils sembleraient vouloir imiter les cartels mexicains tels que Sinaloa ou le CJNG, récemment classés comme organisations terroristes étrangères par le Département d’État américain.
La dernière note de l’agence anti-drogue américaine publiée en juillet indique que la cocaïne brésilienne provient principalement du Pérou, puis de la Bolivie.
CV et PCC semblent « infiniment puissants », mais seulement dans certaines régions du Brésil, nuance-t-il.
Il prévient : les Brésiliens doivent agir tant qu’il est encore temps, avant que les gangs ne deviennent incontrôlables.
« Regardez Pablo Escobar. Il a débuté modestement, puis a fait grossir son réseau, étendu ses activités criminelles, augmenté ses connexions… et la police n’a pas agi en temps voulu. »
Les forces de l’ordre, et notamment la BOPE (Brigade d’Opérations Spéciales de la police), « tentent de maîtriser la situation pour éviter qu’elle ne devienne incontrôlable dans tout le pays ».
M. Gomes précise que les gangs règnent par la terreur dans les favelas, masquant parfois leurs méfaits derrière des actes de générosité apparente, comme des distributions de jouets pour la fête des enfants ou à d’autres occasions.
« Récemment, un ami m’a signalé qu’une guerre opposait dans sa favela à Rio des groupes rivaux. »
« Il craignait de rentrer tard chez lui, car les membres des gangs surveillent tout le monde, allant jusqu’à fouiller les téléphones des habitants, de peur que certains ne collaborent avec leurs adversaires. »
« De nombreux résidents sont contraints de laisser leur porte ouverte pour que les truands s’y réfugient lors des opérations policières. »

Assassinat retentissant à l’aéroport

En novembre 2024, l’homme d’affaires Antonio Vinicius Lopes Gritzbach, 38 ans, a été abattu devant l’aéroport international de São Paulo, la plus grosse ville du pays.
On a découvert plus tard que M. Gritzbach était membre du PCC et qu’il coopérait avec la police, dénonçant des réseaux de blanchiment et la corruption de plusieurs policiers.
« Il portait ce risque depuis des années mais n’a rien changé à ses habitudes… et il l’a payé de sa vie », résume M. Gomes.
Plusieurs policiers impliqués auraient mené une double vie, entretenant des liens à la fois avec M. Gritzbach et ses bourreaux.
La complicité de policiers corrompus est, selon M. Gomes, l’une des clés de la croissance du PCC ces dernières années.
M. Hodgson considère que la mort de M. Gritzbach « a levé le voile sur les associations police-crime », qui étaient depuis longtemps soupçonnées.
Dans son rapport de mars, le média Globo a dévoilé l’inculpation de plusieurs policiers pour ce meurtre, dont Denis Antonio Martins (caporal), Fernando Genauro (lieutenant) et Ruan Silva Rodrigues (militaire).
Il n’existerait aucune preuve de corruption généralisée dans la police ou le gouvernement brésilien, tempère M. Weber. Mais « soyons honnêtes : c’est ainsi que procèdent ces organisations ».
« Elles repèrent des membres des forces de l’ordre susceptibles de leur être utiles. La police est souvent mal payée, alors que les gangs brassent énormément d’argent. Ils offrent des incitations financières à leurs informateurs. »
CV, PCC et deux autres groupes – Terceiro Comando et Amigos dos Amigos – sont solidement enracinés au Brésil.

Des gangs nés en prison

Dans les années 1970, le CV a été fondé sous le nom Falange Vermelha par des prisonniers politiques de gauche, sous la dictature militaire.
Son leader Eduino Eustaquio de Araujo, alias Dudu da Rocinha, l’a transformé en organisation criminelle pure avant d’être assassiné en cellule en 2013.
« Le groupe est devenu énorme et très influent, bien au-delà du Brésil, avec des ramifications partout dans le monde », précise M. Weber.
Le PCC a émergé dans les années 1990 sous l’impulsion de Marcos Willians Herbas Camacho (« Marcola » ou « Playboy »).
Aujourd’hui âgé de 57 ans, il purge une peine de 232 ans dans un établissement de haute sécurité, pour homicide, trafic de drogue et vol — mais il garderait la main sur l’organisation à l’extérieur.
Son bras droit, Gilberto Aparecido Dos Santos (« Fuminho »), a été arrêté au Mozambique en 2020 et extradé vers le Brésil.
D’après M. Gomes, le PCC compterait 30.000 membres, chiffre qui pourrait tripler si l’on inclut tous les associés.

La lutte politique contre le crime

M. Gomes souligne que le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva a une approche du crime diamétralement opposée à celle de son prédécesseur Jair Bolsonaro, partisan d’opérations policières musclées et de la guerre contre la drogue.
« Lula privilégie le respect des droits humains, une police intelligente, sans confrontation directe », analyse Gomes.

(À g.) Jair Bolsonaro, ex-président brésilien. (À dr.) Luiz Inácio Lula da Silva, président du Brésil, le 30 octobre 2022. (Wagner Meier, Alexandre Schneider/Getty Images)

« Le crime profite de cette situation, jusqu’à s’insérer dans la vie politique locale pour garder le contrôle. On recense de nombreux financements de campagne et des candidats gravitant autour des gangs. »
Le Sénat brésilien a lancé une commission d’enquête sur le crime organisé, mais M. Gomes reste sceptique : « Nous n’avons pas de grandes attentes. »
La prochaine élection présidentielle est prévue en octobre 2026. Bolsonaro, qui a été condamné à 27 ans de prison en septembre après avoir été accusé de tentative de coup d’État en 2022, ne pourra pas se présenter. Le procès a même été qualifié de « chasse aux sorcières » par le président Trump.
« La problématique de l’infiltration policière dépasse largement une seule administration », analyse M. Hodgson. « Imaginer qu’un ou deux changements de politique suffiraient à éradiquer le crime organisé serait une illusion. »
Il ajoute que Lula a assoupli la répression dans les affaires de drogue, tandis que Bolsonaro a facilité l’accès aux armes.
« La plupart des mesures prises par Bolsonaro ont été annulées au retour de Lula au pouvoir », observe M. Hodgson. « Malgré des stratégies opposées, le Brésil reste centré sur l’État et refuse toute libéralisation profonde qui pourrait vraiment affaiblir la puissance des gangs. »