La pianiste Hélène Grimaud et l’eau

13 mars 2016 09:15 Mis à jour: 13 mars 2016 09:13

Hélène Grimaud peut vous regarder droit dans les yeux avec une intensité désarmante. Son regard plein de fougue et de détermination est à l’image de la passion qui l’habite lorsqu’elle joue du piano.

La nature est sa plus grande muse. « Je ressens toujours avec force le sacré qui habite les espaces sauvages », confie-t-elle.

Pianiste de renommée internationale, Hélène Grimaud est aussi une femme investie pour la conservation de la vie sauvage, écrivaine et humaniste. Originaire du sud de la France, à Aix-en-Provence, elle se sent pourtant davantage chez elle aux États-Unis. Après avoir vécu plusieurs années en Suisse, elle est récemment retournée vivre à New York, près du Centre de protection des loups, qu’elle a elle-même fondé en 1999. « Je savais que j’allais revenir, donc c’était juste une question de temps, pas une probabilité », déclare-t-elle.

L’organisation à vocation d’éducation à l’environnement prend soin de ses quatre ambassadeurs : des loups élevés depuis la naissance par les humains. Ils ne sont pas destinés à être relâchés dans la nature, au contraire, ils participent à éduquer le public sur leur espèce qui est en danger. Le Wolf Conservation Center participe aussi à un plan de survie des espèces, qui concerne spécifiquement le loup gris du Mexique et le loup rouge (ou roux).

La nature comme muse

Marcher dans les bois, grimper dans la montagne, quel que soit l’endroit, la nature est le lieu idéal selon Hélène Grimaud pour ralentir, être silencieux et se mettre à écouter. « Vous ne pouvez pas faire autrement que de remplir cet espace. C’est à ce moment que les choses se développent et que l’imagination commence à fleurir », explique-t-elle.

Elle est à l’image des artistes du courant romantique allemand, où faire communion avec la nature leur permettait de pénétrer les profondeurs de leur créativité. Ainsi, Hélène Grimaud semble établir un lien invisible entre deux mondes, tout comme son rôle en tant qu’ambassadrice du loup.

« Quand vous êtes sur scène, il y a ce sentiment merveilleux d’être comme un médium, au sens littéral du mot. Vous êtes ce canal ouvert qui relie le monde du public au monde du compositeur (…) C’est une grande responsabilité mais c’est aussi très libérateur », affirme-t-elle.

C’est lorsqu’elle joue dans un grand espace dans des conditions optimales que la pianiste se sent le plus libre. « Il n’y a rien de mieux pour vous permettre de décoller et voler vers une autre dimension », déclare-t-elle. Pourtant elle se sent rarement à l’aise en tenue de concert, ou en tenue de soirée pour d’autres circonstances. « Je suis toujours plus heureuse d’aller sur scène, dans une simple tenue qui pourrait ressembler à un pyjama », dit-elle en riant.

Lorsqu’elle joue du piano ou qu’elle écoute de la musique, il lui arrive parfois de percevoir les sons en couleur. Cette confusion des sens fait apparaître tout de même une certaine cohérence. Pour elle, ré mineur est bleu foncé, do mineur noir, sol majeur est vert, fa majeur rouge et si bémol majeur jaune. « La couleur change à chaque modulation de la pièce, mais la couleur dominante est celle de la tonalité dans laquelle est écrite l’œuvre », décrit-elle. Elle n’en fait pas l’expérience à tous les coups, et cela ne l’aide pas non plus à mémoriser une pièce, « mais c’est néanmoins une merveilleuse chose à expérimenter », témoigne-t-elle.

La pianiste Hélène Grimaud, au Mandarin Oriental Hotel de New York, le 9 février 2016 (Benjamin Chasteen/Epoch Times)
La pianiste Hélène Grimaud, au Mandarin Oriental Hotel de New York, le 9 février 2016 (Benjamin Chasteen/Epoch Times)

Hélène Grimaud est connue pour affirmer sa vision personnelle dans ses interprétations. « D’un jour à l’autre, l’interprétation d’une pièce est différente, certainement parce que sinon ce serait le début de la fin », analyse-t-elle. S’il lui arrive de jouer particulièrement bien un soir, c’est difficile de résister à l’espoir de reproduire la même performance le lendemain. Mais cela « va à l’encontre des nombreux principes de l’invention et de l’interprétation », argumente-t-elle. Elle fait donc abstraction de ce qu’il en est ressorti, pour être toujours dans le renouveau, disponible à la spontanéité et « se laissant portée par le courant ».

Reconnaissant l’aspect fugace de la musique, Hélène Grimaud a réalisé qu’elle voulait apporter un changement, d’une autre façon. « Vous ne pouvez pas dire que c’est juste suffisant de compter sur les quelques personnes que vous avez émues à travers vos interprétations. Il y a encore toutes ces petites choses de la vie quotidienne, qui, mises ensemble, font la différence, et même probablement beaucoup plus qu’une différence (sur le long terme) », annonce-t-elle.

Nous sommes constitués d’eau. La majeure partie de nos corps, tout comme la surface de notre planète, est constituée d’eau. La vie n’existerait pas sans elle.

