Énergie, technologie et transports européens sous emprise chinoise
L’Europe finance sa propre dépendance : des entreprises chinoises en Espagne touchent des centaines de millions de fonds de l’UE
Tandis que Washington sanctionne des groupes liés au régime de Pékin, l’Espagne et l’UE les subventionnent, leur permettant d’accroître leur contrôle sur l’énergie, les transports et la technologie.
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Le bâtiment d'Envision Energy à Shanghai, en Chine, le 12 novembre 2022.
ESPAGNE — La dernière mise à jour de la liste des 100 principaux bénéficiaires du Plan de relance pour l’Europe, (Plan de relance, de transformation et de résilience, PRTR), financé par le mécanisme NextGenerationEU, fait apparaître un constat inquiétant : des entreprises chinoises présentes en Espagne perçoivent des centaines de millions d’euros de la part de Bruxelles.
Cette classification, actualisée le 31 octobre par le gouvernement espagnol et transmise à la Commission européenne, regroupe plus de 26 milliards d’euros au total pour les 100 principaux bénéficiaires.
Parmi les sociétés les mieux dotées par l’UE figure Envision Energy, entreprise de capital intégralement chinois spécialisée dans les éoliennes et les solutions d’énergie renouvelable.
Envision, basée à Shanghai et contrôlée par le régime du Parti communiste chinois (PCC), a perçu 200 millions d’euros au titre des appels à projets du PERTE Énergies renouvelables, hydrogène renouvelable et stockage (PERTE ERHA).
Si l’on se limite au secteur privé, cette entreprise occupe la 11e place du classement des principaux récipiendaires de fonds de l’UE.
Ainsi, ces aides destinées à la transition verte renforcent une société opérant dans un écosystème où l’État chinois exerce un contrôle total, comme l’indiquent des rapports de renseignements occidentaux.
Le même schéma se reproduit dans le secteur du véhicule électrique. Stellantis, en alliance avec CATL — le premier fabricant mondial de batteries pour véhicules électriques, lui aussi chinois —, a perçu près de 97 millions d’euros d’aides du PERTE Véhicule électrique et connecté (PERTE VEC).
En octobre 2024, Stellantis Figueruelas a reçu 133 millions dans la ligne batteries du PERTE VEC III, auxquels s’ajoutent 14 millions pour la décarbonation industrielle. Au total, le groupe a accumulé subventions et prêts dépassant 298 millions d’euros, finançant une gigafactory à Saragosse aux côtés de CATL.
En décembre dernier, le président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, s’était entretenu à la Moncloa avec Robin Zeng, président de CATL, pour célébrer ces projets. Quelques jours plus tard, CATL a été inscrite par le Département de la Défense des États‑Unis sur la liste des « entreprises militaires chinoises » en raison de ses liens avec l’Armée populaire de libération. Le projet en Espagne demeure néanmoins en vigueur.
Le stand du fabricant chinois de batteries CATL (Contemporary Amperex Technology Company Limited) lors de l’ouverture du salon automobile IAA MOBILITY 2025, le 9 septembre 2025 à Munich, en Allemagne. CATL est le plus grand fabricant chinois de batteries lithium-ion et le premier fabricant mondial de batteries pour véhicules électriques. (Photo : Johannes Simon/Getty Images)
Le principal bénéficiaire entretient des contrats avec Huawei
En tête du classement, l’entité recevant le plus de fonds de l’UE (plus de 2 500 millions) est l’ADIF (Administrateur des infrastructures ferroviaires).
Mais la trace chinoise y est aussi présente : l’entreprise publique ferroviaire espagnole maintient des contrats avec Huawei pour l’équipement d’infrastructures ferroviaires, malgré les mises en garde de la Commission européenne et des États‑Unis. Cette année, l’ADIF a formalisé un contrat de 213.000 euros pour la fourniture d’équipements Huawei.
Évidemment, l’ADIF n’est pas la seule à recourir à Huawei. Le groupe chinois, écarté des réseaux 5G sensibles par l’UE, s’implante de plus en plus dans des systèmes clés espagnols.
