Pékin exerce son influence à l’étranger en utilisant trois types de médias

Victor Ho estime que les rencontres fréquentes de diplomates chinois avec des médias pro-Beijing au Canada méritent l'attention

Par Andrew Chen
5 septembre 2023 03:13 Mis à jour: 5 septembre 2023 03:13

Selon un analyste spécialiste de la Chine, Pékin utilise trois types de médias pour exercer son influence à l’étranger et étendre son contrôle sur la diaspora chinoise. Il s’est également inquiété des rencontres répétées entre des diplomates chinois au Canada et certains médias qui présentent systématiquement le régime communiste sous un jour favorable dans leurs reportages.

Victor Ho, ancien rédacteur en chef du Sing Tao Daily, a défini trois catégories de médias : les branches étrangères des médias d’État chinois, les médias originaires de Hong Kong qui se sont soumis à l’influence de Pékin, et les médias étrangers créés par des groupes chinois alignés sur Pékin.

« Le fait d’amener des dirigeants et des représentants des médias au consulat signifie que [la réunion se déroule dans] une zone contrôlée par le Parti communiste chinois (PCC), » a souligné M. Ho lors d’une interview.

Lorsque le PCC invite [les représentants des médias] à « échanger des points de vue » ou à « discuter » dans l’enceinte de son consulat, puisque ce lieu est considéré comme faisant partie du territoire national chinois et du PCC, cette invitation traduit l’intention d’influencer ces médias et de les utiliser pour diffuser les informations souhaitées par le PCC. Par conséquent, tout ceci favorise l’infiltration et l’intervention du PCC dans les médias canadiens ».

M. Ho a cité en exemple un événement survenu le 15 décembre 2022, au cours duquel Yang Shu, le consul général de Chine à Vancouver, a invité des représentants de divers médias en langue chinoise à sa résidence officielle. Des photos montrent les mots « conférence de presse » en chinois affichés sur un écran derrière M. Yang.

Au cours de l’événement, M. Yang a démenti les allégations d’ingérence de Pékin au Canada, déclarant qu’elles étaient « complètement fabriquées et absurdes » et appelant « la partie canadienne à cesser de faire courir des rumeurs, de calomnier et de diffamer la Chine, et à cesser de tromper et d’induire le public en erreur, » a rapporté Dawa News.

À l’époque, des informations faisant état de la présence de postes de police chinois clandestins sur le sol canadien faisaient la une des journaux. Ces allégations s’ajoutaient à d’autres, comme l’ingérence du PCC dans les élections fédérales canadiennes.

M. Yang a également abordé la stratégie indo-pacifique du Canada, dévoilée en novembre 2022, qui qualifie la Chine de « puissance mondiale de plus en plus perturbatrice ». Il a affirmé que le Canada ternissait injustement l’image de la Chine en exagérant la soi-disant « menace chinoise ». Il a également critiqué le Canada pour avoir tenté de « semer la discorde entre les dirigeants chinois et leur population » en soulevant des questions sur Taïwan, le Xinjiang, Hong Kong et les droits de l’homme, a rapporté Dawa News.

Plusieurs médias ont ensuite rendu compte de l’événement en transmettant principalement les remarques du consul général sans fournir d’autres voix et points de vue sur ces questions.

Un article de Ming Sheng Bao, une filiale de Ming Pao au Canada, a utilisé un titre qui se traduit approximativement par « le consul général de Chine à Vancouver déclare que la stratégie indo-pacifique du Canada découle d’une mauvaise compréhension de l’orientation de la Chine en matière de modernisation ».

Tout comme cet article a présenté les déclarations de M. Yang sans inclure de remarques du gouvernement canadien, le Sing Tao Daily s’est fait l’écho des critiques du consul général à l’égard du Canada sans donner une perspective complémentaire du côté canadien.

Outre Dawa News, les médias invités à la conférence de presse du 20 décembre 2022 englobaient le média d’État chinois Phoenix TV et les quotidiens Ming Pao et Sing Tao, selon un communiqué de presse publié par le consulat de Chine à Vancouver à l’issue de l’événement.

M. Ho a indiqué que l’un des points communs entre ces médias est leur position non hostile à l’égard de Pékin. En revanche, il a expliqué que des médias comme Epoch Times et sa filiale NTD Television, qui ont toujours dénoncé les violations des droits de l’homme commises par Pékin et d’autres comportements répréhensibles, n’ont pas été invités à l’événement.

Réunions avec la presse

L’ambassadeur de Chine au Canada, Cong Peiwu, ainsi que les consuls généraux des consulats chinois, ont organisé de nombreuses « réunions d’échange » avec le personnel des médias, principalement les branches à l’étranger des médias d’État chinois et les médias locaux alignés sur Pékin.

Le 2 novembre 2022, à la suite du 20e congrès national du PCC qui s’est tenu du 16 au 22 octobre, M. Cong a rencontré des représentants de neuf médias de langue chinoise bien connus au Canada lors d’un symposium sur les médias. L’ambassadeur « a présenté l’esprit du 20e congrès national du Parti communiste chinois dans son discours d’ouverture, » selon un communiqué de presse de l’ambassade de Chine.

