Radio France, une «exception française» en danger

13 avril 2015 02:17 Mis à jour: 14 mai 2015 03:23

«Les fils du dialogue et de la confiance sont rompus», concluait un salarié de Radio France la semaine dernière, à la suite du Comité central d’entreprise. Le conflit entre salariés et la direction gagne de l’ampleur, du jamais vu depuis mai 68 dans la «maison ronde»: ce lundi 13 avril le groupe entrera dans son 26e jour de grève consécutive.Convoqué jeudi dernier par Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, Mathieu Galet, PDG du groupe, peine toujours à convaincre ses équipes de la restructuration nécessaire.

«Mauvaise gestion» et tempête financière

«Mauvaise gestion», la formule a été lâchée par Philippe Ducellier, salarié du groupe. Et ce n’est pas le récent rapport de la Cour des comptes qui le contredira. Sorti la semaine dernière, l’étude des magistrats décrit les conditions «très favorables» des journalistes de la radio. Outre 56,5 jours de congés par an, RTT inclus, certains d’entre eux – et cela vaut pour les musiciens – travaillent à des rythmes peu soutenus, avec des week-ends de trois jours. «Cela aboutit à pourvoir un poste par au moins deux, voire trois personnes», analysent les auteurs du rapport.

De plus, 131 salariés (hors musiciens) en CDI perçoivent, en plus de leur salaire, des cachets d’intermittents du spectacle sous le nom de «compléments de rémunération», sans parler des nombreux avantages en nature. De quoi donner de l’eau au moulin de Mathieu Gallet, qui entend supprimer des postes. Mais cela n’explique pas les excès des dépenses entreprises pour la rénovation des bureaux depuis 2004. La rénovation, estimée en 2004 à 172 millions d’euros, aura coûté selon les derniers chiffres 584 millions d’euros, et ce montant pourrait encore grimper d’ici à l’achèvement des travaux en 2018.

L’austérité, synonyme de perte de qualité?

Comment expliquer, dans ce contexte, les grévistes de Radio France marchant en tête du cortège de la manifestation contre l’austérité, jeudi dernier? C’est que tout le monde ne bénéficie pas du même régime. Les grévistes ne comptent que pour 7% du personnel, et d’après l’AFP, beaucoup d’entre eux sont des techniciens assumant des conditions de travail difficiles. «Nous ne sommes plus en mesure de faire correctement notre travail. On ne nous parle que de formats et non de contenus, de marques et non d’identité d’antennes, d’argent et non de richesses», déclarent les grévistes dans une tribune publiée dans Le Monde.

Les salariés de Radio France reconduisent une nouvelle fois la grève le 10 avril 2015 à la maison de la Radio. (Thomas Samson/AFP/Getty Images)

Les pigistes, pour leur part, enchaînent des journées de travail allant jusqu’à 15 heures. C’est le cas de Camille, salariée du groupe. «Ceux qui font les CDD ne peuvent pas se plaindre. Trop précaire», avance-t-elle. La jeune femme déplore la «nouvelle ligne éditoriale», qui selon elle n’a qu’un seul objectif: marcher dans les pas des radios privées. Le site FranceBleu.fr se développe ainsi sur une ligne simple: «du fait divers, de l’insolite, tout pour le clic», témoigne-t-elle.

  «Si rien n’est fait, on ne passera pas l’été»

Dans une lettre adressée à Fleur Pellerin et publiée dans Libération, un collectif formé d’une dizaine de personnalités telles que Jacques Attali ou Roselyne Bachelot réclament «une politique artistique digne du service public qui préserve l’avenir des formations en son sein». Les signataires du courrier espèrent la conservation des deux orchestres et du chœur, une «richesse unique au monde qu’aucune autre radio ne peut se targuer d’abriter».

De son côté, la ministre de la Culture et de la Communication affirme aussi son attachement au rôle de l’audiovisuel public, souhaitant préserver «l’identité et la singularité du service public». La ministre s’est déclarée ouverte à une médiation, mais refuse pour autant d’intervenir dans le dialogue social. Effectivement, à l’heure où le prochain patron de France Télévisions doit être nommé par le CSA, une intervention de la part du gouvernement dans le dossier pourrait remettre en cause le principe d’indépendance du service public dans l’audiovisuel.

La sortie du tunnel semble donc encore loin pour les équipes de la maison ronde. «La trésorerie est à sec. Si rien n’est fait, on ne passera pas l’été», lançait récemment Mathieu Galet en direction, sans nul doute, de Matignon. Pour le patron de Radio France, la nécessité de rentabilité d’une radio impose des choix. Un dilemme très moderne, en fin de compte: à l’heure où les plateformes médiatiques et les contenus éditoriaux se multiplient, réformer les pratiques commerciales est un exercice d’équilibriste pour l’audiovisuel public, qui se doit d’être compétitif tout en préservant sa qualité.

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