Hélène Grimaud

La musique et la protection du milieu sauvage semblent ne pas avoir grand chose en commun. Pour Hélène Grimaud, cela l’aide à placer ce qui est vraiment important dans une juste perspective.

Être parmi les loups lui a appris le respect. « Vous apprenez à rencontrer un autre être, ce qui vous apporte une grande leçon d’humilité, basée sur l’écoute, l’attention et être pleinement conscient. Vous vivez l’instant et dans cette interaction, vous devez être à 100% présent physiquement, intellectuellement, émotionnellement et spirituellement », explique-t-elle.

Mais ce n’est pas ce qu’elle y trouve de plus intéressant dans son approche avec ce prédateur aujourd’hui en danger. Les loups nous appellent à résoudre un problème plus vaste, qui concerne chacun d’entre nous sur cette planète. « Vous devez sauver leur habitat. Vous ne pouvez pas sérieusement parler de protection des espèces si vous ne vous préoccupez pas de leur habitat. Cela touche jusqu’à la santé de l’écosystème en général. Donc c’est bien plus que de simplement parler de protéger une espèce. » Faisant le lien entre la nature et la musique, ses deux passions, elle aime qualifier ce qu’elle crée « d’écosystème musical ».

L’eau

C’est en soutenant son interlocuteur du regard avec davantage d’intensité encore qu’Hélène Grimaud pointe du doigt l’une des crises écologique et humanitaire les plus urgentes de notre temps. « Nous sommes constitués d’eau. La majeure partie de nos corps, tout comme la surface de notre planète, est constituée d’eau. La vie n’existerait pas sans elle », écrivait-elle à propos de son dernier disque, Water, paru chez Deutsche Grammophon.

Celui-ci met en valeur neuf compositeurs dont les œuvres ont été inspirées par l’élément eau. Parmi ces artistes des 19e et 20e siècles, on y trouve évidemment Debussy, Ravel, mais aussi Berio, ou encore Lizst. Cet album est le fruit de deux années de travail, en collaboration avec le compositeur et producteur Nitin Sawhney et l’artiste Douglas Gordon, lauréat du prix Turner.

En décembre 2014, elle donne un concert intitulé « tears become… streams become… » (les larmes deviennent… les flots deviennent…) expressément conçu pour la salle d’exercice d’un ancien bâtiment militaire de New York, le Park Avenue Armory. Sa performance a été enregistrée uniquement avec deux petits micros – à l’origine, à des fins d’archives.

De l’eau était répandue sur le sol, à l’aide de pompes silencieuses. En l’espace de 20 minutes, le public pouvait voir les flaques d’eau s’étirer pour se rejoindre en une immense étendue d’eau de quelques centimètres de profondeur. Hélène Grimaud apparaissait alors, se dirigeant vers un piano placé sur une plateforme, telle une île au milieu de ce grand mirage aquatique. L’animation avait laissé suffisamment de temps au public de s’habituer à la présence de l’élément eau, pour pouvoir être ensuite réceptif à la musique.

« Il y avait une qualité au-delà des mots dans cette installation (…) presque magique et hypnotique. C’était le parfait écrin (…) pour ce qui allait se passer musicalement », décrit-elle.

Bien que l’idée d’un enregistrement soit venue après coup, elle a quand même décidé de garder le son de cette expérience, pour le mettre dans l’album. « Le son provenant de cette surface aquatique était quelque chose d’unique, que vous n’auriez pas pu entendre autre part », déclare-t-elle. Elle était enthousiaste à l’idée de conserver plus longtemps cette collaboration, au départ éphémère, avec Gordon, grâce au format du disque.

Pour compléter son album Water, elle a invité le compositeur Nitin Sawhney, qui l’a produit, à créer des transitions entre chacune des neuf pièces pour piano. Pour cette raison, Hélène Grimaud explique que ce disque est réalisé pour être écouté d’un bout à l’autre, sans intervertir les plages. « Il n’y a rien d’interchangeable concernant ces transitions. La dernière note de Berio vous conduit à la première note de Takemitsu, et ainsi de suite ».

Que ce soit son disque Water ou ses concerts, écouter jouer Hélène Grimaud vous ramènent à l’instant présent. « La meilleure façon d’atteindre la pleine conscience est de porter attention à la personne qui est en face de vous, la regarder droit dans les yeux pour être vraiment connectée avec elle le plus possible. D’une certaine manière, c’est comme développer beaucoup d’empathie ou de compassion. Je crois que c’est ce en quoi consiste notre passage sur Terre. C’est plus facile à dire qu’à faire mais heureusement, c’est un état que vous pouvez atteindre avec la maturité. »

Hélène Grimaud, au piano, et la Camerata Salzburg, dirigée par Louis Langrée, interpréteront des œuvres de Ravel et Mozart, le 23 mars 2016, à 20h30, au Grand théâtre de Provence : 380 avenue Max Juvenal, 13100 Aix-en-Provence.

Article en anglais : http://www.theepochtimes.com/n3/1971812-pianist-helene-grimaud-on-her-tribute-to-water/

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