Le congrès national du PCC est un événement clé qui réunit les hauts responsables du Parti tous les cinq ans. M. Cong a souligné que le PCC « avait un message important à transmettre au niveau international, » ce qui a permis de mettre l’accent sur la position officielle de Pékin concernant ses aspirations à jouer un rôle important dans la gouvernance mondiale.

M. Cong a tenu une conférence de presse similaire par téléconférence en janvier 2021. Au cours de cette réunion, il a fait l’éloge de la gestion par le PCC de la pandémie de Covid-19 et a appelé le Canada à libérer Meng Wanzhou, cadre de Huawei, qui avait été arrêtée au Canada à la suite d’une demande d’extradition des États-Unis pour des accusations de fraude.

Le 19 décembre 2017, Tong Xiaoling, alors consule générale de Chine à Vancouver, a organisé une réunion pour les représentants de 17 médias, dont les médias d’État chinois Xinhua News et Phoenix TV, ainsi que Ming Pao et Sing Tao Daily. Lors de cette réunion, elle a fait l’éloge de la visite du Premier ministre Justin Trudeau en Chine au début du mois et a évoqué « l’impact profond et la signification importante » du congrès national du PCC pour la Chine et le monde.

Le 14 juillet 2016, quelques jours après qu’un tribunal d’arbitrage international ait rejeté les revendications étendues de la Chine en mer de Chine méridionale, Liu Fei, alors consul général de Chine à Vancouver, a rencontré 13 médias, dont Xinhua News, Phoenix TV, Ming Pao et Sing Tao Daily. Mme Liu a réitéré les protestations émises par Pékin à l’encontre de la décision du tribunal et a exhorté « le peuple chinois à prendre des mesures pour exprimer son point de vue de manière raisonnable, avantageuse et judicieuse ».

En 2021, le ministère américain de la justice a contraint la filiale américaine de Sing Tao à s’enregistrer en tant qu’agent étranger. Deux autres médias d’État chinois, Xinhua News Agency et China Global Television Network, ont reçu l’ordre d’enregistrer leurs activités aux États-Unis en tant qu’agents d’une autorité étrangère en 2018.

Le journaliste Victor Ho à Richmond, en Colombie-Britannique, le 24 août 2022. (La Presse Canadienne/Darryl Dyck)

M. Ho a indiqué que les médias invités à de tels événements par les missions diplomatiques chinoises subissaient souvent des pressions pour relayer le discours de Pékin, ou pour « bien parler de la Chine ». Cette expression fait référence à un slogan utilisé par le PCC pour sa propagande à l’étranger, qui permet d’améliorer l’image du régime dans le monde et de défendre ses objectifs politiques à l’échelle internationale.

« Au lieu d’offrir une alternative équilibrée au contenu de la propagande du PCC, [ces médias] ont tendance à amplifier la promotion de ce contenu, » a souligné M. Ho. « Par conséquent, ces soi-disant échanges et discussions ne servent qu’à faire avancer l’agenda du PCC. »

Inversement, si un média invité ne répondait pas aux attentes du PCC, il ne serait plus invité à d’autres événements et deviendrait une cible du PCC, a-t-il ajouté.

Extension du « lavage de cerveau » du PCC à l’étranger

M. Ho a indiqué que ces trois types de médias en langue chinoise influencés par le PCC avaient joué un rôle important en facilitant la diffusion de la « propagande d’endoctrinement » du régime.

Cette influence est particulièrement prononcée chez les personnes qui ne maîtrisent pas bien d’autres langues que le mandarin. Leur dépendance à l’égard des plateformes de médias sociaux développées en Chine et supervisées par le PCC, comme WeChat et Weibo, amplifie encore cette influence.

« De nombreux Chinois d’outre-mer, y compris les générations plus âgées et même les immigrants de Chine continentale, souscrivent au même contenu provenant de sources médiatiques qui adhèrent étroitement à la propagande externe du PCC, » a poursuivi M. Ho. « Par conséquent, les générations qui se succèdent sont influencées par ce narratif. »

De cette manière, le PCC a réussi à faire en sorte que les Chinois vivant à l’étranger « reçoivent les mêmes informations et subissent le même lavage de cerveau politique que les personnes vivant en Chine continentale ». Cette pratique de longue date a permis d’atténuer les critiques formulées à l’encontre du PCC, a-t-il ajouté.

M. Ho exhorte le Canada à adopter des mesures analogues à celles en vigueur aux États-Unis, qui exigent que les filiales des organisations médiatiques favorables à Pékin s’enregistrent en tant qu’agents étrangers. Il souligne qu’un tel registre permettrait de s’assurer que ces médias soient clairement identifiés.

Ces derniers mois, le Canada s’est engagé dans des discussions sur l’établissement potentiel d’un registre de transparence des influences étrangères, alors que certains groupes chinois basés au Canada et historiquement alignés sur Pékin se sont opposés à cette proposition. Certains ont invoqué la discrimination raciale, tandis que d’autres ont fait le lien entre cette législation et la défunte loi canadienne sur l’immigration chinoise de 1923, qui a banni pratiquement tous les immigrants chinois pendant 24 ans.

