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L’exode industriel chinois s’accélère dans un contexte économique dégradé, selon des informateurs
À mesure que les acheteurs internationaux exigent une diversification, les sociétés chinoises déplacent leur production vers le Vietnam, l’Indonésie et l’Asie centrale.

Des employées travaillent sur une chaîne de production textile dans une usine à Huaian, province du Jiangsu, en Chine, le 2 avril 2025.
Photo: AFP via Getty Images
Alors que l’économie chinoise continue de s’affaiblir et que les tensions commerciales sino-américaines s’aggravent, les industriels accélèrent leur départ vers l’Asie du Sud-Est et l’Asie centrale, bouleversant des chaînes d’approvisionnement qui faisaient autrefois de la Chine l’usine du monde, selon de multiples sources du secteur.
Les chaînes de production les plus gourmandes en main-d’œuvre et à la technologie intermédiaire migrent vers l’Asie du Sud-Est, tandis que certains secteurs énergivores s’installent en Asie centrale. Certains patrons d’usines chinoises, désormais détenteurs d’un passeport étranger, dirigent leurs sites à distance, parfois depuis l’étranger.
Plusieurs interlocuteurs interrogés souhaitent rester anonymes pour des raisons de sécurité.
M. Wang, membre de la chambre de commerce provinciale du Zhejiang, explique que la province observe une nette accélération des transferts d’usines au cours des cinq dernières années.
« Rien que sur les dix premiers mois de cette année, je sais qu’au moins une soixantaine d’entreprises ont délocalisé au Vietnam ou en Malaisie, faute de commandes », affirme-t-il. « À cela s’ajoutent toutes celles qui, discrètement, lancent des sites au Vietnam à l’insu de la chambre : le vrai total dépasse sans doute la centaine. »
Il ajoute que certains industriels du Zhejiang vivent désormais une grande partie de l’année en Europe ou en Asie du Sud-Est, gérant à distance leur société tout en obtenant un permis de séjour ou la citoyenneté.
Les données officielles confirment la tendance : au premier semestre 2025, la Chine a déclaré 30.014 nouvelles entreprises à capitaux étrangers, soit une hausse de 11,7 % sur un an, mais le montant effectif des investissements réalisés a chuté de 15,2 %. Autrement dit, l’argent réellement investi diminue alors même que le nombre de sociétés créées grimpe.
Pour certains exportateurs, la délocalisation n’est pas nouvelle : le mouvement ne fait que s’accélérer.
« Certaines entreprises de notre filière produisent déjà à Hanoï et Haïphong, au Vietnam, depuis 2018, pour traiter les commandes européennes et américaines », indique M. Zhao, industriel des pièces mécaniques dans le Zhejiang.
Depuis la pandémie, les clients étrangers réclament une diversification géographique. M. Zhao précise que sa propre société a négocié une externalisation des opérations d’assemblage en 2023, et le nouveau site fonctionne déjà.
Tensions commerciales et commandes en baisse
Le phénomène ne se limite pas au Zhejiang. Le Jiangsu et le Guangdong, deux autres pôles d’exportation chinois, subissent les mêmes pressions face à la chute des commandes étrangères.
M. Fang, issu du puissant clan d’affaires Rong Yiren, note : « Les industriels du Zhejiang partent surtout parce que leurs clients exigent des sites dans d’autres pays. Ailleurs, le foncier et la main-d’œuvre sont plus abordables qu’en Chine. »
Les acheteurs étrangers réduisent leurs achats partout. « Cette nouvelle vague de guerre commerciale affecte toute la chaîne d’approvisionnement : dans certains secteurs, le retrait des sociétés étrangères est manifeste, et nombre de sous-traitants font faillite, coupant la filière », observe-t-il.
Plusieurs groupes japonais et coréens aux abords de Ningbo ont cessé d’acheter en Chine et exigent désormais de leurs fournisseurs l’ouverture de sites au Vietnam ou en Thaïlande.
À Suzhou et Kunshan, hubs industriels du delta du Yangtsé, les investisseurs étrangers évaluent quelles lignes de production déplacer à l’étranger.
