Les innovations en matière de petits réacteurs suscitent un intérêt mondial pour l’énergie nucléaire

À l'horizon de la "démocratisation du nucléaire", les régulateurs internationaux s'interrogent sur la possibilité de rationaliser les inspections et les licences sans compromettre la sécurité

Par John Haughey
10 mai 2025 05:49 Mis à jour: 10 mai 2025 13:28

Peu de nations signataires de l’Accord de Paris sur le climat atteignent leurs objectifs de décarbonisation, mais avec 31 d’entre elles – dont les États-Unis – s’engageant à hauteur de 300 milliards de dollars pour tripler la production d’énergie nucléaire d’ici 2050, ces objectifs restent réalisables, ont convenu les panélistes lors d’une discussion le 1er mai sur l’expansion de l’énergie nucléaire.

« Ce changement aurait dû avoir lieu depuis longtemps », a déclaré William Magwood, directeur général de l’Agence pour l’énergie nucléaire, une liaison basée à Paris entre des organisations gouvernementales qui coordonne les pratiques et les politiques liées à la technologie nucléaire avancée.

« Les chiffres nous indiquent depuis des années que le nucléaire allait jouer un rôle substantiel si nous voulions atteindre l’objectif que de nombreux pays se sont fixé, à savoir réduire les émissions de CO2 », a-t-il ajouté.

S’exprimant lors d’une présentation du Center for Strategic & International Studies sur l’expansion de l’énergie nucléaire, M. Magwood a déclaré qu’il y avait de nombreux obstacles à surmonter pour développer l’énergie nucléaire dans le monde entier.

Mais, a-t-il prédit, d’ici cinq ans, « nous allons assister à une sorte de démocratisation du nucléaire. Il y a une réelle possibilité de voir des centrales nucléaires au Kenya, aux Philippines, en Indonésie, des pays qui n’en avaient jamais eu auparavant. »

Lors de la réunion COP28 à Dubaï, 25 nations ont signé un engagement à tripler la capacité d’énergie nucléaire d’ici 2050, et 6 autres se sont jointes à cet engagement lors de la COP29 à Bakou, en Azerbaïdjan.

La COP29 s’est concentrée sur le financement climatique, les 31 nations s’engageant à « mobiliser » 300 milliards de dollars par an en « financement climatique » d’ici 2035 pour faire progresser l’énergie nucléaire.

Les 300 milliards de dollars sont restés en deçà du billion de dollars initialement recherché par les partisans, un manque à gagner favorisé par la prise de conscience que de nombreux pays n’atteignent pas leurs objectifs de décarbonisation ou ne construisent pas le réseau nécessaire pour faire face à la demande croissante d’électricité.

Lors de la COP29, « les pays devaient présenter des plans montrant comment ils avaient déjà atteint leurs objectifs », a indiqué M. Magwood, « et beaucoup d’entre eux ont découvert qu’ils n’étaient pas en mesure de présenter des plans qui permettraient d’atteindre ces objectifs. »

Ces lacunes ont été « un peu un choc pour certains décideurs politiques », a-t-il souligné. « Mais en coulisses, lorsque je rencontre des ministres de l’Énergie et d’autres responsables dans différentes capitales, ils m’avouent qu’ils n’avaient aucune idée de la manière dont ces objectifs allaient être atteints. »

Jane Nakano, chercheuse principale en sécurité énergétique au sein du centre, a expliqué qu’outre la décarbonisation, le regain de soutien à l’énergie nucléaire est motivé par des préoccupations concernant la sécurité énergétique et par l’intérêt de stabiliser les coûts de l’électricité pour stimuler le développement économique.

« La guerre en Ukraine a changé la donne car elle a réaffirmé ce que de nombreux pays considèrent aujourd’hui comme leur objectif numéro un : assurer la sécurité énergétique », a convenu M. Magwood.

Il a ajouté qu’après plus de 60 ans de mondialisation, « la sécurité énergétique avait en quelque sorte disparu du débat international. »

« Mais », a ajouté M. Magwood, « elle est de retour, et elle est de retour avec force. »

Centrale nucléaire de Penly sur le littoral de la Manche (réacteurs refroidis à l’eau de mer), site retenu pour l’installation de nouveaux réacteurs nucléaires EPR à partir de 2024 (projet EPR2 d’EDF – Électricité de France) à Petit-Caux, France, le 27 octobre 2024. (AMAURY CORNU/Hans Lucas/AFP via Getty Images)

De vieilles centrales exploitées par des vétérans

Il existe environ 440 réacteurs nucléaires opérationnels dans 32 pays qui produisent environ 9 % de l’électricité de la planète, selon la World Nuclear Association.

Les États-Unis sont le plus grand producteur et consommateur mondial d’énergie nucléaire, avec 94 réacteurs nucléaires répartis dans 55 centrales, qui, selon l’Energy Information Administration américaine, ont produit 18,6 % de son électricité en 2023.

Cependant, la plupart des réacteurs ont été construits entre 1970 et 1990 et ont une durée de service moyenne de plus de 40 ans. Le seul nouveau réacteur mis en service aux États-Unis depuis 2016 est le quatrième réacteur de Vogtle en Géorgie, qui a dépassé son budget de 16 milliards de dollars et accuse un retard de six ans.

C’est un scénario courant dans le monde entier, ont indiqué M. Magwood et Laura Holgate, ancienne représentante des États-Unis auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique, de nombreuses centrales nucléaires mondiales ayant des décennies d’existence.

