Pourquoi les Chinois privilégient-ils la subtilité?

De profondes raisons liées à la littérature et l'art chinois sous-tendent cette question

Par Zhang Tianliang
6 mai 2024 16:50 Mis à jour: 6 mai 2024 16:50

L’un des traits distinctifs de la culture chinoise est la façon dont elle donne libre cours à l’interprétation. Les influences taoïstes y sont pour beaucoup, et on les retrouve dans la littérature, l’art et la philosophie chinoises.

L’histoire suivante touche au domaine de l’art.

Lorsque j’étais très jeune, j’ai lu dans un journal l’histoire d’un homme qui vendait des tableaux. Un jour, un client pousse la porte de la boutique et s’arrête sur un tableau représentant un homme tirant un cheval sur un pont. Le client lui dit : « J’aime ce tableau. Combien coûte-t-il ? » Le marchand répond : « 500 taels d’argent. » L’homme lui répond: « Je n’ai pas assez d’argent sur moi aujourd’hui. Je dois retourner le chercher. Je reviendrai plus tard. »

Puis le client s’en va. Le commerçant regarde le tableau et sent que quelque chose ne va pas : On voit bien l’homme tirant le cheval, mais on ne voit pas la corde. Le vendeur décide de prendre un pinceau et de peindre la corde. Lorsque l’acheteur revient, il ne veut plus acheter le tableau. Pourquoi, lui demande le vendeur très surpris? L’homme répond : « J’étais prêt à payer 500 taels d’argent parce que je voulais acheter la corde que je ne pouvais pas voir avec mes yeux, mais que je savais être là. »

Si vous regardez le tableau de Li Keran intitulé Conduite du troupeau, vous verrez que l’eau n’est pas peinte, mais qu’on peut effectivemment sentir le buffle avancer dans la rivière. Dans cette peinture, l’eau est ressentie. Les peintures occidentales s’attachent traditionnellement à représenter les détails avec finesse et ne laissent généralement pas autant d’espace blanc sur les toiles. En revanche, les peintures chinoises, laissent beaucoup d’espaces blancs, laissant libre cours à la créativité et à l’imagination de l’observateur. Il s’agit de l’une des caractéristiques de la culture chinoise : se fier à sa propre compréhension, avec subtilité et intuition, afin d’en saisir le sens.

Dans sa série classique, « Une brève histoire de la philosophie chinoise », le professeur Feng Youlan écrit:

La suggestion, et non l’articulation, est l’idéal de tout l’art chinois, qu’il s’agisse de poésie, de peinture ou autre. En poésie, ce que le poète veut communiquer n’est souvent pas ce qui est directement dit dans le poème, mais ce qui n’y est pas dit. Selon la tradition littéraire chinoise, dans une bonne poésie, « le nombre de mots est limité, mais les idées qu’ils suggèrent sont infinies ». Ainsi, un fin connaisseur de poésie lit ce qui se trouve en dehors du poème, et un bon lecteur de livres lit ce qu’il y a entre les lignes. Tel est l’idéal de l’art chinois, et cet idéal se reflète dans la manière dont les philosophes chinois se sont exprimés.

Que vous lisiez les Analectes de Confucius, le Tao Te Ching de Laozi ou L’art de la guerre de Sunzi, vous constaterez que les discours sont morselés, que la plupart des choses dites sont des conclusions et que les raisonnement ne sont que peu, voir pas du tout, étayés. Ces ouvrages sont également assez courts. Le Tao Te Ching compte 5000 caractères et L’art de la guerre environ 6000. Or, des passages du Tao Te Ching décrivent la création de l’univers, la manière de gouverner le pays, de diriger une armée, de gérer les relations interpersonnelles, etc. Peut-on comprendre des idées aussi profondes ? Cela dépend du lecteur. C’est au lecteur de constituer sa propre compréhension. Dans la perspective de Laozi, ces choses ne peuvent pas être dites ou bien elles ne sont pas nécessaires.

Les Analectes recense les dialogues entre Confucius et ses élèves. Les liens logiques entre les passages sont rares. Pourtant, le texte contient des vérités profondes sur la façon de gouverner le pays et d’apporter la paix dans le monde. Confucius a dit : « Si un étudiant ne peut faire trois déductions après avoir été instruit sur un principe, je cesserai de l’instruire. » La culture chinoise peut donc donner l’impression de manquer de cohérence.

Il en va de même pour la poésie chinoise. Dans le cas de la poésie occidentale, tels que les poèmes homériques, il s’agit d’un récit et d’une histoire. Il n’en va généralement pas de même pour la poésie chinoise, à quelques rares exceptions près. Un grand nombre de poèmes utilisent des mots très simples, et décrivent un état d’esprit. Ainsi, la poésie chinoise traite davantage d’une expérience spirituelle.

Par exemple, en parlant d’eau, on peut imaginer de l’eau chaude, froide, tiède, glacée, sucrée, salée. On peut imaginer toutes sortes d’eau. Cette ambiguïté laisse une grande place à l’imagination. Mais si on précise qu’il s’agit d’un verre d’eau à 20 degrés Celsius, l’imagination s’en trouve limitée. Plus l’explication est précise, moins l’imagination a libre cours. Il s’agit d’une caractéristique typique du taoïsme.

Prenons un exemple de la vie quotidienne. Par exemple, en allant au McDonald’s, que vous soyez à New York, San Francisco, Toronto, Paris ou Pékin, les frites sont fondamentalement les mêmes. Pourquoi ? Parce que la sélection des ingrédients, l’épaisseur des lamelles de pommes de terre, la température de l’huile, la durée de la friture, tout le processus est conçu de manière très précise. Pour cuisiner, les Occidentaux utilisent des doseurs, de balances et de minuteries. En suivant la recette à la lettre, on est en mesure d’obtenir le résultat escompté. Plus la recette est précise, plus le goût sera le même à chaque fois. Quelque soit le McDonald’s, le goût du Big Mac est à peu près le même.

Les Chinois sont différents. Par exemple, si un cuisinier vous explique comment faire des filets de poisson, il vous dira d’abord de choisir un poisson et à peu près quel sera son poids. Il vous dira ensuite de le couper en tranches ; la taille et l’épaisseur des tranches sont laissées à votre appréciation, et il ne vous l’indiquera pas. Il vous dira ensuite de chauffer le wok à l’huile ; sans vous dire à quelle température. Il vous dira ensuite de jeter les filets de poisson dans le wok et de les faire frire jusqu’à ce qu’ils soient légèrement dorés. Qu’est-ce qu’une légère coloration ? Au moment de l’assaisonnement final, il vous dira de mettre « un peu » d’oignon vert, « pas mal » de sel, « une certaine quantité » de sucre, et de verser un peu de vinaigre, et ainsi de suite. Toutes les mesures sont de ce type : un petit peu, une bonne quantité, une certaine quantité, etc. Il ne vous donnera pas de quantités clairement définies. Alors comment faire ? Cela dépendra de vos capacités de déduction. Si vous y arrivez, le plat sera très bon. Si vous n’y arrivez pas, ce sera un désastre. Dix chefs qui savent équilibrer les ingrédients peuvent rendre le même plat délicieux de dix façons différentes. Les recettes occidentales sont construites d’une autre manière, rendant le goût final du plat assez uniforme.

Cela reflète les différentes philosophies sous-jacentes aux deux cultures, le taoïsme et sa valorisation de la subtilité influençant largement la pensée chinoise.

Pour en savoir plus sur ce sujet et d’autres sujets connexes, vous pouvez consulter mon livre en version anglaise.

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