M. Ho a rejeté ces arguments en les qualifiant d’« absurdes et insensés ».

« Avec un registre des agents étrangers, dénoncer [les véritables intentions de] certains médias serait beaucoup plus facile. Alors que ces médias peuvent sembler fournir des informations en langue chinoise, ils servent en réalité les intérêts du PCC, » a-t-il ajouté.

« Un registre des agents étrangers révélerait à la fois leurs revendications et leurs motivations sous-jacentes, ce qui permettrait d’informer le public, en particulier la communauté chinoise. Il serait possible de déterminer si un média est réellement indépendant ou s’il promeut la propagande du PCC. »

Cinq groupes cibles

Chen Yonglin, un ancien diplomate chinois installé en Australie qui a fait défection en 2005, a révélé, lors d’une précédente visite au Canada, les stratégies du PCC utilisées pour exercer une influence sur les médias de langue chinoise à l’étranger. Il a expliqué que leur principal objectif était de discréditer et d’intimider les membres de cinq groupes spécifiques : les exilés tibétains, les Taïwanais, les musulmans ouïghours, les militants pour la démocratie et, surtout, les pratiquants du Falun Gong.

Depuis juillet 1999, le PCC poursuit sans relâche les pratiquants du Falun Gong. M. Chen, en tant que premier secrétaire du consulat de Chine à Sydney avant sa défection, était membre du groupe de travail spécial anti-Falun Gong du consulat. Ce groupe était composé des chefs de différents services du consulat, dont le consul général.

Citant le procès-verbal d’une réunion du groupe, M. Chen a décrit les détails de ses « activités anti-Falun Gong ». L’une d’entre elles concernait un journal local en langue chinoise qui avait été sanctionné pour avoir publié une publicité en faveur du Falun Gong. Selon le procès-verbal fourni à Époch Times à l’époque, le rédacteur en chef et le directeur général de l’Australian Chinese Daily ont promis de ne plus publier d’articles ou d’annonces sur le Falun Gong et d’imprimer à la place des articles anti-Falun Gong « recommandés » par le consulat.

Collaborations

Epoch Times a également fait état d’affaires dans lesquelles certains journaux de langue chinoise au Canada auraient subi des pressions pour prendre des mesures conformes aux intérêts de Pékin.

En 2015, la société Chinese Canadian Post, basée à Toronto, connue à l’époque pour avoir distribué un extrait du Quotidien du peuple, porte-parole officiel du PCC, a licencié sa rédactrice en chef, Helen Wang.

Selon le Globe and Mail, cet article critiquait Michael Chan, ministre du gouvernement de l’Ontario de 2007 à 2018, qui avait fait l’objet d’un avertissement lancé par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) au gouvernement de l’Ontario en 2010 en raison de ses liens étroits avec le consulat de Chine de Toronto. M. Chan, qui n’a pas répondu aux demandes de commentaires formulées par Epoch Times, a intenté une action en justice contre le Globe pour ses articles.

À l’époque, Mme Wang a affirmé que son patron lui avait fait part des plaintes suscitées par l’article, notamment du consulat de Chine et du propriétaire du journal, Wei Chengyi. M. Wei était alors président de la Confédération des organisations sino-canadiennes de Toronto (CTCCO), un groupe qui prend souvent des positions alignées sur Pékin. M. Wei n’a pas répondu aux demandes de commentaires émises par Epoch Times.

Alors que Mme Wang a affirmé que le journal l’avait licenciée sous la pression du consulat chinois après la publication de l’article critiquant M. Chan, le Chinese Canadian Post a publié un communiqué pour démentir les allégations de Mme Wang quant à l’influence politique exercée par le consulat.

M. Wei a ensuite fait l’objet de deux enquêtes distinctes menées par le SCRS au sujet de l’ingérence étrangère, comme l’a rapporté Global News en novembre 2022.

À l’instar de la Chinese Canadian Post, qui contenait un extrait des médias d’État chinois, l’édition torontoise du Ming Pao a également imprimé à un moment donné un contenu issu du Guangzhou Daily, le journal officiel du Comité municipal de Guangzhou (GMC) du PCC. Selon un article d’avril 2005 publié sur la plateforme de médias sociaux chinoise Sina.com, les deux journaux avaient conclu un accord pour créer une édition spéciale nord-américaine. Epoch Times n’a pu confirmé de manière certaine si ces collaborations sont toujours d’actualité.

La Fondation Jamestown, un groupe de réflexion sur la politique de défense basé à Washington, avait lancé il y a plusieurs années une mise en garde contre les tentatives déployées par la Chine pour contrôler les médias chinois aux États-Unis. Dans un document sur la Chine publié en novembre 2001, l’organisation a spécifiquement mentionné quatre grands journaux chinois préoccupants : Sing Tao Daily, Ming Pao Daily News, U.S. World Journal et The China Press.

Kathy Han et Madalina Hubert ont collaboré à cet article.

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