Jane Nakano a déclaré que l’objectif « très ambitieux » de tripler l’énergie nucléaire dans le monde nécessiterait la construction de 50 réacteurs par an.

Non seulement cela est possible, a déclaré M. Magwood, mais cela a déjà été fait.

« Dans les années 70 et 80, le rythme de construction à cette époque correspondait à peu près à ce qu’il faudrait aujourd’hui pour atteindre un triplement d’ici 2050 », a-t-il noté, « c’est donc certainement dans le domaine du possible. »

Les plus grands obstacles sont la rouille industrielle, a déclaré M. Magwood.

« Le défi est que nous n’avons pas la même infrastructure que dans les années 70 et 80 », a-t-il indiqué. « Il n’y a pas autant d’entreprises qui construisent des centrales nucléaires aujourd’hui. Nous n’avons donc pas de chaînes d’approvisionnement, nous n’avons pas le personnel, et dans certains cas, nous n’avons pas l’infrastructure réglementaire pour le faire. »

Tout cela pourrait changer.

La centrale nucléaire de Doel à Beveren photographiée le lundi 31 mars 2025. (DIRK WAEM/BELGA MAG/AFP via Getty Images)

100 ans de certitude

Les conceptions de réacteurs avancés, y compris les petits réacteurs nucléaires portables, achèvent leurs démonstrations et leurs déploiements de prototypes et sont sur le point d’être commercialement disponibles.

Ces nouveaux réacteurs peuvent être produits en série et « ont intégré l’état actuel des connaissances » pour apporter une plus grande efficacité à des coûts inférieurs, a assuré Mme Holgate.

« C’est différent du passé », a souligné M. Magwood. « Le nucléaire a toujours été une sorte de projet unique. On en construit un ici, et on s’en va pendant 10 ans. On en construit un là-bas, et on s’en va pendant 20 ans. Cela les a toujours rendus très chers. »

Mais avec la production en série de réacteurs dotés de caractéristiques standard, les coûts diminueront considérablement et l’énergie nucléaire se développera rapidement, a-t-il ajouté.

« Si vous voulez vraiment voir les coûts baisser, il faut un grand marché, une fabrication continue, et alors vous êtes vraiment en affaires », a déclaré M. Magwood.

L’Agence pour l’énergie nucléaire qu’il dirige est une composante de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui compte 38 nations et qui a succédé à l’Organisation européenne de coopération économique, créée en 1948 par les bénéficiaires européens de l’aide américaine dans le cadre du plan Marshall après la Seconde Guerre mondiale.

M. Magwood a expliqué que pratiquement toutes les centrales nucléaires à l’échelle industrielle construites au cours des 20 prochaines années utiliseront des technologies contemporaines, notant que son agence suit plus de 90 technologies nucléaires émergentes.

Il doute que plus de quelques-unes atteignent les phases de démonstration. « Nous allons voir Darwin entrer en jeu ici. Il n’y aura pas 90 technologies quand la fumée se dissipera », a-t-il assuré, sans s’aventurer à deviner ce que serait « un nombre relativement gérable » de technologies viables.

D’après M. Magwood, avec des petits réacteurs portables produits en série, probablement utilisés d’ici quelques décennies comme des systèmes enfichables ne nécessitant pas d’expertise de l’utilisateur dans les foyers et les entreprises, il existe une préoccupation quant à la garantie de normes de sécurité et environnementales uniformes.

« Il s’agit de petits réacteurs modulaires que l’on peut voir dans un nombre beaucoup plus important d’installations que par le passé », a-t-il indiqué. « Cette évolution va changer la donne pour la communauté des inspecteurs ; elle ne rend pas nécessairement les choses plus difficiles d’un point de vue technique, mais il peut s’agir d’un problème de capacité ».

Mme Holgate a expliqué qu’avec la production en série, les inspections peuvent être effectuées rapidement à l’aide de listes de contrôle, citant le « Processus des étapes » de l’Agence internationale de l’énergie atomique comme sa tentative continue de rationaliser les examens, les permis et les licences.

Le programme est « un processus très, très clair, étape par étape, qui explique comment, à partir d’une capacité réglementaire et de gestion très limitée dans le domaine nucléaire, il est possible de développer une approche d’approvisionnement. Le capital humain ? Les questions relatives à la chaîne d’approvisionnement ? »

Pour M. Magwood, de nombreux membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques – principalement européens – ont une vaste expérience dans l’exploitation de centrales nucléaires, de sorte que son agence offre ses services de conseil aux nations « nouvelles venues » dans le domaine de l’énergie nucléaire.

« Ce que l'[Agence internationale de l’énergie atomique] fait avec le ‘Processus des étapes’ est très important », a-t-il déclaré. « Ce que nous prévoyons de faire avec les pays, c’est de travailler sur les politiques et le développement économique. »

Développer des relations de collaboration et de partage d’innovations avec les nations « nouvelles venues » dans le domaine de l’énergie nucléaire « devient massivement important », a ajouté M. Magwood.

« Ce sera également vrai à l’avenir. Vous allez voir ce genre de relations [parce que] chaque fois qu’un pays prend la décision de construire du nucléaire, ce partenaire sera avec lui, lui tenant la main, pendant 100 ans. Alors, avec qui voulez-vous avoir cette relation de 100 ans ? »

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