Outre Envision et Stellantis, d’autres grands bénéficiaires des fonds de l’UE — et opérés par Huawei ou ZTE — figurent parmi la liste : Orange (182 millions) et Vodafone (67 millions).
Et ce n’est pas tout : l’ingérence d’entreprises chinoises sanctionnées ne se limite pas à la technologie ou aux batteries.
L’extension de la gare d’Atocha, attribuée en janvier 2024 pour 451,6 millions, est réalisée par une UTE (coentreprise temporaire) conduite par Puentes y Calzadas, contrôlée à 100 % par China Road and Bridge Corporation (CRBC), filiale de la société d’État CCCC.
CCCC est sanctionnée par les États‑Unis depuis 2020 pour la construction de bases militaires en mer de Chine méridionale.
Le même modèle se retrouve avec Aldesa, une autre entreprise de construction espagnole passé sous contrôle de CRCC (China Railway Construction Corporation) entre 2020 et 2023. Depuis, il s’est vu attribuer des travaux tels que des tunnels sur la M‑50 (7,49 millions en 2021), des réservoirs d’eau à Séville (8,18 millions en 2022) ou des hangars à Teruel (39,77 millions en 2024).
CRCC, d’un rang ministériel au sein du PCC, accède ainsi à des systèmes SCADA d’infrastructures critiques.
Et si la Commission européenne, dans sa stratégie de « de‑risking » (réduction des risques) vis‑à‑vis de la Chine (2023), qualifie le régime communiste de « rival systémique » et appelle à réduire les dépendances, les flux NextGeneration continuent d’alimenter des entreprises placées sur listes noires par Washington, comme Huawei (depuis 2019) ou CATL (2025).
Le stand de Huawei, à l’intérieur du stand de SK Telecom, lors du GSMA Mobile World Congress, qui s’est tenu à Barcelone, en Espagne, le 28 février 2022. (David Ramos/Getty Images)
L’eurodéputé Hermann Tertsch (Patriotes pour l’Europe) a dénoncé à plusieurs reprises cette « menace » chinoise.
David Alandete, ancien directeur d’El País et correspondant auprès de plusieurs médias à la Maison‑Blanche, a récemment mis en garde le Congrès espagnol au sujet de Huawei : « Ce n’est pas seulement un risque technologique, c’est aussi une question de fiabilité au sein de l’OTAN. »
Dans le secteur des renouvelables, le Conseil européen de fabrication solaire avait appelé en 2023 à restreindre les fournisseurs chinois sur les réseaux électriques en raison du risque de déconnexion à distance depuis Pékin. Les données de 2023 montrent d’ailleurs que 70 % des onduleurs photovoltaïques en Espagne sont d’origine chinoise.
Pourtant, l’UE finance elle‑même, à hauteur de millions, des entreprises chinoises implantées en Espagne. Un véritable — et dangereux — paradoxe.
La stratégie chinoise : acheter, concourir et dominer avec de l’argent européen
Et l’astuce est toujours la même : Pékin n’a pas besoin de se présenter directement aux appels d’offres européens. Il lui suffit d’acquérir des sociétés espagnoles déjà établies pour qu’elles concourent en tant qu’entreprises locales et remportent les marchés.
C’est ce qui est advenu avec Puentes y Calzadas (rachetée par CRBC‑CCCC) ou Aldesa (contrôlée par CRCC) : toutes deux figurent au registre du commerce comme sociétés espagnoles, mais leurs sociétés mères sont des entreprises de rang ministériel chinoises qui accèdent désormais à des systèmes SCADA d’infrastructures critiques et à des centaines de millions d’euros du PRTR.
Le même scénario se répète dans les ports et les renouvelables : COSCO, la compagnie maritime d’État chinoise, contrôle des terminaux stratégiques à Valence et Bilbao ; Les Trois Gorges, autre géant lié au PCC, est devenu le premier producteur photovoltaïque d’Espagne après l’achat de X‑Elio et de dizaines de centrales.
Ainsi, l’Espagne, par sa politique de portes ouvertes envers Pékin — et son silence face aux alertes de Washington et de Bruxelles —, s’est muée en porte d’entrée idéale pour que le régime chinois colonise des secteurs stratégiques avec l’argent de tous les Européens.