M. Gu, dirigeant d’une usine OEM à Kunshan, confie avoir vu ses commandes européennes chuter depuis 2022. Les clients ont exigé la redondance multi-pays ; la société a donc ouvert une filiale en Thaïlande. « La conception et l’équipement restent fournis par notre siège en Chine, mais l’usine thaïlandaise assure les étapes intermédiaires », détaille-t-il.
Bon nombre d’acheteurs internationaux qui dépendaient de la Chine se tournent maintenant vers le Vietnam, la Malaisie ou l’Inde — poussant les industriels chinois à les suivre s’ils veulent préserver leur clientèle.
Le Vietnam, principal gagnant
Le Vietnam devient la destination phare pour les industries chinoises du textile, de l’assemblage électronique, de la maison et de la chaussure – la plupart des nouvelles usines se concentrant dans le Nord industriel.
M. Huang, homme d’affaires taïwanais installé au Vietnam, note : « Une fois l’implantation locale achevée, le recrutement d’ouvriers va vite, mais l’étalonnage des équipements-clés reste assuré par des techniciens chinois. Ces usines visent à écourter les délais d’exportation vers l’Europe et les États-Unis, tout en diluant les risques. »
Selon les données du Bureau économique et culturel de Taipei à Hanoï, le Vietnam a importé 101,4 milliards de dollars de biens chinois sur les sept premiers mois de 2025, soit plus de 40 % de ses importations totales : la Chine est de loin son premier fournisseur.
Derrière le Vietnam, le Cambodge s’affirme comme pôle d’accueil pour le textile chinois. M. Chen, ex-journaliste économique, explique : « Les investissements chinois prennent surtout la forme de joint-ventures, les investisseurs chinois conservant les parts et les matières premières provenant du Zhejiang ou du Guangdong. »
Il souligne aussi que l’Indonésie attire les spécialistes des ressources et de l’énergie (raffinage du nickel, notamment), celles-ci y trouvant un accès facilité vers l’Europe et l’Amérique du Nord.
D’après un rapport de l’ONG américaine C4ADS, les entreprises chinoises contrôlent environ 75 % des capacités de raffinage du nickel en Indonésie, plusieurs d’entre elles étant soutenues par l’État chinois.
L’Asie centrale, nouveau front de l’industrie lourde
Tandis que le manufacturier léger déferle sur le Vietnam et le Cambodge, l’industrie lourde se développe vers l’ouest : Kazakhstan et Ouzbékistan.
« Ces pays attirent la chimie, les matériaux de construction, la métallurgie », précise M. Chen. « Les sociétés chinoises y produisent des matériaux de base, expédiés ensuite vers la Chine occidentale par rail. »
Le Kazakhstan est désormais la première destination des investissements chinois en Asie centrale, engrangeant environ 23 milliards de dollars au premier semestre 2025, d’après les chiffres relayés par la presse officielle à Pékin.
La recomposition du modèle chinois
M. Su, chercheur observe qu’en Chine, de plus en plus de produits vendus en magasin ne sont plus made in China.
« On trouve désormais des articles de la même marque venus du Vietnam, de l’Indonésie ou du Mexique », relève-t-il.
Il estime que ces mutations illustrent un repositionnement en profondeur. Les industriels revoient leur implantation au gré du coût du travail, des matières premières, de l’énergie ou du marché.
« Je ne crois pas que l’économie chinoise reviendra à son modèle antérieur », prévient-il. « Pour vingt ans au moins, il faudra s’en prendre aux décideurs. »
Pour ce spécialiste, l’enjeu n’est plus seulement la provenance des produits, mais la place de la Chine dans les chaînes mondiales. Il anticipe que la multiplication des circuits multi-pays va bouleverser les structures d’usines, les schémas de main-d’œuvre et les équilibres du marché.
Xin Ling a contribué à la rédaction de cet article.

Michael Zhuang est un collaborateur d'Epoch Times, spécialisé dans les sujets se rapportant à la Chine.
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